Publié chez Urban Comics, Royal City de Jeff Lemire est un récit bien intimiste malgré la facture et les codes d’un comics.
Un retour à l’histoire intime pour le bédéiste ontarien après avoir signé plusieurs comics (de science-fiction ou de super héros), lui qui s’est fait remarquer par Essex County, une bande dessinée qui nageait dans les mêmes eaux.
Royal City pourrait être n’importe quelle petite ville monoindustrielle nord-américaine, probablement inspirée par celles que l’auteur a connues dans sa jeunesse dans le sud de l’Ontario. Autrefois prospère, l’usine qui était le moteur économique de la ville de quelques dizaines de milliers d’habitants pourrait bien ne pas survivre longtemps. Cette ambiance colle bien à l’état d’esprit des personnages principaux. C’est gris, c’est dur, sans espoir, presque.
Cette trame de fond permet d’unir les protagonistes, même s’ils sont tous de la même famille. Le titre du premier tome de cette série, Famille décomposée, résume bien la situation. Des frères et sœurs qui ne se vparlent plus vraiment ni à leurs parents, des parents qui ne semblent pas particulièrement s’aimer, et ce petit frère décédé et qui les hante tous différemment.
Le premier tome place les différents personnages, le père qui fait une crise cardiaque, la mère austère ou amère, on ne sait pas encore, le fils auteur qui n’arrive plus à écrire, la fille qui tente de relancer l’économie de la ville, l’autre fils coincé dans son alcoolisme et sa toxicomanie. Comment est mort l’autre frère? Pourquoi les deux parents ne semblent plus s’aimer? Pourquoi cette famille est-elle désunie à ce point? Pourquoi tant de morosité dans cette ville? Clairement, Jeff Lemire a voulu placer les intrigues et n’apporter des réponses que dans les prochains tomes.
Il y a une ambiance sociale et économique, et un ton nihiliste, jusque dans le trait et même dans les couleurs choisies – une magnifique palette de couleur, d’ailleurs, à la fois brute et douce –, qui nous ramènent au milieu des années 1990, il y a quelque chose de grunge, de désabusé, de sale, de perdu.
Je ne suis pas un grand fan du style comics. Il y a une utilisation de symbolismes qui, parfois, me gossent, les jugeant faussement profonds. Le recours à des mots en gras dans les phylactères, des dialogues parfois un peu trop carrés, surjoués – ou sur-soulignés, je trouve qu’il manque souvent une fluidité, un naturel, dans les comics.
Néanmoins, malgré quelques reproches dus à ce style, Jeff Lemire a quand même réussi à placer de l’émotion ici et là, à transmettre la détresse de ses personnages, à piquer la curiosité : que s’est-il passé en 1993 à Royal City et à la famille Pike?
Je ne sais pas si ce sera suffisant pour que je cherche à suivre l’histoire dans les prochains tomes. Royal City demeure un bel hybride entre l’autofiction et le comics, et pour ça, Jeff Lemire mérite que des félicitations.
Royal City : Famille décomposée
Jeff Lemire
Urban Comics