«En temps de guerre, on ne regarde pas qui fournit les balles, on tire» a dit l’ancien politicien Jean Pelletier à Gilbert Lavoie. Le chroniqueur nouvellement retraité a raconté cette anecdote lors d’une rencontre sur ses 50 ans de carrière pendant le congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) qui avait lieu en fin de semaine à Québec.
Lorsqu’on se débat pour survivre, on peut aussi s’accrocher à tout et à n’importe quoi, tant que ça permet de survivre. Réflexe tout à fait normal. L’instinct de survie est fort.
On s’accroche aux espoirs. On multiple les prises. On contre-attaque. Des fois en pilant sur un voisin qui se débat lui aussi pour survivre. Un peu comme à la guerre, parfois, on ne regarde pas d’où viennent les balles, on tire sur ce qui nous frappe.
C’est cette image qui m’est venue en tête en écoutant quatre patrons et une patronne de presse raconter leur stratégie pour survivre. Et ce n’est pas juste eux. Tout le monde multiplie les tactiques et les stratégies pour trouver le financement qui permettra de continuer. Les gros comme les petits joueurs.
Je viens de passer trois ans à réfléchir à des solutions dans une radio indépendante. Je suis bien conscient des enjeux concrets, au-delà des idées théoriques et des principes.
La situation est si fragile, voire précaire, que certaines directions peuvent passer plus de temps à faire du lobbying, du démarchage, du financement, que de la gestion d’une salle de nouvelles, que gérer l’information ou un média.
Ainsi, d’un côté, Brian Myles du Devoir, Claude Gagnon de Capitales Médias, Florence Turpault-Desroches de La Presse, Benoit Chartier de Hebdos Québec et de DBC Communication et Andrew Mulé de Métro Média, bref tout le monde qui était sur le panel «Le bon journalisme sera-t-il suffisant pour traverser la tempête ?» a salué que le gouvernement fédéral considère maintenant l’information comme un bien public.
Mais pendant une bonne partie du panel, voire la majorité, chacun et chacune a aussi expliqué toutes les stratégies pour affiner l’information comme un produit. Mieux cibler le lectorat, mieux associer du contenu à des annonceurs, s’unir pour lutter contre le GAFA et j’en passe. Tout ça ne fait qu’amener plus loin encore l’information comme un produit de consommation.
À mes yeux, et je ne pense pas être le seul à le penser selon les conversations eues pendant ce congrès, je vois mal comment on peut, d’un côté, vouloir convaincre que l’information est un bien public et, d’un autre côté, pousser plus loin le modèle de l’économie de marché – qui nous a amené dans ce cul-de-sac, cette «crise» sans fin.
Je comprends bien que tant que le soutien de l’état ne sera pas suffisant, les médias doivent bien continuer à se financer. Je suis conscient que le changement politique peut être long et ardu. Je sais aussi que cette idée d’un soutien de l’état ne fait pas l’unanimité au sein du milieu.
Selon moi, plus cibler, encore plus nicher les contenus, les arrimages avec les départements de vente – qui ne sont pas le mal – risquent bien plus d’influencer ce qu’on couvrira et ce qu’on ne couvrira pas qu’une aide publique. Ce n’est pas un parti politique qui donne des sous ou des crédits d’impôt, c’est la population.
Le hic que je vois dans tout ça, c’est que tant qu’on reste dans une perspective de produit de consommation, la compétition planera toujours, incitant à tirer la couverte de son bord. Devant le public, les grands médias disent faire front commun pour convaincre les gouvernements. Mais selon des échos que j’ai eus en privé, l’union n’est pas si forte et si un média peut en profiter plus qu’un autre, il sera bien content.
L’aide annoncée par le gouvernement Trudeau est bien sympathique, mais pour le moment, on parle de «presse écrite». Qu’en est-il pour les journalistes pigistes? Pour les radios? Pour les médias web? Les médias indépendants? Pour les magazines?
Le comité qui réfléchira sur comment attribuer les sommes doit être formé, peut-être que ce sera un comité élargi, mais les inquiétudes de certains de ne pas être représentés sont légitimes, même sans vouloir prêter de mauvaises intentions aux grands joueurs.
L’idée est de sauver son média ou de sauver l’information? Parce que ce sont deux choses bien différentes. L’union mise de l’avant est apparue davantage devant l’impossibilité de s’en sortir chacun dans son coin que par principe.
Il y a plusieurs luttes à mener au nom de l’information comme bien public. Comme exiger au GAFA de payer des taxes et des impôts comme toutes les autres entreprises. Inclure les fournisseurs d’Internet au financement du Fonds canadien des médias. Se soucier du droit d’auteur bafoué sans gêne par tout le monde – je pense depuis longtemps qu’il faudrait une sorte de SOCAN pour les médias et les journalistes / producteurs de contenu.
Les stratégies pour garder, voire retrouver des annonceurs ne sont pas mauvaises en soi, mais c’est du court terme, et surtout, n’est pas l’avenir du financement des médias. Comme un troisième lien, cette voie ne fera que repousser temporairement les problèmes. Je doute que les médias retrouvent cette manne financière que les ventes publicitaires ont déjà été. Cette époque est révolue.
Du moins, cette voie des revenus publicitaires ne pourra plus fonctionner pour tout le monde. Comme le modèle sur les abonnements ne peut fonctionner pour tous les médias, ou les adhésions, ou les dons. Ce sont des avenues limitées et qui peuvent être des solutions individuelles, mais pas universelles, pour l’ensemble des médias au Québec et au Canada.
J’avais l’impression, parfois, d’entendre des stratégies de développement de n’importe quelle entreprise, sauf que l’information, même si on la considère comme un produit, n’est pas un produit comme les autres. Bien sûr qu’il faut rejoindre les gens, mais pourquoi? Pour mieux réaliser son rôle de 4e pouvoir ou pour être encore plus rentables? Quel est le mandat premier d’un média?
Je suis persuadé que toutes les personnes au panel veulent la pérennité de l’information. Mais si les stratégies partagées vont peut-être sauver leur média, je doute que ça puisse sauver l’information, ce bien public essentiel d’éducation populaire, de contre-pouvoir et de représentativité.