Comme bien des gens, le terme «influenceur» ou «influenceuse» m’énerve un peu. Ça ne veut pas dire grand-chose. Ça sonne comme formule creuse de marketing, et, justement, c’est souvent en marketing que ce mot est utilisé.
Pendant sa présentation au congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) en fin de semaine, Yannick Pinel, Directeur de la stratégie éditoriale, Médias numériques de Radio-Canada, a bien résumé le truc, en rebondissant sur [youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=lLE3LRuD31Q »]des propos d’Émile Roy[/youtube] : les «influenceurs» et «influenceuses» sont avant tout autre chose. Des vlogueurs, des productrices de contenu, des chroniqueurs, des animatrices, des humoristes et autres.
Pierre Bourgault avait pas mal d’influence, même s’il n’a jamais collé à cette image d’un «influenceur». Patrick Lagacé, journaliste, chroniqueur et animateur, a pas mal de «reach» aussi, et même au-delà du web. Je vois plus PL Cloutier comme un animateur ou un entertainer qu’un «influenceur». Et Manal Drissi comme une chroniqueuse bien avant d’être une «influenceuse», même si elle est «née» sur le web.
Je dois bien avouer aussi que la conception derrière ce mot me confronte. Pas parce que je snobe ces vedettes du web ou ce qu’elles produisent comme contenu, au contraire. Il y a du bon et de la bouette partout, dans les grands médias, comme dans les indépendants et sur YouTube ou les réseaux sociaux. La plateforme et la forme ne sont pas garantes de la qualité.
Plus encore, derrière ces approches très jeunes et «cool» peut se cacher pas mal de contenu. La rigueur peut être là même en changeant la façon de présenter les contenus. Être «cool» ne veut pas nécessairement dire être laxiste sur les faits ou dans sa recherche, au contraire. La crédibilité n’appartient pas qu’aux tons sérieux ou froids.
J’ajoute même une autre couche, même si ça me fait regarder croche par certain.e.s journalistes, mais il y a du contenu considéré journalistique qui se fait doubler sur la profondeur et sur la qualité par des producteurs de contenu ou des «influenceuses».
Bien sûr qu’il y a des personnes sur YouTube ou dans leur «stories» qui font n’importe quoi, mais des journalistes qui tournent les coins ronds ou qui produisent du vide, il y en a aussi. Il y a des chroniqueurs considérés «émérites», qui, selon moi, discréditent pas mal plus leur média que pourraient le faire plusieurs «influenceurs». Je le répète, la vertu et la qualité n’appartiennent à aucune plateforme.
Ce n’est pas non plus parce que j’ai un malaise dans les rares fois qu’on m’approche pour utiliser mon réseau et pour pousser des trucs que le terme me confronte. Ce n’est pas comme si certaines médias ne faisaient pas la même chose. Je tiens jalousement à mon indépendance, de toute façon.
En fait, ça me confronte parce que j’ai toujours mené mes affaires en faisant profil bas. Mes premières années dans les médias, je ne signais même pas mon nom complet. J’ai toujours eu de la difficulté avec le culte de la personnalité.
J’ai toujours eu tendance à m’effacer au sujet. Je suis toujours déchiré entre attirer l’attention sur le contenu que je produis comme chroniqueur, journaliste, animateur ou réalisateur, et mon désintérêt total de devenir une vedette.
Ça ne m’empêche pas de penser que plusieurs médias gagneraient à s’influencer davantage de ces façons de faire.
Quelle est la mission d’un média? Informer – en vulgarisant, en racontant, en expliquant. Remettre en question – en pointant du doigt, en doutant, en questionnant. Témoigner – en observant, en donnant la parole, en diffusant. Le tout avec une certaine déontologie, une rigueur concernant les faits.
Il y a plusieurs façons de témoigner, de remettre en question et d’informer. Plusieurs «influenceurs» et «influenceuses» le démontrent. Et on le voit aussi dans de récentes déclinaisons, comme le «Pharmachien» ou «Tu mourras moins bête», ou «Les brutes», ou «Patriot Act», ou «Brut». C’est parfois baveux, parfois décalé, souvent punché, souvent dynamique, parfois concis, mais ça informe!
Je ne crois pas que les médias doivent ne faire que du AJ+, que du Rad, que du Urbania ou que du Sac de chips, loin de là, ni de prendre Émile Roy et l’insérer tel quel à LCN entre La Joute et Denis Lévesque, mais les médias doivent intégrer ces approches.
On ne fait pas les journaux, ni les téléjournaux, ni la radio, de la même manière qu’il y a 40 ans, 70 ans ou 100 ans – pour les formes qui existaient à cette époque.
À 23 ans, je lançais un webzine culturel, parce qu’elle était là, la nouveauté, en 2005. À ce moment-là, c’était ça le far west à conquérir. Si j’avais 15 ans de moins, j’aurais probablement commencé à produire des trucs sur les réseaux sociaux plutôt que coder un site web dans un notepad pour parler de musique ou de trouver des manières de faire de la radio en ligne – c’était avant les podcasts.
En 2012, je passais d’une radio privée à Radio-Canada. Je me souviens qu’un de mes collègues m’avait demandé comment allait être mon approche à la radio publique que lui trouvait endormante. Je le pensais déjà et j’y crois toujours : un sujet peut être pointu et rigoureux et être intéressant. Être pertinent et intelligent, mais sans être drabe, ça pas mal toujours été mon leitmotiv.
Ai-je besoin de dire à quel point les styles hybrides, les longs formats, le storytelling et toutes ces patentes m’allument?
L’idée n’est pas d’être cool pour être cool. C’est facile avoir l’air d’une Jocelyne Letendre ou de tomber dans le [youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=kMk9Cq3d4KM »]Zoumbadouwow pifpif[/youtube]. L’affaire c’est d’être pertinent… et intéressant. Et pour une bonne partie du public, être intéressant veut dire de présenter les choses autrement.
Surtout, le plus important pour les médias, c’est de ne pas snober ces mouvements créatifs et savoir aller y piger ce qui peut être transféré dans la production journalistique ou médiatique.
Ces jeunes producteurs et productrices de contenu me confrontent et c’est tant mieux, parce que ça m’inspire aussi.