Muzion : Retour endeuillé
Affligés par le récent décès du rappeur Le Voyou, les trois membres du groupe hip-hop montréalais emblématique Muzion se rassemblent et rendent un ultime hommage à leur défunt ami, le temps d’un premier spectacle officiel en plus d’une décennie.
Ça aura pris une tragédie pour que J. Kyll, Imposs et Dramatik sentent l’urgence de se réunir.
Ami de longue date du groupe et figure de proue de la Dynastie des Morniers, regroupement rap dans lequel gravitait Muzion, Le Voyou a succombé à une violente crise d’asthme à la fin du mois d’octobre dernier. Une onde de choc pour la communauté hip-hop montréalaise. «C’était l’un des pionniers de notre âge d’or du hip-hop. Je le considérais comme le 2Pac du Québec», lance Dramatik dans un flot d’éloges.
«Son but, c’était de changer la mentalité du monde par rapport à la rue. Au lieu de glorifier la thug life, il voulait ouvrir le dialogue en expliquant les causes du débalancement social. Il était toujours là, sur la ligne de front, avec nous», confie Imposs, le trémolo dans la voix.
Première à être arrivée à l’hôpital après avoir appris la nouvelle, J. Kyll est, elle aussi, encore très touchée par le drame. «Ça fait plus d’un mois qu’on l’a enterré, et on n’a même pas encore eu le temps de s’asseoir pour faire le deuil ensemble. C’est là que je me rends compte que la bureaucratie derrière la business de la mort est dégueulasse», critique la rappeuse.
«T’as raison», ajoute Imposs. «Je crois que, justement, le show va nous permettre de faire notre deuil collectif.»
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Pour l’occasion, le trio propose un long spectacle de presque deux heures comprenant les chansons qui ont fait sa renommée durant sa période phare, au tournant des années 2000. Même si le décès du Voyou est encore bien frais dans leur mémoire, les trois rappeurs, qui redistribueront l’argent de la vente des billets à la famille du rappeur, ne comptent pas privilégier une mise en scène trop dramatique. «On ne va pas faire une cérémonie comme à l’église. C’est pas ça le but de l’exercice», assure Imposs. «Le thème du show, c’est la célébration de la vie.»
«On va être égaux à nous-mêmes sur scène», indique J. Kyll, précisant que le spectacle s’apparente plus à une «parenthèse» dans l’histoire du groupe qu’un retour en bonne et due forme. «On va rendre hommage à notre boy, tout en profitant de l’occasion pour célébrer avec le public.»
Héritage notable
Doublement symbolique, le spectacle marque également le quinzième anniversaire de la parution d’un des albums les plus marquants de l’histoire du hip-hop québécois: Mentalité moune morne… (Ils n’ont pas compris). Pour Imposs, l’héritage musical laissé par le tout premier album de son groupe reste, encore aujourd’hui, important: «En ce moment, on le réécoute beaucoup puisqu’on prépare le show. C’est, en quelque sorte, un blueprint, un point de repère, à la fois pour nous et le mouvement.»
«Notre force, c’est qu’on n’a pas essayé de suivre un mouvement qui existait déjà. On est arrivés avec une identité distincte», met en relief J. Kyll. «Maintenant, faut passer le flambeau aux jeunes. Je ne veux pas nécessairement qu’ils reconnaissent l’héritage Muzion, je veux qu’ils comprennent notre intention: celle de représenter une génération en donnant une voie aux kids des quartiers défavorisés, à tous ceux qui ne sont pas représentés.»
Autrement, Dramatik constate l’influence certaine que le premier disque de son groupe a, encore aujourd’hui, sur les rappeurs québécois. «Y’a beaucoup de groupes que je feel actuellement comme Loud Lary Ajust, Koriass et Freddy Gruesum. Leur franglais, ça sort directement de notre époque. On s’en faisait parler par les médias en 1999», se rappelle-t-il.
Une décennie et demie plus tard, est-on en droit de s’attendre à un troisième album de la part de la formation ou, du moins, à une tournée?
«On va pas faire les choses par obligation. Si on voit que le timing est bon, on va le faire», garantit Imposs. «Dans la vie, t’as le choix de saturer le marché ou de prendre le temps de vivre et de t’inspirer, comme on le fait. Pour l’instant, on y va avec le show. Après, on verra.»