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Oui, tu peux garder ta bedaine, Richard

Richard Martineau se demandait, comme plusieurs personnes j’imagine, comment on peut, d’un côté, être pour le body positive, la diversité corporelle ou l’appréciation des corps gros et, d’un autre côté, jongler avec les études qui soutiennent que l’obésité serait un des plus importants problèmes de santé publique.

Je le cite :«D’un côté, on nous dit qu’être gros, c’est beau. Qu’il faut en finir avec les régimes, les diètes et ces appels incessants à perdre du poids. Arrêtez de dire que les gros devraient faire un effort pour maigrir ! […] Mais d’un autre côté, les médecins nous disent que l’obésité est le problème numéro un de santé publique en Occident, et qu’il faut lutter bec et ongles contre cette terrible épidémie. »

Je comprends que les deux peuvent sembler incompatibles, mais pas tant. Il faut lire comme il faut les études, déjà.

Je cite Chantal Blouin, chercheuse et membre du comité scientifique de l’INSPQ, dans un article du Devoir : « Ce qu’on voit, c’est que l’obésité n’est pas due qu’aux seules habitudes individuelles, mais à plusieurs facteurs liés à l’environnement qui font qu’il est plus difficile de bien manger et d’être actif aujourd’hui au Québec qu’autrefois. »

Ce que dit Chantal Blouin est similaire à ce que l’OMS, Obésité Canada et la Chaire de recherche sur l’obésité du Québec avancent, cette idée que nous vivons dans une société obésogène, c’est-à-dire que notre mode de vie encourage la prise de poids et déclenche certains traits génétiques qui resteraient inactifs dans d’autres modes de vie. Et que la honte n’est pas une piste de solution.

Pensons-y un peu : s’il y a trois fois plus de personnes grosses en 2018 qu’il y a 50 ans, ce n’est pas parce qu’il y a trois fois plus de gens paresseux ou trois fois plus de gens niaiseux ou incapables de prendre soin de soi.

Ce que les études démontrent, c’est que la «responsabilité» d’un poids au-dessus de la moyenne ne repose pas que sur les comportements personnels, elle repose aussi sur l’industrie de l’alimentation, l’urbanisme, le transport, l’éducation, le revenu et plusieurs autres éléments qui font partie de notre mode de vie.

Je ne dis pas qu’avoir de mauvaises habitudes de vie n’a pas d’influence sur le poids, je dis que ce n’est qu’un aspect parmi d’autres.

Si c’était vraiment aussi facile que ça suivre un régime – qui échouent plus de 9 fois sur dix, si c’était vraiment aussi facile de juste changer ses habitudes, on n’aurait pas ces statistiques-là!

Les régimes et les autres «programmes» ne fonctionnent tellement pas que la Chaire de recherche sur l’obésité considère que la seule façon de lutter contre le surpoids est une violente chirurgie qui refait le système digestif. Si la médecine croyait que c’était qu’une question de volonté, elle ne passerait pas par là!

Mais même là.

Parler du poids, ce n’est pas parler de la santé de quelqu’un. C’est parler de son apparence. C’est parler de norme sociale ou de moyenne.

La santé est l’excuse pour rabaisser des gens avec bonne conscience. Sinon, les gens minces qui ont les mauvaises habitudes habituellement reprochées aux personnes grosses se feraient tout autant ramasser, ou pointer du doigt.

Tout le monde a des mauvaises habitudes, mais il est bien facile de se cacher sous la vertu lorsque les mauvaises habitudes ne se voient pas. Plus encore lorsqu’on nous colle, à tort, une mauvaise habitude.

Je ne dis pas que le poids n’a pas une influence sur les risques de complications, mais s’arrêter à ça c’est de regarder l’arbre et non la forêt. Et encore, pour que ça ait une influence notable, il faut plus qu’une bedaine ou deux bourrelets. Les habitudes de vie ont une bien plus grande influence que seulement le poids.

Neuf personnes grosses sur dix aux États-Unis auraient reçu des commentaires humiliants sur leur poids provenant de leur famille, de leur ami.e.s ou de collègues.

Non seulement notre mode de vie encourage la prise de poids, mais en plus, ce même mode de vie nous le reproche sans cesse.

Ce n’est pas juste moi qui le dis, des études le démontrent. La honte qui est semée chez les personnes grosses crée ou empire des problèmes de santé, des problèmes qui ne seraient pas apparus si les gens avaient été bien traités, avec dignité, si on avait vu un humain au lieu d’un poids.

Savez-vous ce que ça fait, la honte? Ça ne donne pas le goût de s’aimer, ça ne donne pas le goût de prendre soin de soi.

Changer ses habitudes, ça demande parfois de la résilience. Mais la vie est rarement bien faite de même, les gens ont rarement juste ça à combattre.

Parfois, la personne grosse doit en plus être résiliente devant les humiliations. Parfois, elle doit aussi être résiliente d’être une femme. Parfois, elle doit aussi être résiliente d’être pauvre. Parfois, elle doit aussi être résiliente d’être dans un milieu familial ou un environnement social malsain. Parfois, elle doit aussi être résiliente d’être une minorité visible. Parfois, c’est une maladie mentale. Parfois, c’est un contexte professionnel toxique. Parfois, elle demeure dans un désert alimentaire. Parfois, c’est le poids de la solitude. Parfois, elle doit être résiliente après un traumatisme.

Parfois, changer ses habitudes n’est pas la priorité dans la liste des choses qui sont à changer dans la vie d’une personne. Parce que la personne doit juste survivre, déjà. Et essuyer les crachats qu’elle reçoit au visage.

C’est pour ça, Richard et les autres, que le body positive, ou la diversité corporelle, ou tout ce mouvement qui réclame le droit d’être beau et belle, d’être bien dans son corps, d’être digne, ou la fat justice, tout ça ne va pas à l’opposé de ce que les études de santé publique peuvent dire, malgré parfois leur violence envers nous, les personnes grosses, mais est, au contraire, une voie incontournable pour une bonne santé publique!

Que l’on considère l’obésité comme une maladie ou non, tout le monde mérite le respect. Il n’y a pas de bons et de mauvais malades.

Et même si vous pensez vraiment que tout ça ne dépend que de la volonté personnelle… La première chose que font les A.A et d’autres programmes similaires est d’apprendre à se pardonner et à s’aimer. Mais comment peut-on s’aimer si on nous traite constamment comme des déchets, des moins que rien?

La honte ne guérira jamais rien. Ni la maladie. Ni les blessures. Ni les comportements. Ni les cicatrices. L’amour et le respect, c’est pas mal la base, toutefois, pour tous changements sociaux et personnels.

Ce n’est pas à l’obésité qu’il faut faire la guerre, c’est aux milieux malsains, à la pauvreté, à la discrimination, au manque d’éducation populaire et à tellement de facteurs qui poussent certaines personnes à avoir de bonnes ou de mauvaises habitudes, à s’aimer ou à se détester.

Pour répondre à ta question, Richard, si tu te sens bien avec ta bedaine et que tu as de bonnes habitudes, que tu es à l’aise dans ton corps et dans ta tête, alors, oui, tu peux garder ta bedaine. Mais dans le fond, malgré les études et ce que je viens de dire, ta bedaine, ça demeure plus de tes affaires que des miennes!