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Omar Kadhr n’est pas une éternelle victime!

Omar Khadr speaks to media after being released on bail in Edmonton, Alta., on Thursday, May 7, 2015. After 13 years in prison, former Guantanamo Bay prisoner Omar Khadr is getting his first taste of freedom. Khadr is out on bail after an Alberta judge rejected a last-ditch attempt by the federal government to block his release. THE CANADIAN PRESS/Jason Franson

Qu’est-ce qui distingue le bon détenu du mauvais détenu ?

À cette question, mon expérience de travail dans le milieu carcéral me suggère que le mauvais détenu est celui qui se comporte comme une éternelle victime.

Le bon détenu est celui qui, avant sa sortie de prison, se libère des tourments du passé en faisant de son avenir un projet de vie, un nouveau départ, une renaissance!

Dans ce sens, Omar Khadr est un cas formidable. Au lieu de tuer son humanité à petites doses, les longues années de prison et de tortures ont fait grandir Omar en forgeant chez-lui une grande sagesse et la capacité au pardon. Selon ses déclarations, il a compris que pardonner est le seul moyen de se soulager du poids de la haine.

Au lieu de haïr son père qui a fait de lui un enfant soldat dès l’âge de neuf ans, au lieu de haïr les américains qui l’ont fait subir des procédures judiciaires d’exception que la cour suprême des États-unis a déclaré illégale en 2006, au lieu de haïr le Premier ministre Stephen Harper qui s’est montré farouchement complice de l’injustice américaine en refusant son rapatriement, au lieu de haïr Michaëlle Jean qui, en tant que Gouverneur Générale, aurait pu dans cette affaire, mieux représenter les valeurs canadiennes de justice, au lieu de haïr le mauvais sort qui n’a cessé de s’acharner sur lui depuis son enfance, au lieu de haïr l’univers, les dieux et les cieux,  au lieu de haïr tous les canadiens qui ont fait preuve d’apathie et d’indifférence à son sort, au lieu de se haïr lui-même en se considérant comme une malédiction…

Au lieu de haïr la vie qui a porté sur son épaule le poids d’une guerre dont il est nullement responsable, Omar Khadr a fait le choix de sourire à la vie en préservant contre toute épreuve, sa dignité d’homme. Il a fait le choix de renaître de ses cendres!

Si cette démarche n’est pas héroïque, dîtes-moi ce que c’est ?

Dans le cadre de mon travail, j’ai côtoyé de très près, plus de 20 mille détenus.  J’en ai connu plusieurs qui, comme Omar, ont fait de leur incarcération une source de lumière.  Combien de fois j’ai entendu « être en prison c’est la meilleure chose qui aurait pu m’arriver » ou « Être en prison m’a sauvé la vie ».  Si pour beaucoup de détenus, la prison est une école de crimes, pour d’autres elle s’avère un frein à leur criminalisation. J’en suis témoin.

Évidemment, la réhabilitation des personnes incarcérées ne se fait pas avec la bénédiction du Saint-esprit. Ce n’est pas un miracle. C’est le résultat d’un grand effort et d’un combat contre soi. Cela produit souvent de la lucidité et de la clairvoyance. La prison pour certains détenus que j’ai bien connus, n’était plus synonyme de privation de liberté mais de retraite et de voyage intérieur. Les programmes s’avèrent des atouts formidables pour les détenus qui décident de se prendre en main. Quand je les revois, ceux-là, c’est en dehors des murs.

Mais Omar Khadr, lui, pour sa réinsertion, il n’avait à sa disposition aucun programme de réinsertion. Ce n’est pas le genre de la maison à Guantanamo d’offrir aux détenus des activités d’épanouissement et de développement personnel!  Ne connaissant pas sa date de sortie, Omar a dû puiser en lui-même la petite lumière, celle qui laisse entrevoir la fin du tunnel carcéral.

Au moins quatre autres facteurs auraient pu attiser chez-lui un goût immodéré pour la vengeance. 1- Sa culpabilité n’a jamais été prouvée hors de tout doute.  Les aveux sous la torture n’ont aucune valeur légale. 2- De l’âge de 9 ans à 15 ans, Omar a été reconnu, en conformité aux conventions internationales, signées par le Canada, comme un enfant-soldat, donc il devait être traité comme une victime. 3- Dans ses années d’incarcération à Guantanamo, à part son avocat, il n’avait aucun contact avec le monde extérieur, encore moins avec sa famille.  Il est reconnu que garder un lien avec le monde extérieur contribue à la réinsertion sociale d’un détenu.  4- L’interrogatoire musclé qu’il a subit par des agents fédéraux canadiens en 2008, aurait pu tuer chez-lui tout espoir d’être un jour libéré de l’enfer de Guantanamo!

Ces conditions auraient pu rendre difficile, voir impossible, chez Omar, toute disposition à la réinsertion. J’ignore le procédé qui lui a permis de détourner les sentiments de vengeance et d’amertume, force est de reconnaître que sa résilience est un cas qui devrait intéresser la science ainsi que les psychologues, les psychiatres et les criminologues qui oeuvrent dans le contexte carcéral.

Parmi les milliers de détenus que j’ai bien connus, quelques uns étaient des anciens enfants-soldats.  Je n’en ai connu aucun qui avait réussi une intégration sociale.  Par leurs propres aveux, aucun n’a réussi à se délivrer des traumatismes infligées par les guerres et les atrocités dont ils étaient acteurs et témoins. La plus part, je les référais à des soins qui ne sont pas de mes compétences.  Tous ces anciens enfants-soldats partageaient le même caractère: Ils se comportaient et se percevaient comme d’éternelles victimes.

C’est très difficile, voir impossible, de réussir la réhabilitation d’un détenu tant qu’il se perçoit comme venu au monde pour être une victime.  Voilà pourquoi le cas d’Omar Khadr, par la notoriété de son cas, il devrait être présenté comme un modèle de réinsertion.  Évidemment, tous les détenus n’ont pas connu l’enfer de Guantanamo et ne sont pas des anciens enfants-soldats, mais tous, quelque soit la nature de leur crime, connaissent l’expérience de l’enfermement et la privation de liberté.  Tous ont en commun un ami potentiel: L’avenir.

Comment préparer son avenir en prison ?  Aucun programme de réinsertion ne peut suffire s’il n’est pas soutenu par la volonté ferme du détenu à s’en sortir.  Durant ses années à Guantanamo, Omar nourrissait un rêve, celui de devenir un jour un aide-soignant. Aujourd’hui, ce rêve est devenu un projet.  Et tout indique, selon ses déclarations, que ce n’est pas une indemnisation de quelques millions de dollars qui va mettre fin au projet d’Omar.

Les millions de dollars ne lui rendront pas non plus son enfance.  Par contre, les excuses officielles du gouvernement libéral, quelques soient leurs raisons politiques, elles devraient jouer un rôle pour le réhabiliter aux yeux de l’opinion publique.  Pour l’instant, selon un sondage Angus, 71% des canadiens sont contre l’indemnisation.  Cela en dit long sur les années de manipulations politiques et médiatiques sur cette affaire.  D’ailleurs, certains chroniqueurs persistent dans la manipulation en considérant le sondage comme une bonne nouvelle.

La vraie bonne nouvelle se trouve dans le regard  d’Omar.  Celui d’un homme déterminé à conjurer le mauvais sort.  Déterminé à rattraper le temps perdu.  Au risque de décevoir ses bourreaux et ses détracteurs, Omar Kadhr n’est pas une éternelle victime.


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