Entrevue avec Jean Leloup: Du bien à se faire du mal
Jean Leloup revient de loin, au sens propre et au sens figuré. Après plusieurs années de hauts et de bas, marquées par un tour du monde et un diagnostic du syndrome de bipolarité, le Wolf propose À Paradis City, un huitième album à la fois tourmenté et équilibré, sombre et lumineux.
«J’ai raté ma vie», chante Jean Leloup en ouverture d’album sur Willie, le triste récit d’un homme amer qui, voyant sa maison brûler, fait son testament. La table est ainsi mise pour les neuf autres pièces d’À Paradis City, toutes reliées par un seul et même fil conducteur: la mort. «Ouais, c’est drôle ça…» réfléchit Jean Leloup à haute voix, comme si on lui faisait la remarque pour la première fois.
«Y’a beaucoup de gens qui sont venus me dire que c’était triste, les sujets, mais t’sais, imagine si t’entendais des chansons qui disaient des trucs plates comme « ça va bien, j’ai des REER »… J’pense que là, ça serait plus suicidaire!» lance-t-il en riant, comme pour dédramatiser. «Moi, ça me fait plutôt penser à quand j’écoutais du Georges Moustaki, plus jeune. C’était des textes super tristes, mais ça me faisait du bien, pis je sais pas pourquoi… Je pense que j’aime les grands drames.»
Son «grand drame», Jean Leloup a commencé à le ressentir davantage il y a cinq ans, peu après la sortie de Mille excuses Milady, son précédent album paru en 2009. «J’ai eu un feeling de deadline», dit-il, avant de vider son sac d’un seul coup. «Pas un deadline à cause de l’âge, juste un gros sentiment que soudainement, il fallait que la vie ait du sens. Dans ma tête, la vie, ça pouvait pas être juste ça… T’sais, j’ai commencé très jeune. À 27 ans, j’étais déjà très connu. Après ça, j’ai fait un paquet d’affaires, pis là y’a quelques années, j’ai senti que je cherchais de quoi.»
La quête, le fond et la renaissance
Pour arriver au bout de sa quête, l’artiste de 53 ans a décidé d’aller au bout du monde, sans succès. «C’était extraordinaire, mais ça m’a pas donné ma réponse. C’que t’as en dedans, tu le règles pas par l’extérieur», admet-il, l’air serein. «Dans le livre tibétain de la vie et de la mort, que j’avais commencé à lire à 22 ans, ça dit que la mort, c’est notre amie, pis qu’elle va toujours nous suivre. Si tu te poses des questions, faut que tu lui parles et que tu lui demandes la réponse. J’ai réalisé que j’avais passé beaucoup de périodes à rien lui demander, à la mort. À la place, j’me garrochais, je partais faire plein d’affaires: des films, des romans, le tour du monde… Chaque fois, j’me pétais la gueule, pis ça me rendait encore plus triste.»
Puis, Leloup a touché le fond du baril, il y a trois ans, environ. «J’ai eu un bon blast», confie-t-il. «J’ai tout lâché. J’ai même arrêté de penser et de bouger. J’me suis posé des questions, pis à partir d’un certain moment, j’ai commencé à trouver ces textes-là. C’qui est curieux, c’est qu’on dirait que les textes de l’album sont plus intelligents que moi. C’est comme s’il y avait une voix intérieure qui m’avait dit quoi écrire pis qu’ensuite, j’avais juste à lire les réponses.»
De là, le côté lumineux de l’album. Malgré la mort qui guette tous ses «personnages», Jean Leloup, lui, en ressort plus vivant que jamais. Au centre de toute la création: une Gibson des années 1920, qu’il a traînée durant tous ses voyages. «J’ai composé la musique en marchant, comme je faisais avant que les computers arrivent», explique-t-il. «Après ça, j’ai pris ma guitare pis j’ai composé les accords. Au début, c’était même censé être un album uniquement guitare-voix. Je voulais pas que ce soit compliqué.»
Pas un métier
Pourtant, s’il y a bien une chose qui semble complexe avec le mythique auteur-compositeur-interprète, c’est bien son rapport à la musique, inconstant et difficilement saisissable. «La musique, moi, je suis très sensible à ça. Des fois, j’peux passer un an sans jouer de guitare parce que ça me rend malade. Quand j’suis dans l’mood d’écouter une toune, j’me baigne dedans, pis deux mois après, si j’suis pu dedans, je peux devenir hystérique pis la trouver très énervante. C’est pour ça que j’me suis toujours dit que je ferai jamais ça comme métier. C’est beaucoup trop intense. Ça vient trop me chercher.»
Avec les années, l’artiste a appris à se connaître et, justement, à mettre la pédale douce sur les spectacles. Fini les longues tournées qui n’en finissent plus, Jean Leloup veut maintenant prioriser les évènements spéciaux: «Je comprends pas les gens qui décident de faire de la musique leur métier. Moi, à un moment donné, je me suis évanoui en pleine tournée pis j’ai dû me sauver pour que ça arrête. Mon métier, maintenant, c’est de pratiquer la guitare et, des fois, de me forcer à écrire des chansons. Pour le reste, faut que ça reste magique.»
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Quelle douceur à l’oreille.
Son nez croche ne lui enlève rien, lui donne plutôt du panache.
La rectitude est source d’ennuie.