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Deux autobus, un journaliste

J’ai l’autobus média de Québec solidaire pour moi tout seul.

Littéralement.

Ce n’est pas parce que je snobe de «petits médias» en ne les considérant pas, ce serait un brin ironique de ma part qui milite pour une plus grande reconnaissance des médias indépendants, ni parce que je ne mentionne pas des blogueurs ou des influenceuses. Je suis tout seul.

Autobus de Québec solidaire
Autobus de Québec solidaire
Autobus des journalistes
Autobus des journalistes

Vous avez dû voir cette invitation de Québec solidaire, d’ailleurs, pour embarquer dans leur autobus de campagne. C’est à la suite de cet appel que j’y suis. Étant principalement journaliste pigiste ces jours-ci, donc travailleur autonome, je pouvais arranger mon horaire afin de monter à bord. Et j’aime couvrir les campagnes électorales.

Je ne peux m’empêche d’y voir plusieurs ironies. Une partie de moi se sent bien mal de créer une si grosse empreinte écologique. Se déplacer, seul, avec une personne de l’équipe de QS, dans un si gros autobus, c’est loin d’être écologique. L’espace n’est pas du tout maximisé.

Avant de blâmer Québec solidaire et de les traiter de faux environnementalistes (si c’est le cas, ça ne sera pas sur ça), il faut comprendre que ça fait partie des exigences médiatiques. Pour que des médias suivent le parti, le parti doit fournir ce type de transport. Pas seulement pour éventuellement en accueillir plusieurs, mais ces autobus sont adaptés pour pouvoir y travailler, avec des tables, zone café, miniréfrigérateur, etc.

La minivan serait plus écologique que l’autobus, mais je ne pourrais pas écrire ce texte sur la route, pas aussi facilement. Je ne pourrais pas traiter des photos (ce que je n’ai pas encore fait, mais éventuellement) ou faire du montage (ce que je ne pense pas faire). Puis le parti loue l’autobus sans savoir préalablement combien de journalistes seront à bord en tout temps.

C’est là qu’on retrouve une autre ironie. La demande d’un tel autobus vient des médias. Les autobus sont fournis par les partis politiques, mais afin de se garder une distance journalistique, les médias ou les journalistes indépendants comme moi paient les frais de ces autobus. Les médias, du moins les grands médias et la majorité, n’embarquent pas si ce n’est pas ce genre d’autobus, pour permettre de travailler même sur la route dans un minimum de confort et de professionnalisme.

Québec solidaire a donc sorti les sous pour fournir cet autobus. Après avoir demandé un autobus, voilà que les médias ne suivent pas plus le parti lorsque celui-ci en propose un.

Je comprends aussi le contexte médiatique. Couvrir une campagne, embarquer dans les autobus, ça coûte cher. Non seulement payer les frais des autobus, des hôtels, les repas et les frais des journalistes, mais en plus, les journalistes font un tas d’heures supplémentaires et ça grimpe vite, 10 000$ par journaliste par autobus selon ce texte d’Alexandre Duval.

Pendant longtemps, les campagnes étaient sur seulement deux autobus, PQ et PLQ. Maintenant, ce serait quatre autobus dans une période où les médias coupent, font moins d’argent, se font vampiriser leurs revenus par Google et Facebook.

Certains médias ont pris cette année le pari d’embarquer dans aucun autobus, comme Le Soleil qui se repose sur La Presse Canadienne – pour les moins initié.e.s, c’est une agence de presse qui alimente plusieurs médias sur pas mal tous les sujets, les médias membres y prennent des textes selon leur besoin.

Sauf que la Presse Canadienne n’est pas plus présente sur l’autobus de Québec solidaire. La PC, comme on dit dans le milieu, part des communiqués du parti, parfois avec un ou une correspondante sur place, mais bien souvent, ça vient des communiqués.

Comment prétendre la même couverture quand, pour trois partis, tu as un.e journaliste qui suit les partis sur la route, partout et en tout instant, et pour un autre, tu ne suis que les communiqués à distance?

Et imaginez les plus petits partis.

Mais d’autres médias ont décidé d’envoyer des journalistes dans les autobus. Défis budgétaires ou non, les médias qui le font pour la CAQ, le PQ, le PLQ, mais pas Québec solidaire, créent un biais dans la couverture médiatique. La couverture peut-elle être équilibrée quand même?

Cela ne suppose-t-il pas un jugement de la part des médias sur le parti? Pourquoi? Pour ses idées? Pour les résultats des dernières élections? Pour les intentions de vote dans les sondages? Le Parti québécois n’a pas plus la possibilité de prendre le pouvoir selon les mêmes sondages et les journalistes sont quand même dans leur autobus. C’est assez aléatoire, tout ça, subjectif. La CAQ a eu une bonne couverture médiatique depuis ses débuts.

Étant donné le nombre de fois que des collègues posent des questions à QS en leur demandant d’expliquer pourquoi le parti n’est pas farfelu, je ne peux que me poser des questions sur pourquoi je suis le seul dans l’autobus. Je considère que tous les partis lâchent des trucs tirés par les cheveux, pourtant, si des journalistes demandent des explications à d’autres partis que QS, ça ne vient pas toujours avec la prémisse «c’est pas utopiste ça?»

Que devra faire le parti pour avoir l’air crédible?

À partir de combien de député.e.s on embarque dans l’autobus d’un parti?