C’est peut-être que je suis un peu geek, mais Wikipédia est toujours un peu un danger pour moi. Ou les encyclopédies en général. Ou une série de documentaires. Je ne vais jamais niaiser sur Youtube – je m’y lasse rapidement –, mais je peux niaiser longtemps sur Wikipédia. Un vrai piège, tous ces liens vers d’autres pages.
Si vous suivez l’actualité féministe, je ne vous apprendrai peut-être rien en vous disant que sur Wikipédia, la grande majorité des pages concernent des hommes. C’était 87% en 2011, 83% en 2016. Ça s’améliore, mais pas très vite.
Non seulement il y a moins de pages, mais les pages sont en général moins longues.
Certaines personnes diront que ceci est normal, puisque la femme, dans notre société, n’a pris sa place que récemment. Que jusqu’à il n’y a pas si longtemps, la femme s’occupait de la famille et ne pouvait donc pas participer «concrètement» à la société.
Oui et non. C’est clair que la manière dont la société a étouffé et enfermé les femmes dans des rôles bien précis nous a sûrement privé de plusieurs talents qui n’ont jamais pu s’épanouir. Un poids tellement lourd que plusieurs talents sont probablement restés inconnus même pour celles qui les avaient. Sauf que notre société a aussi invisibilisé les femmes qui se sont démarquées, qui ont changé les choses.
Comme je le racontais à l’émission littéraire Épilogue où je chronique, ce qui m’a frappé pendant ma lecture de Les culottées, tome 1 et 2, c’est à quel point on ne connaît pas plusieurs femmes qui, pourtant, ont eu des vies et ont eu des impacts sur notre société beaucoup plus grands que plusieurs hommes qui ont non seulement une page Wikipédia, mais aussi des films sur eux, des livres sur eux, ou sont mentionnés dans l’histoire de leur discipline.
Combien de fois suis-je tombé sur une page d’un personnage historique banal et inintéressant? Souvent. À se dire que la page a dû être écrite par eux-mêmes ou leur famille.
D’ailleurs, c’est souvent les descendant.e.s qui font que certaines personnalités viennent à s’inscrire dans l’histoire. On oublie vite, comme société, en général, mais quand les enfants et petits-enfants ramènent en avant l’histoire de leur aïeul, la légende se forge.
Une femme qui fait sa place dans une société où une femme n’est pas supposée faire sa place… Si elle a eu des enfants, la famille ne s’en vantait pas tant à l’époque… Et ça, c’est déjà si la femme ne l’a pas fait dans l’ombre, ou avec un pseudonyme, étant donné les pressions sociales.
Prenons par exemple Nellie Bly. Journaliste qui a inventé le journaliste d’investigation. Elle a littéralement changé le métier. Pourtant, très peu de livres sur elle, une production sans moyen et avec peu de rayonnement au cinéma… En 2017, il y a une nouvelle avec Christina Ricci dans le rôle principal… On attend encore.
Cette femme a simulé la folie pour enquêter sur les asiles de l’époque, a fait le tour du monde en 72 jours, a dénoncé les conditions de travail des milieux ouvriers, a décrit la politique mexicaine au point de se faire expulser du pays (elle dérangeait) et tellement plus. Elle s’est surtout obstinée à ne pas être confinée à la section «Femmes» des journaux. Très peu de collègues me citent pourtant cette pionnière comme référence.
Ça m’a rappelé une conférence donnée par Catherine Ferland sur des femmes marquantes de la Nouvelle-France. Mon grand constat était que la plupart de ces femmes, je ne les connaissais pas et elles ne sont pas dans livres d’histoire. Et quand les rares qui y sont, c’est souvent le temps d’un paragraphe. Les Augustines ont fondé l’Hôtel-Dieu de Québec et voilà. Comme si leur apport dans le développement de Québec s’était limité à ça.
Parce que non seulement on a invisibilisé la contribution de nombreuses femmes, mais on ne valorise pas non plus cet énorme travail qu’elles ont fait.
J’en reviens à ce chiffre : 83% des pages Wikipédia concernent des hommes. Et là, on pourrait faire le même exercice pour les personnages non-blancs.
Les culottées est disponible en deux tomes, mais c’était aussi, à l’origine, un blogue, que vous pouvez toujours visiter. Ça vous fera au moins 30 femmes que vous connaitrez parmi les centaines d’hommes que l’on connaît déjà.
Voilà pourquoi, Amnistie internationale avec Wikimedia a organisé en mai un « Global Wikipedia edit-a-thon ».
https://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2018/international/marathon-mondial-editeurs-organise-par
Belle initiative! Merci de partager!