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Voter pour diviser, diviser pour régner

On n’a pas fini de l’entendre celui-là, même si des journalistes comme Jean-François Cliche testent l’idée de la division du vote et n’arrivent pas à des conclusions probantes, l’argument sera quand même ressorti encore et encore, surtout par les partis qui perdent des plumes.

L’argument a été remis de l’avant ces derniers jours par Jean-François Lisée, la division du vote faisant partie de son arsenal de critiques envers Vincent Marissal, son nouvel adversaire dans Rosemont.

Le Parti québécois la sort depuis longtemps et va la sortir encore souvent cette année. Peut-être plus souvent que jamais.

Ainsi, ceux et celles qui votent pour Québec solidaire mais qui n’obtiennent pas le comté feraient en sorte qu’un candidat du PLQ ou de la CAQ se glisserait alors grâce à la scission d’un bloc imaginaire PQ-QS.

C’est vrai qu’on a plusieurs député.e.s et même des gouvernements qui sont élus avec des minorités parce que le vote est divisé entre plusieurs partis. On a donc cette absurdité d’avoir des gens au pouvoir alors que la majorité de la population n’a pas voté pour eux.

Par exemple, Justin Trudeau est présentement au pouvoir en ayant récolté un peu moins de 40% des voix populaires (39,5%). On peut dire que 60% de la population n’a pas voté pour lui. Ce qui ne signifie pas que 60% a voté contre lui, mais il n’était visiblement pas le premier choix de la majorité de la population.

Même chose à Québec. Philippe Couillard n’a pas eu l’appui de la majorité des Québécoises et des Québécois. Seulement 41,5% ont voté pour le Parti libéral du Québec en 2014.

Ces choses arrivaient moins souvent lorsqu’il n’y avait que les conservateurs et les libéraux à Ottawa ou seulement les libéraux et les péquistes à Québec, mais cette époque semble révolue.

D’une certaine manière, donc, certaines personnes sont élues non pas parce que les gens les voulaient là, mais parce qu’ils se sont faufilés dans un vote général divisé.

Ça doit être assez frustrant pour un.e candidat.e qui arrive en deuxième avec seulement quelques points de différences. En quoi le ou la gagnante à 31% est-elle plus représentative que l’autre qui suit avec 30%?

Les résultats sont donc souvent divisés, surtout dans les luttes serrées. Dans Taschereau, à Québec, nous avons presque une course à quatre partis si on regarde les projections de Qc125. Il y a seulement dix points qui séparent le parti en tête des projections (28%) et le dernier (18%), ce qui veut dire, avec les marges d’erreur, que presque tous les partis peuvent prétendre être les favoris.

Cette division du vote ou plutôt ces limites de notre système parlementaire font partie des principaux arguments pour des réformes au mode de scrutin pour améliorer la représentativité et mieux refléter les résultats électoraux.

Là où on glisse avec la division du vote, c’est lorsqu’on prétend sur les intentions de votes et qu’on ne fait que jouer avec les chiffres. Prétendre, par exemple, que ceux et celles qui votent pour Québec solidaire sont prêt.e.s à voter pour le Parti québécois et d’additionner les votes de l’un et l’autre pour croire que cela aurait pu bloquer la porte d’un autre.

Revenons avec le résultat de Justin Trudeau de 2015. Il n’a pas été le choix de 60% de la population canadienne, mais ceci ne signifie pas que 60% de la population votait contre lui. Dans ce lot, il y a sûrement plusieurs personnes pour qui Justin était un très raisonnable deuxième choix, d’autres qui le considèrent comme un moindre mal ou le moins pire des adversaires et d’autres qui ne voteraient jamais pour lui.

C’est simpliste et prétentieux de croire que les votes de Québec solidaire pourraient tous aller au Parti québécois. Plusieurs personnes qui veulent QS ne voteraient peut-être pas si cette offre n’était pas là, qui voteraient pour la chaise si elle existait comme choix.

C’est un peu ce que démontre Jean-François Cliche dans son article, «quand on regarde l’évolution du vote dans ces endroits entre 2012 (victoire minoritaire du PQ) et 2014, on se rend compte que les gains de QS n’ont pas compté pour grand-chose dans les défaites péquistes.»

Une chose que le Parti québécois ne dit pas lorsqu’il sort cet argument, c’est que lui aussi en profite, parfois, de cette incongruité. Dans Taschereau, encore une fois, Agnès Maltais, en 2014, a été élue avec seulement 32% des votes. La division du vote entre la CAQ (16%) et le PLQ (30%) lui aurait permis de gagner, si on suit leur logique.

Néanmoins, je sais qu’on peut jouer avec les chiffres et plusieurs personnes pourraient me sortir des données qui appuieraient l’idée que voter Québec solidaire favoriserait la réélection du PLQ ou de la CAQ.

Au-delà de ce jeu comptable un peu plate, il y a un principe derrière tout ça. Une idée qui m’agace. Comme si empêcher quelqu’un de gagner était plus important que ses propres convictions.

Bien sûr, il y a parfois des idées de certains partis qui font grincer des dents, qui peuvent même faire peur selon la distance de nos valeurs et celles d’un parti, mais voter contre quelque chose ne peut qu’encourager le cynisme, à moyen et long terme.

On se lasse vite de barrer une route. Pousser une idée, par contre, peut construire quelque chose, peut stimuler plus longtemps les militant.e.s d’un parti.

Au lieu d’un vote stratégique déprimant, pourquoi ces partis ne tentent-ils pas de vendre leurs idées? Au lieu de se présenter comme le choix le moins pire, pourquoi ces partis n’essaient pas de devenir le meilleur choix aux yeux de ces voteur.se.s. (et aux yeux du 30% qui ne vote pas)?

Il y a une position aussi un peu suffisante dans l’accusation de diviser le vote (au lieu de s’autocritiquer de ne pas attirer le vote). Elle demande aux autres de plier sur leurs convictions et de se joindre à un parti qui ne leur propose pas, souvent, de les écouter et de les inclure, mais bien de simplement barrer la route à quelqu’un. Pourquoi des gens voteraient pour un parti dans lequel ielles ne se retrouvent pas?

On perd quelque part l’idée de la représentativité du parlement. Le hic, dans tout ça, c’est que peut-être, en effet, que le vote stratégique permettra d’avoir au pouvoir un parti « moins pire » qu’un autre, selon nos convictions, mais ces personnes ne se sentiront quand même toujours pas représentées dans le système, et ça, c’est profondément triste. Plus que la division du vote.