Il y a des phrases que je n’ai jamais accepté d’intégrer dans mon vocabulaire, me semblant trop absurdes. «Il faut souffrir pour être belle» fait partie de ces phrases.
Quelle terrible phrase. Jeune, je ne comprenais juste pas pourquoi c’était valorisé de souffrir pour se conformer aux standards de beauté, je frappais un mur là, déjà. Plus les années passent, plus je trouve terrible tout ce que peut sous-entendre cette phrase.
Déjà, ça présume qu’il faut être belle. Il faut être beau et belle. Au point de souffrir. C’est tellement important qu’il ne faut pas hésiter à se faire mal pour y arriver.
Pensons-y: il faut souffrir déjà en maudit pour volontairement se faire mal. Ce n’est pas anodin. C’est dire toute la pression autour de la beauté.
J’en entends déjà me dire que c’est une façon de parler, que les gens ne sont pas obligés de se faire mal, mais que pour être belle, ça demande des efforts, que ça ne se fait pas tout seul. Même là, je ne suis pas d’accord. Je veux dire, aucun problème si une personne fait des actions pour la mettre en valeur – selon elle, comme se maquiller ou réfléchir particulièrement à comment s’habiller, mais là, on demeure dans des choix esthétiques et j’ai toujours cru et je n’arrêterai jamais de croire qu’une personne peut être belle au naturel sans faire de gestes particuliers, juste d’être. Elle peut aussi être belle en se maquillant ou en mettant tel type de vêtements qui l’avantagent.
Mais la beauté ne réside pas dans les choix esthétiques en soi. La beauté va s’exprimer différemment selon le vêtement, selon la coiffure, selon le maquillage, mais c’est une déclinaison, pas une condition.
Un choix esthétique ne fait pas souffrir, ainsi, «Il faut souffrir pour être belle» ne parle pas de goûts, mais bien se plier aux normes, quitte à se faire mal, à se brimer, physiquement ou psychologiquement.
Ça passe par les surentrainements ou les régimes malsains pour être mince – qui font autant souffrir physiquement et nuisent à la santé physique et mentale. Gabrielle Lisa Collard le souligne très bien ici: «L’obsession du poids est un obstacle à la santé mentale et physique de TOUT LE MONDE, gros ou mince. Il est l’arbre qui vous empêche de voir la forêt.»
C’est la souffrance sur l’idée absurde que la femme ne devrait pas avoir de poil. Et donc se raser à endroits qui ne sont pas faits pour être rasés (sensibilité de la peau, accessibilité de l’endroit, nature de l’endroit). L’épilation. Le stress. La honte. Absolument rien de sain. C’est dangereux pour le corps et anxiogène.
Ce sont aussi les chirurgies plastiques. La banalisation de plusieurs opérations n’en diminue pas les risques ni la souffrance, même minime, qui entourent toutes chirurgies.
Ce sont les tortures psychologiques pour toutes les personnes qui, même avec des chirurgies, ne peuvent fitter dans les standards de beauté. Imaginez comment se sentent les gens pour qui même la souffrance ne peut les rendre beaux aux yeux de la population.
Depuis quelques années, les hommes se sont approprié la phrase. Certaines personnes voient ça comme un gain pour l’égalité. C’est plutôt un recul ou une augmentation du problème. Que certains hommes aient commencé à se faire mal pour répondre aux standards de la beauté ne fait que prolonger le problème.
Il faudrait plutôt que l’on cesse de faire croire que la beauté ne se cache que dans des standards tellement précis que rarement accessibles. Il faudrait arrêter de faire croire que la beauté est tellement importante qu’elle accepte la souffrance. L’égalité n’est pas qu’une deuxième catégorie se mette à souffrir aussi, c’est de cesser la souffrance pour tout le monde.
J’imagine que certaines personnes ont envie, en ce moment, de me parler de ces personnes qui, au bout de plusieurs efforts et sacrifices, ont réussi à opérer des changements chez elles, que certaines oeuvres d’art ont été le fruit de grandes souffrances.
L’accomplissement derrière des efforts soutenus est différent de la souffrance, même si elle peut faire partie du parcours. Je crois surtout que la douceur a de bien meilleurs résultats que la souffrance. Je n’arrive pas à glorifier la souffrance.
Et si une belle chose peut ressortir de la souffrance, ce n’est pas grâce à celle-ci. Une fleur qui résiste et pousse dans une craque de béton ne doit pas sa beauté au béton, mais à sa résistance.
Évidemment, la souffrance fait partie de la vie. Je doute qu’on soit obligé pour autant de la rechercher et de la provoquer. Surtout pour un truc comme la beauté. Surtout quand la définition de la beauté est aussi stricte.
J’ai de la misère à voir de la beauté derrière la souffrance. Ça me met mal à l’aise, en fait. «Pourquoi t’es tu fait mal?» que je me demande chaque fois. «Pourquoi?» Loin de susciter de l’admiration, ça me fait plutôt mal de l’apprendre.
La souffrance est inutile pour être belle et beau. La beauté est partout, sous toutes les formes, et de toutes les couleurs. Comme je disais en novembre dernier: «La beauté est partout et souvent là où on ne l’attend pas. En s’ouvrant les œillères, on finit par la voir. La beauté surprend et se dévoile.»
La beauté est partout, sauf dans la souffrance.