La question était plus quand et qui, plutôt que le sujet. Qui allait, en premier, promettre de réduire le temps d’attente aux urgences et quand cette personne allait-elle le faire dans cette campagne? La réponse est François Legault, à la fin mai.
Le chef de la CAQ a promis de réduire le temps d’attente à 90 minutes. Une diminution de 45 minutes par rapport à la moyenne actuelle.
Mais attention, cette promesse parle du temps d’attente pour voir un médecin, pas pour être traité ou pris en charge. Une entourloupette administrative peut très bien permettre de voir un médecin sans pour autant être traité par ledit médecin au moment où il nous voit.
De plus, ceci est une moyenne et n’enlèvera pas les cas de plusieurs heures d’attente pour les cas non urgents.
François Legault a beau avoir l’air neuf et représenter le changement selon lui, reste qu’il a déjà été ministre de la Santé lui-même. Il a peut-être compris depuis des trucs qu’il ne comprenait pas à l’époque, peut-être.
On sait toutefois que cette promesse sur le temps d’attente dans les urgences est une vieille rengaine que tous les partis lancent dans une campagne électorale. Tout le monde a toujours la recette, mais personne n’est encore vraiment parvenu à la réussir, leur recette. Tu as beau promettre avoir la meilleure recette de gâteau au monde, si tu ne parviens jamais à le faire cuir, ça ne peut pas toujours être la faute du four.
Ce qui me chicote toutefois dans cette promesse n’est pas tant le cynisme qu’elle allume comme un gros champignon atomique, c’est qu’elle détourne l’attention de plusieurs problèmes importants dans notre système de santé.
Bien sûr, il faut améliorer l’accès aux urgences, mais c’est tellement, en même temps, un détail dans l’ensemble de notre système de santé.
C’est comme promettre une nouvelle voie sur l’autoroute pour diminuer la congestion. Ça va peut-être marcher, mais pas longtemps, parce que pendant ce temps, on n’aura pas discuté de l’ensemble de la circulation et du transport, de notre mode économique qui a une influence sur le trafic, de notre urbanisme qui influence le trafic, de la pollution, de la santé publique et de plein de sujets importants qui tournent autour du transport.
Ici, c’est un peu la même chose. C’est comme promettre un troisième lien, mais en santé. Vouloir améliorer le temps d’attente aux urgences sans parler de prévention, de santé publique, de notre mode de vie, de stress, de l’ensemble des services de proximité et de premières lignes, c’est juste détourner l’attention.
Même sans parler du système au complet, le simple fait de parler du temps d’attente aux urgences sans parler de problèmes plus graves d’accessibilité est soit du déni, soit de l’aveuglement, soit de l’ignorance.
Oui, on peut attendre longtemps, mais reste que ceux et celles qui attendent longtemps aux urgences ne sont habituellement pas les cas urgents. On ne meurt pas parce qu’on a attendu à l’urgence, en général, au Québec.
Toutefois, on meurt parce qu’on est sur énorme liste d’attente pour une opération. Ça, ça arrive.
On meurt aussi parce qu’on n’offre presque pas de soins en santé mentale. Avoir accès à un psychologue, à un psychothérapeute, à un psychiatre ou à un autre spécialiste de la santé mentale au Québec est super difficile.
L’effet se fait immédiatement ressentir sur les taux de suicide, sur des maladies physiques qui se développent et qu’on doit ensuite prendre en charge. Ça a un impact sur les gens qui doivent soutenir, malgré eux, la population qui vit avec une maladie mentale ou une détresse psychologique.
On meurt aussi parce qu’on ne couvre pas les soins dentaires. Même si de nombreuses études démontrent que la santé buccale a des impacts sur le coeur, sur la santé mentale, sur les maux de tête et j’en passe. Il y a 100 ans, je peux comprendre qu’on considérait les soins dentaires presque seulement esthétiques, mais aujourd’hui, c’est aussi rétrograde que de croire à la phrénologie.
C’est incroyablement sans coeur de laisser la pression économique des soins dentaires dans les mains de la population en sachant qu’une bonne partie n’a pas les moyens de le faire. C’est incroyablement sans coeur laisser une personne souffrir d’un mal de dents parce qu’elle n’a pas les moyens d’avoir un traitement de canal. Et bordel qu’un mal de dents peut faire mal, peut empêcher de travailler, de dormir, de réfléchir, de vivre.
On ne laisserait pas une personne souffrir d’une crise d’appendicite ou d’une crise de foie. Pourquoi accepte-t-on cette souffrance quand il s’agit des dents?
J’aimerais qu’on ait seulement besoin de parler du simple principe que l’on devrait traiter la santé mentale comme on traite l’asthme et de soins dentaires comme on s’attaque aux jambes cassées, mais ce n’est pas le cas. Mais d’un point de vue économique, aussi, ce serait bénéfique.
Ne pas s’occuper de la santé mentale et des soins dentaires a un énorme coût sur notre système de santé – tout problème de santé dont on ne s’occupe pas finit par coûter plus cher, principe de prévention. Ça a un coût sur l’absentéisme, sur l’itinérance, sur la criminalité, sur les organismes communautaires, et j’en passe.
C’est de ça que les partis devraient nous parler. Beaucoup plus que le temps d’attente dans les urgences. Si la politique veut parler d’accessibilité aux de soins de santé, il faudrait parler de ce qui n’est même pas accessible, même après douze heures d’attente dans une salle d’hôpital.
Ça, ce sont les vraies affaires.