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L’Est a besoin d’un troisième lien ou d’un nouveau traversier?

Quel vaudeville la traverse Matane-Baie-Comeau-Godbout, hein? En fait, même dans un vaudeville, on trouverait ça un brin exagéré. Pourtant, derrière les incroyables déboires du Apollo, du F-A Gauthier et du feu Camille-Marcoux se cache des régions isolées, abandonnées et pénalisées.

Le bateau qui devait remplacer le traversier neuf qui n’arrête pas d’avoir des problèmes vient d’être envoyé à la poubelle, après avoir frappé deux fois des quais. On rit, mais ce n’est pas drôle. La saga dure depuis 2012.

Pour ceux et celles qui n’ont aucune idée de quoi je parle, déjà, il faut savoir qu’il y a une traverse qui permet de passer de la Gaspésie à la Côte-Nord sans devoir passer par Québec. Le bateau relie Matane à Godbout et à Baie-Comeau (en alternance). Cette traversée de plus de deux heures (le Saint-Laurent est fichtrement large rendu là) permet aux gens de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie d’aller sur l’autre rive sans faire les dix, douze ou seize heures de route qu’il faudrait faire en passant par Québec. Sauf que les traversiers tombent continuellement en panne.

C’est la seule traverse qui est disponible toute l’année, qui est capable de traverser sur un estuaire agité et capable de prendre un si grand nombre de voitures, camions remorques et passagers. C’est un élément essentiel à l’économie de l’Est-du-Québec et même à l’occupation du territoire.

Pour dire à quel point ce lien fluvial est important, la Société des traversiers du Québec (STQ) a offert cet hiver des billets d’avion pour compenser lorsqu’il y a une interruption de service. Elle a annoncé des compensations d’un demi-million de dollars pour les clients qui n’ont pas pu compter sur la traverse cet hiver. C’est dire son importance pour l’Est-du-Québec.

Il existe d’autres traverses, dans l’Est. Il y a un lien Trois-Pistoles-Les Escoumins, Rivière-du-Loup-St-Siméon et Rimouski-Forestville. Sauf que ces liens ne fonctionnent pas l’hiver, plusieurs annulent la traverse dès qu’il y a une houle trop forte et ne sont pas gérés par la STQ. Rien contre le privé, mais avec la STQ, le lien relève du gouvernement et devient un service (presque) essentiel, faisant partie, d’une certaine manière, du réseau routier. Le ministre des Transports, François Bonnardel, a d’ailleurs soutenu que c’était l’équivalent d’une autoroute pour l’Est.

Devant cette saga aussi ridicule que dramatique, je ne peux que penser à l’un des arguments pour le troisième lien à Québec qui veut qu’un pont (ou un tunnel) à l’est de la ville aiderait à stimuler l’économie de l’Est-du-Québec et ferait économiser du temps et des sous aux camionneurs qui doivent passer par Québec lorsqu’ils doivent aller dans l’Est… (Gosselin ici Lehouillier ).

Dans les arguments «pour» le troisième lien, il y a l’idée que c’est une infrastructure pour tout l’Est-du-Québec. Comme si un pont à Québec pouvait avoir un impact pour quelqu’un à Baie-Comeau, Sainte-Anne-des-Monts ou Le Bic.

Je pense qu’il faut n’avoir jamais vécu dans l’Est pour croire qu’un pont devant l’île d’Orléans serait considéré comme gagner du temps quand tu arrives de la Côte-Nord ou de la Gaspésie. Gaspé-Québec, c’est huit heures de route. Sept-Îles-Québec, huit heures de route, aussi.

Un camionneur qui doit faire Gaspé-Saguenay en aurait donc pour dix heures de route, en passant par Québec. Est-ce que le vingt minutes «économisé» avec un troisième lien à l’est aurait vraiment un impact sur une telle distance? C’est de l’économie de temps et d’argent de bout de chandelle.

Toutefois, si le camionneur pouvait prendre la traverse Rimouski-Forestville, il pourrait gagner une heure (en plus d’une pause de conduite sur la traverse). Là, ça commence à être profitable.

Où je veux en venir avec tout ça? On a présentement trois régions très dépendantes d’un traversier qui peut visiblement tomber en panne souvent. Et malgré des années de pannes et de problèmes, la STQ et le gouvernement ont niaisé avant de prendre un plan B dans l’urgence (et de se faire avoir).

Donc, d’un côté, on a un gouvernement qui n’a vraiment pas la note de passage pour la gestion de ce lien majeur de l’Est-du-Québec et, d’un autre côté, on a un argument de développement économique pour l’Est avec un pont à Québec, comme si ça allait avoir un impact au-delà de Montmagny.

Si j’étais encore un Nord-Côtier (mon coeur l’est encore), j’aurais l’impression de me faire niaiser. En cas de panne du traversier, bien franchement, la présence d’un autre pont à Québec ou non ne change pas grand-chose au problème.

Si vous sondez des gens qui habitent le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie ou la Côte-Nord, ils voudront un traversier fiable, déjà, bien avant un autre pont à Québec. Et plusieurs vont même ajouter qu’ils aimeraient ça qu’il y ait une autre traverse à longueur d’année et de plus grande capacité dans l’Est. Un deuxième lien fluvial. Pas seulement pour palier lorsqu’un bateau a besoin de réparations, mais aussi pour faciliter les transports dans l’Est. Parce qu’en plus de souvent tomber en panne, la traverse Matane-Baie-Comeau-Godbout est bien à l’est. Il y a quand même 400 km entre Matane et Québec, une autre traverse au milieu, ça faciliterait bien des choses.

Un nouveau pont à Québec, peu importe où dans la ville, ne changera pas grand-chose pour le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et la Côte-Nord. Le vendre comme une infrastructure pour l’Est, c’est étiré l’élastique pas mal fort. Mais un nouveau traversier fiable, à Rivière-du-Loup, par exemple, là, on parle. Ça, ça viendrait soutenir l’économie de l’Est et faciliterait les liens entre les régions de l’Est, y compris le Saguenay. Ça permettrait aux gens de plusieurs régions d’éviter de faire un détour par Matane ou par Québec afin de traverser le fleuve. Et si j’étire moi aussi l’élastique, peut-être même que ça diminuerait le nombre de camions sur le pont Pierre-Laporte!

D’ailleurs, la traverse de Rivière-du-Loup a doublé son achalandage en décembre, avant d’arrêter pour l’hiver. Pendant les déboires de Matane-Baie-Comeau-Godbout, comme par hasard…

Je dis tout ça comme si on était dans un brainstorm. C’est juste que je pense que les gens de l’Est-du-Québec sont un peu tannés d’être coincé dans un vaudeville.