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Survivalisme économique

La fin de la période pour vos REER approche! Vous devez déjà le savoir. Parce que si vous avez les moyens d’épargner, votre banque ou votre caisse vous a sûrement contacté. Sinon, c’est l’une des publicités qui jouent ici et là.

Vous êtes peut-être aussi tombé sur un dossier spécial dans les médias. C’est un classique de février. Après l’amour, la retraite. Tout en soulignant l’effort des collègues de L’actualité pour en parler autrement, j’avais quand même l’impression de lire les mêmes affaires que je lisais lorsque j’étais ado, il y a une vingtaine d’années, dans le même magazine.

Ce n’est pas de leur faute, la situation n’a pas tant changé : les gens, au Québec, ne mettent pas assez d’argent de côté pour leurs vieux jours. Quoique ce n’est pas tant différent ailleurs sur la planète. La plupart du monde en Occident est surendetté ou ne gagne pas assez pour épargner.

En fait, ça a changé un peu, à cause de la crise de 2008, à cause du vieillissement de la population, à cause du filet social qui a diminué depuis une vingtaine d’années, à cause de la précarité d’emploi. Mais le fond du message reste le même, un peu comme avec le réchauffement climatique. Les avertissements sont les mêmes depuis un sacré moment, mais on adapte les discours selon la mise à jour des données.

Que ce soit en lisant ce dossier dans L’actualité, ou dans Le Devoir, il m’est resté cette même impression : pourquoi tout ne semble reposer que sur les épaules des gens?

Ce n’est pas que les conseils soient mauvais en soi, mais il me semble que tout ça ne couvre qu’un aspect de la question.

C’est un peu comme les conseils qu’on donne aux filles pour affronter les agressions. Que les conseils soient bons ou niaiseux, il me semble que diminuer le nombre d’agressions serait plus bénéfique qu’en ajouter sur le dos des victimes.

Avec le krach de 2008, ce sont principalement les gouvernements, les travailleurs et les travailleuses qui ont sorti les sous pour éponger les pertes et refinancer les régimes de retraite, même si ces pertes n’étaient pas leur responsabilité, mais bien celle des systèmes bancaire et financier. Et ce, en plus, même si cela est venu, dans certains cas, casser le deal initial, brisant des ententes salariales entre employé.e.s et employeurs.

Malgré tout, les seules remises en question qu’on voit dans ces dossiers portent sur les gestes citoyens : épargnez mieux, budgétez mieux, préparez mieux votre futur.

Dans Le Devoir, par exemple, on présente quelques exemples de personnes qui ont réussi à épargner beaucoup, rapidement, afin d’avoir une retraite jeune. On salue l’idée de la simplicité volontaire, de ne pas s’endetter pour rien, de vivre autrement, mais ces exemples ne peuvent pas devenir la norme – pas dans notre système actuel du moins. Ce sont des exemples anecdotiques, des exceptions.

Toujours dans ce dossier, on répète que la génération Y a une autre relation avec l’emploi, qu’elle est moins fidèle à l’employeur, que l’emploi n’est plus la raison d’être. C’est sûr! La sécurité d’emploi n’existe pratiquement plus. J’ai 17 ans de métier dans les médias et la seule fois où j’ai eu une permanence est l’exception qui confirme la règle. Et cette permanence ne protège pas des nombreuses compressions massives qui existent dans tous les domaines. La génération Y serait idiote, dans ce contexte, de baser sa vie sur une fidélité à l’employeur. Ce serait comme un joueur de la LNH qui espérerait jouer toute sa carrière dans la même équipe – ça n’existe pratiquement plus.

Dans une entrevue dans L’actualité, le comptable-chroniqueur-animateur Pierre-Yves McSween soutient, après quelques mots sur le fait que des gens sans malchances font de mauvais choix :«La seule façon de ne pas être trop victime de l’injustice du monde, c’est de ne pas embarquer dans le bateau de la consommation.»

La seule façon? Vraiment? Aucun choix politique ne pourrait diminuer les injustices? On remet en question les choix individuels, mais pas les choix collectifs? On fait quoi avec ceux et celles qui commencent leur vie avec aucun capital (humain ou financier), qui subissent un environnement hostile, qui étouffent?

Il y a peut-être quelque chose qui ne marche plus dans le deal de la retraite. Le repos «mérité» après 30 ou 40 ans de contribution à la société n’est pas là. Pour la majorité, ce travail se fait à un salaire qui leur permet tout juste de vivre décemment – pour d’autres, ce sera une vie de misère. Les employeurs financent de moins en moins les régimes de retraite. L’État ne veut pas trop s’engager, au contraire. Le deal existe-t-il vraiment encore?

Pour réussir ce deal de la retraite, les travailleurs et travailleuses doivent vivre à contre-courant de la société : résister à la société de consommation, résister à l’endettement, résister aux promesses sociales non tenues, résister aux erreurs des milieux financiers, résister aux malchances. Ou avoir un bon alignement de planètes.

Dans son entrevue, Pierre-Yves McSween reconnaît qu’il y a des injustices, que certaines personnes tirent des cartes «malchance», comme au Monopoly. Sauf que la vie n’est pas un jeu, c’est du stress, de la pauvreté, de la discrimination, de la précarité, des vies en danger.

Ces injustices, ou ces «malchances», sont de véritables cercles vicieux. Plus tu es pris dedans, moins tu peux t’en sortir, moins tu as d’options.

En début d’entrevue, le comptable vedette dénonce, d’une certaine manière, la société de consommation. «Comment veux-tu te battre seul contre des années de brainwashing?» dit-il, soutenant que dès notre enfance on rêve de posséder des choses.

C’est difficile sortir de cette mentalité, en effet, mais c’est loin d’être le plus dur, ni le plus majeur. Pas besoin de me convaincre de la simplicité volontaire – jusqu’à récemment, tous mes avoirs entraient dans une minivan. Sauf que cette société de consommation s’inscrit dans un mode de vie plus large, dans des choix politiques plus grands.

Vous savez, ces films post-apocalyptiques? Il y a toujours un héros ou une héroïne qui a développé tous les trucs pour survivre, pour avoir une vie sécuritaire malgré la cruauté de l’environnement. C’est un peu comme ça que je vois les témoignages dans Le Devoir ou les conseils de Pierre-Yves McSween. Tout ça est une forme de survivalisme économique. C’est pragmatique, c’est réaliste, mais c’est insuffisant.

Il faut pas juste des trucs pour survivre, il faut aussi changer cet environnement hostile. Nous ne sommes pas encore dans un monde apocalyptique, on peut encore améliorer notre société.

C’est insensé que les solutions ne passent que par des choix individuels. On subit les contrecoups de choix collectifs, il faudrait aussi des remises en question collectives.

Si autant de gens se noient dans leurs finances, c’est qu’il faut peut-être plus que des cours de natation.