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La grande déception: la discussion qui manque sur l’identité

Si les discours sur l’immigration qui ont été mis de l’avant pendant la campagne électorale de cet automne adoptaient un point de vue plutôt «économique», comme si on accueillait des immigrant.e.s que pour combler les postes que les «de souche» ne voulaient pas faire, tous les partis, ou presque, ont pas mal évité de souffler sur les discours identitaires qui, pourtant, accaparent en général nos propos sur l’immigration depuis plusieurs années au Québec.

Certains partis tentent de se détacher des mouvements comme La Meute, Atalante ou Storm Alliance, mais c’est de leur part hypocrite ou naïf de s’exclure de tous ces discours xénophobes, islamophobes ou racistes. Même si ces partis ne disent peut-être pas tout ce que ces mouvements peuvent promouvoir, ils l’alimentent, sèment certaines des graines d’où poussent ces mouvements.

La grande déception de Francis Boucher, éditions Somme toute
La grande déception de Francis Boucher, éditions Somme toute

Dans le livre de Francis Boucher, La grande déception, mon amie Rachel Hyppolite utilise l’expression «pente douce» pour parler de la distance et de la méfiance qui se crée entre le mouvement souverainiste et les personnes des différentes communautés culturelles, que ce soit des immigrant.e.s, des enfants de deuxième génération, des gens des Premières nations ou des anglophones.

C’est vrai que cette expression représente bien le glissement. Il y a bien quelques événements qui ont donné un élan, qui ont accentué la pente, comme le discours de Parizeau de 1995, le 11 septembre 2001 ou la Charte des valeurs en 2014, mais cette distance repose sur une érosion qui s’accélère, peut-être, mais pas sur une grosse bombe qu’on marque d’un X sur un calendrier.

Souverainiste convaincu qui a travaillé à la promouvoir activement, Francis Boucher a un jour eu le choc de constater que de nombreuses personnes des communautés culturelles associaient racisme et souveraineté. Il ne comprenait pas pourquoi des gens faisaient ce rapprochement.

Au lieu de traiter ces personnes de demeuré.e.s, l’auteur s’est demandé pourquoi cette perception existait. Et si elle reposait sur quelque chose? Francis Boucher a créé cette nécessaire discussion avec les communautés du Québec afin de comprendre. Il a tendu la main et l’oreille. Il s’excuse, aussi, il se désole d’avoir minimisé, par le passé, ces impressions, ces méfiances.

Pour utiliser une image grossière, Freddy ne se demande pas pourquoi il fait peur aux gens, c’est ça qu’il veut. À l’inverse, Solours n’enverrait jamais promener un gamin qui aurait peur de lui. Ce serait stupide. Un Calinours tenterait au contraire d’être encore plus gentil et d’écouter pour faire disparaître cette peur.

Que le Parti québécois ou des membres du parti soient insultés de se faire traiter de raciste par des membres de Québec solidaire ou par des immigrant.e.s membres d’aucun parti politique, je peux comprendre, mais que la réaction qui suit soit de violemment envoyer promener au lieu de se demander pourquoi autant de gens ont cette perception est une attitude franchement puérile et tristement improductive.

Une des personnes interrogées pour ce livre, Preach, raconte un truc qui arrive à n’importe qui au Québec qui n’a pas la peau blanche, peu importe si la personne est née à La Tuque ou à Port-au-Prince. Un truc qui sous-entend une exclusion de l’identité québécoise. «Combien de fois je me fais dire: «Tu viens d’où? De Greenfield Park, madame. Mais non, pour vrai, tu viens d’où?» Toute ma vie, je me suis fait dire que ça. «Ok, t’es Québécois, mais…» Petit mot, ce «mais», mais tellement puissant. Je ne me suis jamais senti inclus.»

Quelques pages plus tard, Rachel Hyppolite raconte la même triste impression que je partageais dans une chronique ce printemps. «Je veux dire, à partir de quand tu cesses d’être un immigrant? Ma mère est ici depuis 1977. Dans les statistiques, elle va toujours être considérée comme une immigrante, même si ça fait 40 ans qu’elle est ici et même si elle a passé plus de temps ici qu’en Haïti, qui serait supposément chez nous…»

Francis Boucher, à travers ses réflexions et à travers les témoignages, nous démontre bien que ce n’est pas difficile pour les immigrant.e.s, ou leurs enfants, de comprendre le combat culturel et identitaire des Québécois francophones, puisque plusieurs ont connu l’oppression dans leur pays d’origine. Mais plusieurs immigrant.e.s ne comprennent pas pourquoi ces mêmes francophones «de souche» n’arrivent pas à transposer cette oppression à celle que peuvent vivre les immigrant.e.s.

La même incompréhension devant les souverainistes qui voient comme une insulte les personnes qui se revendiquent d’une double identité, québécoise et algérienne, québécoise et cubaine, québécoise et haïtienne. «Ce n’est pas une insulte de ne pas se déclarer seulement québécois», écrit avec raison l’auteur.

En plus de prêter l’oreille, un exercice essentiel et nécessaire que Francis Boucher reproche à ses ami.e.s souverainistes de ne pas faire, l’auteur revient sur certains éléments qui ont augmenter la distance entre les communautés culturelles et les souverainistes ou qui ont blessé profondément.

Il revient sur le discours de défaite de Jacques Parizeau le 30 octobre 1995. Un discours qu’il a défendu et qu’il déplore maintenant. L’ancien Premier ministre a un parcours impressionnant, dit-il, sans cacher son admiration pour Monsieur, mais il croit que le mouvement souverainiste ne peut plus diminuer la portée de ce discours. Ce n’est pas que maladroit, ce n’est pas qu’une bévue, ça été un coup de poing pour beaucoup de trop de gens pour le minimiser aussi banalement.

L’auteur se demande, au lieu de tenter d’expliquer ces propos, les défendre, voire même les soutenir, si à la place les péquistes avaient demandé pardon et admis l’erreur, le mouvement souverainiste aurait-il pu rebondir? Le mouvement serait-il revenu encore plus fort? S’entêter à nier qu’on a fait mal finit toujours par faire plus mal que le coup initial.

Le livre revient aussi sur l’épisode de la Charte des valeurs, sur la manière dont le Parti québécois a pris un virage identitaire avec la montée de l’ADQ qui avait terminé à l’opposition en jouant cette carte en 2007.

Selon Rosa Pires, une ancienne du Parti québécois qui a abandonné le navire lorsqu’il a pris ce cap, le PQ a pris cette direction simplement pour prendre le pouvoir. «Quand t’es au pouvoir, comme l’a été le PQ, tout ce que tu veux, c’est gagner. Donc t’es prêt à n’importe quelle ostie de stratégie pour atteindre ce que tu veux, et là tu perds ton monde, tu perds ta vision, tu perds tes valeurs, tu perds tout.»

Francis Boucher a voulu souligner à quel point le Parti québécois était inclusif dans les années 1970. Selon lui, les discours actuels n’auraient jamais passé à l’époque et certains discours de l’époque auraient l’air incongru aujourd’hui ou avec la Charte des valeurs.

Bien que critique du mouvement souverainiste et de sa difficulté à rallier de nouvelles personnes, en particulier les personnes des différentes communautés culturelles du Québec, Francis Boucher livre bien plus un cri du coeur pour l’indépendance qu’un crachat. Il a mal pour son rêve. Il a mal pour ces personnes qui sont blessées par le nationalisme identitaire. C’est un cri de ralliement.

Ce livre porte bien son nom, «La grande déception», parce que c’est ceci qu’on ressent davantage dans les témoignages. Des blessures, des désillusions, mais surtout une tristesse de se sentir rejeté.e d’un mouvement auquel ces gens voudraient participer. Le sentiment d’être trahi.e.

J’ai, ces deux dernières années, essayé à plusieurs reprises de créer des dialogues comme Francis Boucher a fait dans ce livre avec des immigrant.e.s ou des gens de différentes communautés culturelles, et ce que j’ai lu ressemblait à ce qu’on m’a confié en ondes, comme lors de cette table ronde que j’ai retrouvée dans les archives. Il faut plus de discussions comme ça, il faut briser ces chambres d’écho.

Le livre de Francis Boucher s’ouvre avec un extrait d’une excellente pièce de Mani Soleymanlou qui a signé une magnifique trilogie sur l’identité : «Après tout, je suis Québécois, parce que je vis ici. Concrètement, je vis ici, ça va faire presque dix ans que je suis Québécois : permis de conduire, carte de soleil, et là, après près de dix ans au Québec, la madame me dit que j’ai pas les mêmes valeurs qu’elle. C’est ça qui est fucked up. C’est complètement fucked up.»

Tout ça est en effet assez fucked up.

La grande déception
Francis Boucher
Éditions Somme toute