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Guidounes et code vestimentaire

Avez-vous lu la bande dessinée Persepolis? Ou vu l’adaptation au cinéma? Un magnifique film d’animation, d’ailleurs. Les images sont d’une grande poésie et c’est raconté avec douceur, malgré certains thèmes plus durs.

On y suit une partie de la vie de la bédéiste Marjane Satrapi, une Iranienne qui a un jour dû fuir en France. Dans son enfance, l’Iran était un pays moderne et libre. Puis un jour, le Chah a perdu le pouvoir et dès lors s’est imposé un étau religieux de plus en plus lourd.

Lorsque notre protagoniste arrive à l’université, les codes se font de plus en plus stricts. Elle raconte que plus ça allait, plus les jupes ou les robes devaient être de plus en plus longues, afin que les femmes n’incitent pas les hommes au vice.

Je suis sûr que la plupart serait d’accord que c’est vraiment lourd de faire porter un tel poids sur le dos des femmes. C’est aussi donner beaucoup de pouvoir à un simple mollet ou à une telle cheville. Pis encore, c’est abrutir les garçons de prétendre que la simple vue d’une partie du corps féminin rende incontrôlable leurs pulsions.

C’est débilitant et surtout déresponsabilisant de prendre l’excuse des supposés incontrôlables hormones masculines pour exiger telle ou telle tenue aux femmes.

Le truc dans Persepolis est évident. C’est sûr que la cheville n’a pas autant de pouvoir. Ou si elle peut en avoir autant, ça en dit peut-être long sur la manière dont la corps féminin est vu comme un objet sexuel et non comme un être humain.

Parmi vous, peut-être que certaines personnes se disent que ça se passe ailleurs. Loin de chez nous.

Il n’y a pas si longtemps, ici aussi, montrer une cheville était osé. En peinture, on pouvait montrer le corps d’une femme nue que si c’était dans un contexte mythologique. Si la pudeur a diminué en général, nous avons encore des échos du pêché original, voulant que la femme soit source du vice. Il y a eu une libéralisation, mais si la femme se montre en bikini à la télévision, c’est souvent, encore, une question de sexualisation.

Aujourd’hui, ce ne sont plus les chevilles qui peuvent causer des pulsions aux jeunes hommes, mais les épaules des jeunes femmes, ou l’absence de soutien-gorge, comme le dénoncent les filles derrière le mouvement des carrés jaunes. Mais ce n’est pas tout le monde qui comprend cette construction sociale. Comme Nathalie Normandeau et Martin Everell de BLVD.

Après fait jouer un extrait d’une entrevue de Célestine Uhde (et que Nathalie Normandeau se sent le besoin de commenter que c’est un nom de famille compliqué à dire selon elle), Martin Everell croit replacer les propos de l’adolescente, mais il prouve plutôt son point. Selon lui, une fille qui ne met pas de soutien-gorge, porte des shorts et une camisole est une « guidoune ».

Je souligne l’ironie: alors que Célestine Uhde dénonce l’objectification du corps féminin, Martin Everell prouve justement le point de la jeune femme en démontrant qu’il n’a aucun respect pour le corps féminin s’il n’est pas assez habillé en sortant le mot guidoune.

Nathalie Normandeau ne comprend pas davantage cette construction sociale que dénonce les carrés jaunes. Alors que l’ancienne vice-première ministre pense que c’est le refus de porter une camisole spaghetti qui laisse des séquelles dont a parlé Célestine Uhde, ce sont en fait les raisons qui motivent cette interdiction qui laissent des séquelles.

Interdire de porter des camisoles spaghettis s’inscrit dans cette logique que le corps de la femme est un objet sexuel. Comme la cheville évoquée tantôt. Ce sont des codes mis en place afin que les adolescentes cachent leurs corps féminin, pour ne pas déconcentrer les adolescents, entre autres, afin de maintenir un certain « climat social ».

Je cite un extrait d’un texte de Marjorie Champagne, alors qu’elle nous partage la première fois que l’école l’a interpellée sur son linge: « Pour la première fois de ma vie – à 12 ans ! – je me suis sentie comme un bout de viande, ceci à cause d’un règlement qui était censé vouloir me «protéger». L’impression que j’ai eue? Que mon corps ne m’appartenait plus, que je devais faire attention, que c’était MA responsabilité. »

Martin Everell et Nathalie Normandeau semblent croire que Célestine Uhde et ses consoeurs veulent s’habiller sexy et séduire les garçons alors que leur discours est tout autre: peuvent-elles vivre leur vie sans être toujours considéré comme un objet sexuel? La réponse Martin Everell: oui, mais si elles veulent être des « guidounes », ça doit se faire en dehors de l’école. Donc finalement, ce qu’il dit, c’est qu’elles peuvent être des objets sexuels, mais en dehors de l’école.

Tout ça englobe un truc plus large sur la manière dont on sexualise le corps de la femme tout le temps partout. Et ça se fait dès l’école, via un code vestimentaire qui dit que si la jeune fille montre son épaule ou une partie de sa cuisse, elle devient sensuelle. Elle n’est plus une personne, mais une pulsion sexuelle, ou un morceau de viande, comme l’a décrit Marjorie Champagne. C’est un message qui est lourd, autant sur la pression que subiront les femmes toute leur vie que sur l’abrutissement de l’homme qui ne serait qu’un pénis sans cervelle. Un message qui se grave ensuite pour des années et qui devient dur à déconstruire. Et c’est ça que les jeunes filles dénoncent.

La lutte à l’objectification du corps féminin ne passe par un code vestimentaire ou par la pudeur. Il passe au contraire par une banalisation des bouts de peau qu’une femme peut montrer. Une mini-jupe n’est pas une invitation à fourrer, c’est juste un goût vestimentaire. D’ailleurs, une jupe longue n’est pas plus un refus de sexualité, c’est aussi un simple goût vestimentaire.

Ça passe aussi par la fin de ce mythe qu’un homme est incapable de contrôler ses hormones, déjà, et qu’il en a autant, ensuite. Sérieusement, les gars, arrêtez de faire croire que chaque fois que vous voyez une femme en camisole vous avez envie de fourrer. Ça suffit! Libérez-vous de cette image! C’est tellement malsain pour tout le monde!

L’argumentaire de Célestine Uhde est loin de ne pas tenir la route, comme le prétend Nathalie Normandeau, il démontre au contraire une bonne compréhension des enjeux sociaux qui entourent nos comportements et nos normes.

C’est un discours plus réfléchi que juste dire que « c’est comme ça », déjà, comme le répète Nathalie Normandeau pendant treize minutes. Moi, je trouve ça triste que ça soit « comme ça ».