Le Québec et le Canada ont un sacré privilège géographique. D’un océan à l’autre. Les seuls voisins immédiats sont les États-Unis et, mettons, le Groenland. Quand je lis sur les vagues de migrants que connait l’Europe, je repense toujours à notre position géographique qui nous met très loin de tout ça.
Il y a eu la vague de l’été dernier et le gouvernement du Québec s’inquiète déjà de la possible prochaine vague. Mais même ce qu’on appelle, nous, la «crise des migrants» et une «vague de réfugié.e.s», ce n’est rien devant ce que doivent gérer les pays côtiers de la Méditerranée.
L’an dernier, c’est environ 25 000 réfugié.e.s qu’on a accueilli, au Canada. Pour donner une petite idée, juste en 2017, à elle seule, la MOAS (Migrants Offshore Aid Station) a sauvé 30 000 personnes d’une noyade seulement en patrouillant la mer pas loin de la Libye.
Ce que la Canada a accueilli en un an correspond à ce que l’Europe a accueilli dans les trois premiers mois de 2017 seulement, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Toujours selon l’OIM, c’est plus d’un million de migrant.e.s que la Grèce a dû accueillir depuis 2015.
Sauf que notre position géographique, ainsi que la richesse et l’absence de guerre civile chez notre seul voisin immédiat, fait en sorte qu’on n’est pas habitué de recevoir des milliers de demandeur.euse.s d’asile. Comme ça arrive souvent dans la vie, on ne se rend pas compte que notre ordinaire est exceptionnel, en fait.
On n’est pas préparé et malgré nos moyens et les espaces qu’on a, on n’a pas toutes les infrastructures pour accueillir comme il se doit les réfugié.e.s, mais ceci est plus une question de volonté politique que d’incapacités réelles. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas, juste qu’on n’était pas prêt.
Plus encore, au-delà de nos infrastructures, il y a l’opinion publique. Une partie de la population n’est pas d’accord d’accueillir des réfugié.e.s. Parfois pour des raisons économiques ou politiques, parfois pour des raisons racistes.
La sortie de quatre ministres québécois d’hier – d’ailleurs, pourquoi Sébastien Proulx était là? – fait très électoraliste. Le Parti libéral du Québec n’a visiblement pas envie de gérer ce dossier là juste avant la campagne électorale. C’est sûr que s’il y a une autre «crise des migrants», ça sera une patate chaude. Qu’il fasse bien ou mal les choses, il devra gérer du mécontentement dans la population. Mais l’ultimatum lancé à Ottawa est un peu ridicule.
Même si Ottawa doit améliorer le traitement de ses dossiers, même si le fédéral doit soutenir et collaborer avec Québec, même si la frontière est une compétence fédérale, je doute que Justin Trudeau accepte d’attraper cette patate chaude.
Qu’est-ce que le gouvernement va faire une fois que son quotas de 85% sera atteint? Il ne peut pas refuser les réfugié.e.s, c’est contraire aux ententes internationales et aux valeurs des Nations unies. Il va les prendre et les envoyer en Ontario? Au Nouveau-Brunswick? Sans leur consentement? Ce ne serait que déplacer le problème et surtout assez ordinaire d’imposer ses responsabilités à ses voisins.
La CAQ a beau vouloir que le Québec n’accueille que le quart des demandeurs et demandeuses d’asile, ça ne marche pas comme ça. Ce n’est pas en Saskatchewan ou en Nouvelle-Écosse que se pointent les migrant.e.s, mais au Québec. C’est peut-être «légal» de les mettre dans des autobus et les envoyer ailleurs, mais ce n’est pas très moral.
Québec peut envoyer toute la facture au fédéral s’il le veut, il peut négocier des ententes avec les autres provinces pour avoir du soutien dans l’accueil des réfugié.e.s, il peut tenter de changer les procédures actuelles pour permettre aux réfugié.e.s de se présenter aux douanes plutôt que traverser en douce, mais tant qu’il n’y aura pas ce genre d’ententes, mais le Québec ne peut pas se défiler de son rôle de terre d’accueil pour des demandeurs et demandeuses d’accueil. Philippe Couillard lui-même reconnait que la province a des obligations humanitaires. Mettre des quotas, déporter les réfugié.e.s, vouloir les bloquer à la frontière, c’est se défiler de cette obligation, qu’on l’aime ou pas.
La députée caquiste Nathalie Roy a dit que «le Québec n’a pas les capacités d’accueillir toute la misère du monde.» Peut-être, mais ceci n’est vraiment qu’une toute petite pointe de la misère du monde, et nous, nous avons une grosse pointe de toute la richesse du monde. Ce n’est pas ça qui va augmenter la dette du Québec. D’ailleurs, ressentons-nous, vraiment, collectivement, le poids de la vague de l’an dernier?
Évidemment, Ottawa a sa part à faire dans ce dossier et Québec fait bien de le rappeler, mais l’ultimatum n’est pas crédible. Sauf, peut-être, aux yeux de cette partie de la population qui est contre les réfugié.e.s.