Kaytranada / Osheaga : Nomade sédentaire

Difficile de s’acclimater au rythme effréné des tournées, surtout à 21 ans quand tout arrive si vite. Pour l’instant, Kevin Celestin suit la cadence avec une apparence désinvolte qui cache toutefois un certain mal du pays. «Jusqu’à maintenant, la tournée se passe bien et mal», dit-il, vague. «En fait, même si j’essaie d’en profiter le plus possible, je suis très épuisé. J’ai vraiment hâte de retourner chez moi.»

Entre Londres, Paris, Amsterdam, Miami, Philadelphie et, même, Tel-Aviv, le producteur d’origine haïtienne réussit tout de même à trouver du temps pour lui, à l’hôtel – là où il retravaille ses mix et se repose, enfin. «C’est mon coup de cœur de la tournée», admet-il, avec une pointe d’humour, ajoutant qu’il a également aimé l’accueil des Européens, en général plus chaleureux. «En Europe, je me sens comme une vraie célébrité parce que la foule est vraiment into it. Les spectacles sont beaucoup plus intenses.»

Évolution fulgurante

Plutôt comblé malgré ces quelques problèmes d’adaptation, Kevin caresse depuis longtemps l’idée de propager sa musique bien au-delà du marché local, histoire de réellement pouvoir en vivre. «C’est triste, mais même si t’as du talent comme beatmaker au Québec, le monde va s’en foutre», déplore-t-il. «C’est pour ça que mon but principal a toujours été d’aller vers l’international.»

Après avoir été initié à la production hip-hop par son frère à l’âge de 15 ans, il développe une passion intense pour la composition de beats et fait paraître, à partir de 2010, plusieurs EP sous le nom de Kaytradamus – dont le mémorable Les filles du roé, en collaboration avec Ogden d’Alaclair Ensemble. Fort d’un succès local grandissant, il prend part à l’édition 2012 d’Osheaga puis décide, sur un coup de tête, de changer son nom pour Kaytranada.

«C’est à partir de là que tout a vraiment commencé», se rappelle-t-il.

Il planche alors sur plusieurs remix, qu’il publie ponctuellement sur sa page SoundCloud. L’un d’entre eux, un remix house du classique dance pop de Janet Jackson If, devient viral et dépasse rapidement le million d’écoutes. À l’affût des tendances, l’étiquette électro californienne HW&W Recordings saute sur l’occasion et donne un contrat au producteur, qui se met à l’enregistrement de son premier EP à résonance internationale, Kaytra Todo, paru en février 2013.

Depuis, «les choses se passent»: méga-tournées, collaboration avec le légendaire groupe rap américain Mobb Deep, participations aux fameux DJ set du Boiler Room et – une première dans l’histoire du hip-hop québécois – signature avec une étiquette britannique de réputation internationale, XL Recordings. «Quand mon agent m’a demandé si j’étais intéressé pour un release avec XL, j’ai trouvé ça fou», avoue avec excitation Kaytranada, qui travaille actuellement sur So Bad, un EP qui combinera «hip-hop, house et musique du monde». «Ça me fait vraiment plaisir de faire partie d’un label aussi renommé.»

Proche de ses racines

Hors de question, toutefois, de laisser tomber la communauté hip-hop d’ici. Même s’il refuse le titre d’ambassadeur, le producteur de Saint-Hubert continue de collaborer avec des rappeurs québécois, en signant des beats pour Koriass et Alaclair Ensemble notamment. «Je suis encore là, mais je reste plus discret», avoue celui qui est toujours membre du collectif hip-hop montréalais Alaiz (avec High Klassified et Da-P, entre autres). «Ce que j’aime de la scène d’ici, c’est qu’elle a son propre style. On est way ahead of time.»

Kevin reste également proche de son frère, le rappeur Louie P. Ensemble; ils ont fait paraître Supreme Laziness, un album collaboratif, sous le nom de The Celestics, en mai dernier. Un projet sympathique aux teintes hip-hop et soul, que le producteur dit avoir eu du mal à terminer. «L’enregistrement ne s’est pas déroulé à la perfection, parce que mon frère devait attendre mon retour au Québec pour avoir accès à mes nouveaux beats», explique-t-il, ajoutant que ce projet lui tenait vraiment à cœur. «Je suis content de l’avoir terminé. Mon frère commençait à me stresser!», dit-il en riant.

Kevin prendra soin, justement, de se déstresser dans les prochaines semaines. «Ça me fait toujours du bien de rentrer à la maison puisque c’est seulement là où je peux retrouver ma vie», confie-t-il. «En même temps, ça me fait chier parce que je ne reste pas plus qu’un mois.»

Pas évident, on en conviendra, de devenir nomade, comme ça, du jour au lendemain. 

——

Kaytranada sera à Osheaga le samedi 2 août à 15h30 (Scène Piknic Electronik) kaytranada.com; 

Pour les détails de la programmation d’Osheaga (du 1er au 3 août au parc Jean-Drapeau): osheaga.com