Un jour, gamin, quelqu’un dans ma famille était bien stressé de peut-être arriver en retard à un souper familial. Selon cette personne, arriver en retard n’allait pas être respectueux envers les hôtes.
En théorie, l’idée se défend, sauf que c’était ce genre de réunions familiales où les gens peuvent arriver quelque part dans l’après-midi, idéalement avant le souper. Donc, ce n’était pas comme un rendez-vous fixe pour une entrevue d’embauche, disons. Le concept de «retard» était flou.
Sortir cette raison particulière m’avait bien marqué parce qu’au même moment, ladite personne sacrait après une autre personne de la famille pour qu’elle se dépêche. J’étais frappé par l’ironie de manquer de respect à quelqu’un afin de ne pas manquer de respect à d’autres.
Puis je me suis souvenu toutes ces fois où des gens parlaient dans le dos des autres, ou insultaient un.e inconnu.e dans la rue, dans un commerce, une personnalité publique, et toutes ces fois où, en fait, le respect prenait le bord pour peu.
C’est à ce moment-là que j’ai distingué, dans ma tête, la politesse et le respect. Parce que bien du mépris peut se cacher derrière un gros sourire.
J’ai, aussi, fini par faire une différence entre l’égo et le respect. Parce que finalement, les fois où le respect devenait important, c’était souvent pour bien paraître. Ces fois où nos actions répondent plus à «de quoi je vais avoir l’air» qu’à un réel respect envers l’autre.
Comme j’étais encore assez jeune, huit ou neuf ans, j’ai fait un raccourci où le décorum et la politesse étaient hypocrites. Et je l’ai pensé longtemps. Si j’ai toujours tenu et insisté sur le respect des autres, j’ai longtemps envoyé promener le décorum. Le respect que je veux témoigner aux gens, je veux qu’il soit de fond et non de façade.
Je témoigne, ou du moins, j’essaie, de présenter le même respect à tout le monde. Que tu sois un commis de dépanneur ou un ministre, que tu sois une autrice ou une pdg, je m’en fiche, j’agis de la même façon, avec la même déférence. Tout le monde est digne de facto – ou a priori.
À mes yeux, il est troublant de voir dans la parure d’une personne un manque de respect envers autrui. Costume ou pas, vouvoiement ou tutoiement, langage soutenu ou familier, bienséance ou vulgarité, tout ça n’est pas une attaque envers les autres, c’est juste une manière d’être, qui parfois relève de la personnalité, parfois de l’éducation, parfois de l’environnement social et autres.
Ce qui est un manque de respect, c’est de couper la parole, c’est de ne pas écouter, c’est de ne pas considérer, c’est de ne pas prêter attention, c’est de voler, c’est de piler dessus, c’est d’injurier, c’est de rabaisser.
Je n’aime pas les catégorisations, mais reste que dans ma vie, j’ai vu plus de respect de fond dans les milieux modestes que chez les élites. Les élites ont un beau respect de façade, mais l’étiquette ne réussit pas à cacher le mépris derrière les mots, derrière les regards, derrière les gestes.
Si bien que j’ai pendant quelques années eu des préjugés envers les personnes qui projettent cette image élitiste. Jusqu’à ce que je connaisse des gens avec un décorum large comme mon bras, mais profondément respectueux, super humains.
Le respect de façade se retrouve partout. À la fin de mon adolescence, ou au début de ma vie adulte, en me tenant avec des gens avec qui je pensais partager des valeurs égalitaires, j’ai vu une autre forme de respect de façade. Des gens qui vont faire de grands discours de justice sociale… mais qui agissent en trous du cul dans leur vie. Je ne parle pas ici d’hypocrisie, mais d’une absence de cohérence entre la vision collective et les gestes quotidiens. Prôner l’équité salariale, mais être macho, par exemple. Un double standard.
Avec le temps, j’ai fini par mettre des nuances dans tout ça. Le respect n’est pas dans le style ou la manière, mais dans l’ouverture et l’inclusion.
Je n’ai toujours pas de complets dans mon garde-robe, mais j’essaie de ne plus m’habiller tout croche juste pour faire un pied de nez au décorum. Ceci dit, ce sera la même chemise «propre», pour autant qu’elle l’est, au bureau, dans un mariage ou pour donner une conférence. #simplicitévolontaire
J’ai toujours de la misère avec le décorum et les protocoles en général, mais je ne me bats plus nécessairement contre. Je peux même dire que certains codes sont utiles. Le décorum a sa place s’il sert au respect, au dialogue, à l’écoute, aux échanges. Si le décorum n’aide pas à ça, il est inutile – et je risque de m’en moquer un peu.
Peu importe notre position face au décorum, il ne faut toutefois pas oublier que se battre pour le garder tel qu’il est n’est pas moins obtus que se battre à tout prix contre celui-ci.