Dossier indie : Ce qui reste de nous
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Dossier indie : Ce qui reste de nous

Des années après la portée aux nues de la scène musicale «indie» de Montréal, le fameux terme se retrouve aujourd’hui tantôt morcelé, tantôt galvaudé selon différents observateurs du milieu.

D’une éthique artistique à un son, puis à des marques (la boutique en ligne Modcloth dit faire dans les vêtements «vintage» et «indie»), à des portails web (indiemontreal.ca et indiequebec.com pour ne nommer que ceux-là), voire à un style de vie (des sites de rencontre à la indiedatingsite.com abondent également en ce sens), le terme «indie» – ou «indé» – est une abréviation du mot «indépendant» qui ne compte plus les digressions de nos jours. Le directeur musical de CISM Benoit Poirier et le réalisateur du documentaire What Is Indie? Dave Cool s’étendent sur le sujet.

«Je trouve ça un peu dommage que ça ait perdu de son sens», lance d’emblée Poirier, aussi connu du grand public comme journaliste de terrain chez Bande à part, émission phare de la SRC qui s’est d’ailleurs terminée sur un état des lieux du mot «émergence». «Au cinéma, par exemple, la “comédie indépendante” est devenue un genre en soi. Ça ne veut pas toujours dire que le film a été produit de façon indépendante. Qui dit “indie” ne veut plus nécessairement dire “indépendant”.» «Il y a, en effet, différentes façons d’envisager le terme», poursuit Cool qui, en 2006, dévoilait un documentaire porté à bout de bras qui faisait un premier tour d’horizon de la fameuse abréviation. «Il y a le mouvement ainsi que le genre musical. Les médias semblent l’utiliser que d’une seule façon maintenant, que pour l’indie rock.» Plus tard, le cinéaste – qui prépare actuellement une suite à son film culte – confiera, avec une pointe d’humour, qu’il lui «arrive également d’utiliser le mot à toutes les sauces, même [s’il est] surtout en contact qu’avec des artistes ne jurant que par des outils et services leur permettant de demeurer indépendants», en faisant référence à son poste chez Bandzoogle, une boîte se spécialisant dans la création de sites web pour musiciens.

Ainsi, avant d’être associé à Malajube, Metric ou encore Radiohead (on y reviendra), le sobriquet «indie» était davantage accolé aux Black Flag, Hüsker Dü et autres artistes underground racontés dans Our Band Could Be Your Life, ouvrage de l’auteur Michael Azerrad qui recense le parcours de plus d’une dizaine de groupes légendaires américains qui ont trimé dur des années avant les Facebook, MySpace, Bandcamp et compagnie. «Le terme “indie rock” était plus approprié pour toute cette scène des années 1980 où le rock était vraiment indépendant, avec des groupes et des labels qui sont partis de rien puis qui se sont créé des façons de fonctionner et qui ont tracé le circuit des tournées», continue Poirier. «Y’avait différentes sonorités, mais il y avait quand même un “son” qui s’en dégageait d’une certaine façon. Ça a été une école… puis les “majors” s’en sont mêlés et c’est là que le terme a commencé à perdre de son sens selon moi.»

Flou artistique

Non seulement les étiquettes majeures ont brouillé les cartes en faisant aussi la distribution ou en rachetant des maisons de disques qui avaient le vent dans les voiles et qui ont été bâties sur des fondations «indé» (Def Jam, par exemple, a été lancé par le producteur Rick Rubin alors qu’il était étudiant, avant de finalement faire affaire avec des étiquettes de la trempe de Sony, puis Universal), mais de plus en plus d’artistes, qui se sont fait connaître par ces grosses huiles, se sont par la suite extirpés de ce système pour surfer sur la vague «indé». «C’est un peu une “mode”, en effet», glisse Cool. «Metric est un bon exemple, tout comme Radiohead et Nine Inch Nails à une certaine époque. Bien sûr, Trent Reznor est maintenant de retour sur une grosse étiquette, mais il a déjà parlé des avantages d’être «indie» dans quelques entrevues, mais aussi des désavantages et ce sont ces derniers qui l’ont mené à retourner sur une grosse étiquette afin de se concentrer sur sa musique et de laisser au label tous les soucis concernant le marketing, etc.»

Bien que le succès de ces projets jette un éclairage rosé sur la voie indé – réputée ardue par le passé –, l’auteur et documentariste prévient que si la définition du terme «indie» est maintenant plus large, la réalité demeure la même. «La suite risque d’être intéressante, car ces artistes indépendants se sont tout d’abord fait connaître sur de grosses étiquettes. Devenir “indie” après tout ça est une tout autre proposition, car elle vient avec un large public conquis d’avance, qui les suit déjà sur Facebook, etc. Ce n’est vraiment pas le cas pour un artiste qui débute. Ce qui fait que d’un côté, je suis très content de voir que de plus en plus d’artistes font dans l’indépendance, mais de l’autre, je me dis, c’est sûr que vous pouvez le faire: le public a été gagné par le même système qu’ils répudient aujourd’hui! Ça ne suffit pas de dire: “Vous voyez? Ça marche! Metric et Radiohead le font!” Non, il faut avoir une vue d’ensemble et réaliser qu’on parle ici d’exceptions qui ont une longueur d’avance incroyable sur, par exemple, un groupe indé qui commence à répéter dans un garage.»

L’exception Alaclair

En raison de la petitesse de son marché et de son manque d’options viables, le Québec compte peu d’artistes alternatifs auxquels l’indépendance réussit, note le directeur musical de CISM et musicien au sein des formations Le monde dans le feu et Jesuslesfilles. «T’as le niveau zéro, puis être signé. C’est un peu binaire, finalement», résume-t-il. «Au Québec, y’a beaucoup de gens qui sont indépendants, mais c’est parce qu’il n’y a pas beaucoup d’options. T’as Bonsound, Grosse Boîte, peut-être Indica, voire Audiogram, etc. Y’a plusieurs artistes au Québec qui voudraient travailler avec ces labels, mais y’en a tellement plus qui sont contraints à ne pas avoir de label et à développer leurs affaires de façon indépendante en remplissant des demandes de bourses ou encore en mettant en branle des campagnes Kickstarter.»

Au fil de l’entretien, Poirier relèvera tout de même une exception locale: le cas du collectif rap Alaclair Ensemble qui, bien que courtisé par des étiquettes par le passé (Grosse Boîte s’occupe d’ailleurs de leurs concerts), continue d’en faire à sa tête sans dérougir. «Comme y’a peu d’options au Québec, autant en profiter quand y’en a une qui se pointe! Le cas d’Alaclair est donc louable, mais quand même exceptionnel», tranche-t-il.

En entrevue avec le Voir en mai dernier, Ogden, membre d’Alaclair Ensemble, faisait lui aussi valoir que le processus décisionnel du groupe – allant de son indépendance à la promotion et distribution de sa musique – était risqué. «Économiquement, ça peut avoir l’air qu’on se tire dans le pied en donnant un album qui est aussi en vente», lançait-il avant de conclure que «en même temps, Alaclair fonctionne un peu de cette façon-là: la mauvaise idée est souvent la bonne!»