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Pourquoi doit-on se protéger?

J’étais sur une terrasse à Tours, en France. Je sirotais ma bière tout en regardant des cols bleus installer des clôtures et des blocs de béton. On allait barrer la place Jean-Jaurès et le boulevard Heurteloup. Pourquoi? Parce qu’une manifestation allait avoir lieu pour saluer le passage du président Emmanuel Macron.

C’est un peu comme si on barrait, à Québec, la Grande-Allée et le parc George-V, mettons. Comprendre que ce sont des lieux centraux, entourant l’Hôtel-de-Ville et le Palais de justice. Le tramway de la ville passe par là.

Bien honnêtement, une partie de moi trouvait ça lourd. Je sais bien pourquoi ils font ça, Nice, et les autres tueries que la France a connues, mais quand même, quelle tristesse d’en être rendu là.

Tout ça m’est revenu ce matin en lisant l’article du collègue David Rémillard dans Le Soleil. Le Service de police de la Ville de Québec, poétiquement surnommé SPVQ, songe à acheter des barrières anticamion-bélier. Le truc permettrait de selon son fabricant «de freiner un véhicule de 7,5 tonnes roulant à 48 km/h.»

Je comprends le SPVQ. Ça a l’air pas mal plus facile à poser que les blocs de béton. Au lieu d’utiliser une grue ou un monte-charge, suffit de quelques bras.

Ce qui sonne comme une avancée pour la sécurité est aussi un recul pour notre sécurité, en fait. Si on ressent ce besoin de se protéger, c’est parce que nous ne nous sentons pas en sécurité.

Se protéger est un réflexe normal lorsque la peur s’installe, lorsqu’on craint pour notre sécurité. C’est aussi, souvent, une mesure temporaire.

Je ne veux pas briser le party du SPVQ, mais il suffira aux personnes qui veulent foncer sur du monde de trouver un camion plus lourd ou de rouler plus vite ou de faire un mélange de tout ça. Ou plaquer le dessous de la voiture – si j’ai bien compris le principe des barrières. Ce que je veux dire, c’est que toute mesure de sécurité se détourne.

Jusqu’où ira-t-on avant de s’attaquer au problème de fond? Quelle liberté sera le sacrifice de trop pour qu’on se demande, collectivement, et politiquement, ce qui pousse des gens à nous attaquer en pleine rue?

Par nos politiques internationales et par notre soutien à certaines économies, nous participons au climat social qui pousse des cellules terroristes à nous attaquer. Ce n’est pas tant une guerre religieuse qu’une profonde indignation de leur condition de vie, de leur manque de considération, de leur exploitation et de leur misère. Notre façon de vivre a des impacts. C’est une guerre plus économique que religieuse.

Envahir l’Irak, l’Afghanistan, ne pas se mêler de la Syrie, pour ne nommer que ces conflits, alimente sans aucun doute la volonté de certaines personnes de venir nous frapper dans notre quotidien, comme eux le sont dans leur quotidien. L’une et l’autre sont condamnables, mais on ne parle pas assez souvent de ce que nous leur faisons vivre.

Faisons un parallèle théâtral, comme Shakespeare, ou Game of Thrones, selon votre préférence. C’est comme si notre roi, ou notre reine, Macbeth ou Cersei, avait lancé des attaques sur le royaume voisin et qu’on se demandait, ensuite, pourquoi notre village se fait attaquer par ce royaume.

Sauf que là, ça fait quelques années que ça dure, les origines de la haine de l’un envers l’autre sont devenues floues, on se souvient juste de la dernière attaque, alors on fait juste s’haïr, construire de nouvelles forteresses, et essayer d’avoir de meilleures armes que l’autre. À un moment, il faudrait bien que les villageois.es demandent à Macbeth ou Cersei pourquoi leur patelin se fait attaquer, finalement? Ça vaut vraiment la peine?

Maintenir des peuples dans la boue ne peut que les mettre en calvaire.

Si des hommes se sentent en droit de tuer des femmes pour leurs frustrations, c’est qu’on a un profond problème de société. Si des Noir.e.s font des émeutes dans les rues, c’est parce qu’on a un problème de société.

Ce n’est pas parti pour s’améliorer. Le fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres finira par créer de nouvelles frustrations. Les plus pauvres vont, un moment, tellement être écoeurés que là aussi, ça pourrait exploser violemment. Il y a des lieux dans le monde qui subissent déjà les changements climatiques, avec des sécheresses, des inondations. Si on ne les aide pas, ces personnes aussi pourraient venir réclamer une forme de justice.

L’accès aux armes est clairement un problème, aux États-Unis, mais les inégalités sociales sont un problème tout aussi grave, si ce n’est pas plus important encore.

Depuis le temps qu’on bâtit des murs – ça fait des siècles qu’on essaie cette stratégie -, on sait que ça ne marche pas. Le mur ne règle pas les frustrations. La haine de l’autre ne vient pas de nulle part, elle se nourrit d’injustices, de blessures, d’orgueil, de manque d’amour, de pauvreté, de misère, de trahison, de promesses rompues.

Comment, par exemple, diminue-t-on la criminalité dans un quartier ou dans une ville? On pourra bien faire de la répression ou clôturer des rues, la meilleure façon est d’améliorer les services à la population, lutter contre la pauvreté, améliorer la mixité sociale et l’intégration, améliorer la qualité de vie des gens qui habitent le quartier.

On peut bien acheter de nouvelles barrières pour le moment, mais le sentiment de sécurité n’est qu’une illusion. Surtout si on ne s’attaque pas réellement au problème de fond.

Notre liberté collective est plus menacée par notre égoïsme social que par la haine des autres.