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Les héros sont toujours beaux

J’étais quelque part au-dessus de l’Atlantique, revenant de ma première visite en France il y a quelques semaines, en train d’écouter quelques films – que faire d’autre?

Comme c’était la première fois que je prenais un long vol, extracontinental, je dois partager ma surprise du choix de films. Non seulement il y avait du documentaire ou des films d’auteur, mais il y avait des trucs très récents comme des classiques. Je m’attendais plus à devoir me taper que des comédies familiales ou des films de superhéros – bon, j’ai quand même réécouté Justice League sur un des vols.

Parmi les cinq films écoutés au-dessus des nuages, j’ai aussi écouté «Professor Marston and the Wonder Women», un film sur le créateur du personnage de Wonder Woman. Je dis le créateur, mais c’est un peu réducteur, les idées du professeur Marston ont grandement été nourries par ses deux partenaires de vie. Oui, du #polyamour.

Il faut comprendre ici que ces trois personnes formaient une même famille et que les deux femmes avaient des enfants du professeur. Selon le film, les trois avaient des relations sexuelles ensembles, mais c’est faux selon la famille. Son personnage de Wonder Woman était une manière pour lui de passer ses idées sociales. Pour faire court, son université a fini par ne plus tolérer ses idées et il a fini par s’exprimer avec la bande dessinée.

Donc, dans le film, que ce soit vrai ou non, notre trio explore différents jeux sexuels et, sans surprise, l’acteur qui joue William Marston dévoile son corps assez bien bâti et musclé. J’ai eu cette réflexion: ce professeur était intelligent, avait des principes d’égalité, était avant-gardiste, était créatif, fonceur, et, en plus, avait un corps sculpté de même? Vraiment? Et ses deux femmes étaient aussi intelligentes, avant-gardistes et sexy? Vraiment?

Je ne dis pas que les gars bien bâtis ne peuvent pas être tout ça, ni qu’une femme sexy ne peut pas être intelligente, loin de là, mais étant donné la vie du professeur, je me demandais simplement quand est-ce qu’il prenait le temps de s’entrainer pour avoir un tel corps. Les gymnases n’étaient pas encore très populaires dans les années 1940. C’était presque anachronique.

Ça m’a intrigué et je l’ai donc googlé. Mon soupçon n’était pas trop farfelu, William Marston n’avait pas du tout un corps de superhéros. Ça ne lui enlève absolument rien et c’est justement ça qui est dérangeant.

Les personnes derrière Wonder Woman dans la vie vs au cinéma
Les personnes derrière Wonder Woman dans la vie vs au cinéma

Si on se fie à tous les biopics et histoires basées sur des histoires vraies que produit Hollywood, les héros et les héroïnes sont toujours beaux et belles, mais ce n’est évidemment pas le cas. La grandeur des gens n’a absolument rien à avoir avec leur beauté physique.

Chaque fois que Leonardo DiCaprio joue une personne qui a vraiment existé, je me demande si cette personne correspond vraiment à l’image de Leo.

Prendre un sex-symbol pour interpréter quelqu’un qui n’était pas un sex-symbol… c’est poche. Faire croire que toutes les personnes qui ont marqué l’histoire étaient des sex-symbols, c’est lourd et malsain.

Je ne crois pas que l’on doit nécessairement prendre des acteurs ou des actrices qui ressemblent vraiment à la personne dont on porte l’histoire au grand écran, mais je crois que l’on doit respecter l’idée de la personne. Le hic, c’est qu’on prend presque toujours des acteurs et des actrices qui ont un physique qui correspond aux standards du cinéma… et non celles de la vie.

Il y a une marge entre prendre quelqu’un qui ne ressemble pas et effacer un aspect d’une personne.

William Marston était bedonnant – et plus vieux que l’acteur qui le joue dans le film (par rapport aux actions présentées). Feu Philipp Seymour Hoffman aurait sûrement plus fitter que Luke Evans. Ou Jack Black. Ou Antoine Bertrand.

Ça dépasse ici un principe de représentativité et même de diversité corporelle. Depuis des décennies, on voit des films inspirés d’histoires vraies jouées par des personnes toujours belles, ça construit un terrible biais qui fait croire que les bonnes personnes sont toujours belles et donc que les personnes moins belles ne peuvent pas être des héroïnes, que les laids ne peuvent pas être légendaires. Comme s’il fallait avoir une dentition parfaite pour marquer l’histoire.

C’est n’importe quoi. Évidemment. Mais ça n’empêche pas ce biais d’être là.

On se méfie des gens qu’on trouve laids. On survalorise, ou partons avec un préjugé favorable, les gens que l’on trouve beaux. Des études sur le sujet, il y en déjà plusieurs. Sur la tendance aux gens laids à se croire inférieurs aux autres. La tendance à croire gentille une belle personne. De ne pas porter attention aux personnes désavantagées physiquement.

À force de réécrire des facettes importantes d’une personne en les portant au grand écran, ça déforme une partie de la vie de la personne. Si on me transposait au cinéma sans ma grosseur, il manquerait un énorme morceau pour comprendre ma personnalité et pourquoi j’ai pu faire ceci ou cela dans ma vie. Choisir une actrice maigrichonne et considérée belle comme Keira Knightley pour jouer une intellectuelle qui était plus ronde, c’est loin d’être anodin. Sans parler qu’on a supprimé les lunettes. Pourquoi?

C’est effacer une diversité de la réalité, c’est refuser cette idée que les grandes choses peuvent et viennent souvent de gens « ordinaires », qui ne sont pas « sexy », c’est formater des traits de caractère dans un type de corps.

C’est comme si on se disait que les spectateurs et spectatrices ne pourraient pas comprendre pourquoi tel personnage tombe en amour avec l’autre personnage, si l’un des deux est laid. Ou comment telle personne a bien pu réussir tel exploit sans une beauté universelle. Ou comme si c’était impossible de se démarquer en étant « ordinaire ».

C’est comme si l’histoire de William Marston ne devenait que plausible que s’il était beau.

C’est comme si on pouvait sortir de la pauvreté, du racisme, du sexisme, de la guerre, de la torture, mais pas de la laideur.

Déjà que dans les fictions, on a tendance à effacer la diversité corporelle, on pourrait au moins respecter celle présente dans les histoires vraies dont on s’inspire. Pas juste pour montrer que le bon peut venir de partout… mais aussi pour respecter ces gens dont on raconte leur vie.