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L’information, ce n’est pas pour faire plaisir

«La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat.» – Hannah Arendt

Transparence totale pour ceux et celles qui ne le savent pas, en plus de chroniquer au Voir, je travaille aussi au Soleil, ce quotidien faisant partie du Groupe Capitales médias qui vit un moment charnière, sans aucun doute.

Honnêteté tout aussi entière, je ne parlerai pas des possibles scénarios qui se dessinent pour mon média et encore moins sur ceux qu’on ne devine pas ou qui ne sont que spéculation. Je ne veux pas non plus parler que du Soleil et des autres journaux du groupe.

Ce qui arrive au Soleil en ce moment se vit dans presque tous les médias et c’est de ça que je veux parler. Faire un pas de recul.

Parce que j’en ai traversé des crises depuis que j’ai mis les pieds dans l’univers médiatique, il y a 17 ans. J’ai bossé dans un hebdomadaire pendant la guerre des hebdos. Je travaillais à Radio-Canada pendant les vagues de compressions. J’ai oeuvré à la reconstruction d’un média indépendant qui venait d’éviter la faillite. J’ai lancé un webzine culturel en 2005 (allô le virage numérique!). J’ai collaboré dès les premiers instants à des médias naissants comme BangBang et Ricochet. Depuis que j’écris au Voir, je l’ai vu passé d’un hebdo à un magazine papier à un magazine web. La moyenne de mes tarifs comme journaliste à la pige n’a pas augmenté d’une piasse. Ma carrière n’a été qu’une succession de lieux en métamorphoses.

Et ça, c’est sans parler de tous les chamboulements que j’ai vus se passer autour de moi, dans les autres médias où je ne travaillais pas.

Je peux vous le garantir, partout où j’ai travaillé, que ce soit dans un petit média indépendant ou un gros média, tous font face au défi de survivre et de trouver du financement. Si certains ne sont peut-être pas dans le rouge, aucun ne peut se péter les bretelles ou s’asseoir sur ses lauriers. C’est un exercice continu, à répéter et à renouveler. Au moindre relâchement, c’est le retour au rouge assuré – même avec des efforts, l’encre verte n’est pas garantie. La marge de manoeuvre est super mince pour tout le monde. Gérer un média depuis quinze ans est comme marcher sur un fil de fer.

Appeler ça la «crise des médias» est maintenant un peu ridicule. Une crise, c’est temporaire. Là, c’est une tendance si forte que je doute vraiment, personnellement, qu’elle soit réversible.

Pourtant, contrairement à ce que plusieurs pensent, ce n’est pas parce que les gens ne lisent plus ou n’écoutent plus. Le Soleil n’a jamais eu autant de lecteurs et lectrices. La radio vit un âge d’or avec les podcasts. Les modèles télévisés comme le Téléjournal perdent peut-être des téléspectateurs, mais d’un autre côté, il y a plusieurs magnifiques nouvelles initiatives qui cartonnent chez Brut, Rad, AJ+ et même sur Netflix (je suis personnellement un fan de Patriot Act).

Même les personnes qui pensent ne pas consulter les médias en disant s’informer via Twitter ou Facebook ne se rendent juste pas compte, souvent, qu’elles cliquent sur des liens qui mènent vers des médias d’information. Ou que le vidéo en streaming a été produit par un média. Ce n’est pas Facebook qui les informe. Facebook ne produit aucune info. Zéro.

Certaines personnes trouvent que les médias parlent souvent des médias et de cette «crise», mais ce dont on parle publiquement, ce n’est que la pointe de l’iceberg (et qui d’autres pourraient parler de nous anyway? Les forestières? Les laboratoires de recherche? Les pompiers?). Mine de rien, on a une retenue. On a gardé pour nous plusieurs souffrances des coulisses. Parce que l’information a continué à être livrée, avec professionnalisme, malgré les ravages. Avec un plus grand sourire même, afin d’attirer le lectorat.

Dire aux médias qu’ils doivent se prendre en main est un brin insultant quand on regarde les causes de l’hémorragie. C’est cruel envers tous ces collègues tombés dans la mer houleuse, c’est ignorer tous les changements depuis 15 ans. Imaginez. Un journal qui se faisait dans les années 1990 avec une équipe de 100 personnes, disons, se fait maintenant à 30, environ. Même si des plateformes se sont ajoutées (web, applications, réseaux sociaux) à ce même journal. Même si le rythme est dix fois plus rapide. Tous les médias font plus avec moins, sans exception.

Là, on parle du Soleil, du Droit, de La Voix de l’Est et des autres journaux du Groupe Capitales médias. Mais je sais qu’en ce moment, il y a une radio communautaire qui lutte aussi pour survivre. Je sais qu’il y a un autre jeune média indépendant qui travaille encore pour vivre pendant qu’un média bien établi s’accroche à son pari risqué. On se doute bien qu’un conglomérat absorbe les pertes de ses médias. Je sais qu’il y a une société d’État qui se demande si elle devra gérer d’autres vagues de compression.

Il faut soutenir l’information régionale, l’information communautaire, l’information de masse, l’information nichée.

Les médias ne peuvent pas appartenir qu’à des entreprises géantes dont l’information n’est qu’un département entre la téléphonie, une équipe sportive et un festival de musique. L’information ne peut pas non plus être qu’une bulle indépendante à la débrouillardise épatante mais aux ressources limitées.

J’ai cité Hannah Arendt au début de ce texte. Selon moi, l’information ne peut pas juste être un truc qui repose sur la logique du marché comme la crème glacée ou une paire de jeans. Même le gouvernement Trudeau a reconnu que c’était un bien public.

Il n’y a pas longtemps, un animateur d’une radio de Québec se demandait comment une journaliste pouvait écrire des textes «anti-automobiles» alors que son journal faisait plein d’argent avec des publicités de voitures. C’était cracher dans sa soupe, selon lui.

Bien voilà. Parce que l’information, par son essence, n’est pas là pour faire plaisir à personne, elle est là pour comprendre le monde. L’information doit aussi déplaire aux lieux de pouvoir, doit aussi pointer du doigt les travers de la société. Elle n’a pas à toujours être grave, mais elle doit pouvoir être ce couteau qui joue dans la plaie. C’est son rôle dans la société. Une démocratie ne peut exister sans une information libre et indépendante. Indépendante de l’économie, de la politique, de la religion et des tendances cool. Dans un monde idéal, l’information ne chercherait pas les «like».

Je vais me permettre de paraphraser Pierre Falardeau: l’information n’est pas une marque de yogourt.

De quoi a besoin l’information? D’un nouveau modèle d’affaires, de «terminer» le «virage numérique» ou d’être réellement considérée comme un bien public?