Socalled : Regarde le monde
Dans son demi-sous-sol du Mile-End, rue Hutchison, l’inclassable rappeur Socalled revient sur la création de Peoplewatching, un cinquième album sur lequel il prend davantage de place au micro sans pour autant délaisser les nombreuses collaborations.
Le profond couloir de l’immeuble a de quoi inquiéter, les escaliers décrépits qui mènent à l’appart du musicien, complètement au fond, n’ont rien de bien plus rassurant. Passé la porte d’entrée, on découvre, les yeux écarquillés, le repaire quasi patrimonial d’un artiste hors pair qui, malgré l’incroyable fouillis d’antiquités, de vinyles, de VHS, d’instruments et d’objets insolites qui l’entoure, reste ordonné et relativement sain d’esprit.
En fait, l’appart de Josh Dolgin est à l’image de la musique de son alter ego Socalled: un pêle-mêle intentionnel, prodigieux et unique à bien des égards, qui fusionne toutes les cultures du monde avec un souci du détail et un penchant assumé pour le disparate.
Le titre de son cinquième album, Peoplewatching, en est d’ailleurs une illustration assez claire. «Entre deux spectacles avec Abraham Inc. (groupe funk klezmer qu’il mène avec le clarinettiste David Krakauer et le tromboniste Fred Wesley), j’étais dans le lounge d’un aéroport à profiter de l’alcool gratuit. Fred était un peu plus loin, et je lui ai demandé pourquoi il ne venait pas fêter avec nous. Il m’a dit qu’il préférait regarder les gens vaquer à leurs occupations», se rappelle-t-il, habité.
«Pour moi, c’est exactement ça, le fuckin’ esprit ouvert et démocratique, l’idée du partage et du rassemblement. Tous les types de gens sont cool, pas seulement les riches qui ont de l’alcool à volonté. Ça parle un peu de mon histoire aussi: le respect des cultures, les voies différentes, les races, les langues…»
La Bottine souriante rencontre James Brown
Entre hip-hop, électro, klezmer, soul et même rigodon, Peoplewatching pousse les expérimentations des précédents albums avec encore plus de fougue. Au menu de ce buffet des continents: de grosses pointures d’ici et d’ailleurs, notamment le maître du dancehall Josey Wales, la légende du trad québécois Yves Lambert, la sommité jazz montréalaise Oliver Jones, le maître des tables tournantes Rob Swift et, évidemment, le mythique Fred Wesley, qui a déjà travaillé avec James Brown et George Clinton.
Même s’il se fait confident sur certains épisodes de sa vie, notamment à propos de sa récente rupture sur Never See You Again, Socalled laisse, évidemment, une place prépondérante à ses quelque 30 collaborateurs. «J’en avais au-dessus de 40 sur Sleepover et peut-être même 50 sur Ghettoblaster, donc c’est un pas vers la bonne direction», souligne-t-il, en riant. «Avec les années, j’ai réalisé que la pertinence de Socalled, c’était justement de put some cool shit together. Cette fois-ci, j’ai fait un effort pour fuckin’ chanter plus, non pas parce que je sentais que je me perdais à travers mes invités, mais peut-être plus pour explorer et, surtout, me donner quelque chose à faire en concert.»
Too english for Quebec, too Quebec for Toronto
Le multi-instrumentiste, également dramaturge, arrangeur et marionnettiste, reste toutefois réaliste. Il sait que le mélange hétéroclite qu’il propose, aussi inclusif soit-il, lui ferme des portes. «J’ai arrêté depuis longtemps de chercher le succès à tout prix», assure-t-il. «Même si j’essaie de faire de la chanson populaire, je sais que ce n’est pas possible pour moi. En gros, my shit always comes out too weird. Partout où je vais, je me sens comme un étranger. I’m too English for Quebec, too Quebec for Toronto et, en plus, je suis juif… Je suis originaire du Québec, j’y ai passé toute ma vie, mais je sais que je n’en ferai jamais vraiment partie. Je ne serai jamais invité à Tout le monde en parle, par exemple. Si ça avait dû arriver, ça serait déjà fait.»
«Je ne veux pas paraître frustré», ajoute-t-il, avec un sourire en coin, comme pour dédramatiser. «C’est juste que pour Socalled, le succès est loin d’être évident… I’m still strugglin’ dans mon shitty hole apartment, man! Beaucoup de mes amis, comme les Barr Brothers ou Arcade Fire, ont connu des niveaux magiques de succès, mais moi, je suis trop difficile à catégoriser pour avoir ce genre de reconnaissance. Ça me frustre autant que ça me motive.»
La frustration doit être forte puisque les projets, eux, se multiplient. En août prochain, Socalled célébrera le 100e anniversaire du pianiste américain Irving Fields en faisant paraître un album de ses chansons rééditées. «Je vais également éditer un livre pour accompagner l’album. Y a personne qui va acheter ça, mais je m’en fous», dit-il, tout sourire.
«Je suis prêt à prendre le risque parce que, par-dessus tout, Socalled, c’est le partage. Chez moi, j’ai fuckin’ beaucoup de trucs, mais si tout ça reste dans mon appartement, ça sert à rien! En fait, ça finit par juste me servir à moi, et ça, c’est profondément égoïste.»
Peoplewatching
(Dare To Care Records)
Sortie le 28 avril
En écoute sur voir.ca dès le 20 avril
Montréal: En spectacle le 14 mai au Théâtre Fairmount
Québec:Le 8 mai au Cercle
Wakefield: Le 29 mai au Black Sheep Inn