Manu Militari : Dans la marge jusqu’au cou
En marge de la scène hip-hop québécoise depuis plus d’une décennie, Manu Militari livre Océan, un quatrième album aussi intime qu’ouvert sur le monde.
«Je pense qu’avant tout, Océan, c’est la liberté pis le voyage», lance d’emblée Manu Militari, sans donner davantage d’explications.
Reconnu pour sa concision et sa franchise, le rappeur de Côte-des-Neiges s’est toujours fait un honneur de ne pas parler quand il n’a rien à dire. Si l’adage vaut pour ses textes (il ne sort qu’un album tous les trois ans en moyenne), il vaut aussi pour ses réponses en entrevue.
Mais à force de creuser, on finit par savoir.
Écrit en partie durant un voyage en Amérique latine, où il est allé trois fois en quelques mois seulement, Océan est le résultat d’un ressourcement créatif. «Je voulais donner une autre couleur à ma musique», explique le rappeur qui, pour son précédent album Marée humaine, avait plutôt choisi l’Égypte, en plein printemps arabe. «Je suis allé faire trois jours de bateau à travers plein de petits villages, très loin dans le Pérou. La nuit, on était plusieurs à dormir les uns cordés contre les autres dans des hamacs… Ça m’a aidé à trouver l’inspiration.»
Récit émouvant sur les difficiles réalités d’une famille pauvre qui immigre au nord, Mami Chula a été inspirée par ce périple. «La liberté totale est inatteignable, mais je crois qu’ici, on est déjà plus libres qu’à peu près n’importe où», avance le globe-trotter qui parcourt le monde depuis l’adolescence. «Mami Chula, ça dit une chose: vaut mieux croire qu’on est libres que de savoir qu’on ne l’est pas.»
La crise des migrants, elle aussi, a inspiré le rappeur, qui a choisi de l’illustrer dans son plus récent vidéoclip Volonté, filmé au Maroc. «J’voulais parler de ça, mais pas d’une manière trop passionnée, en disant d’ouvrir les frontières, par exemple», explique Manu. «Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’individu, le gars qui veut se sortir de sa marde. C’est à lui que je m’identifie. La politique m’intéresse pas du tout parce que, justement, elle est trop centrée sur la masse.»
«Ça m’intéresse pas particulièrement de parler de moi»
Océan a également été un voyage intérieur fertile. Plus que jamais, le rappeur se confie sur de lourds passages de sa vie. Chronique-choc sur son enfance, Peace & Love raconte en détail la séparation de ses parents et le tragique drame qui s’en est suivi. «Oui, c’est un album plus personnel…», dit-il, vague. «Mais pour être très honnête, si j’ai décidé de faire ça, c’est parce que j’avais pas vraiment d’autres sujets qui m’inspiraient. Ça m’intéresse pas particulièrement de parler de moi.»
C’est notamment ce trait de sa personnalité qui alimente, depuis maintenant plus d’une décennie, son image de rappeur hors-norme, quasi redoutable, refusant de s’intégrer à une quelconque scène.
Dix ans après la puissante frappe Automne 2005, extrait promotionnel de son premier album Voix de fait paru l’année suivante, Manu Militari continue de rester à l’écart. «Je suis un marginal et je le resterai toujours», dit-il, sans détour. «Je suis à la recherche de liberté, donc c’est impossible pour moi d’entrer dans un groupe, un mouvement ou une religion.»
Et, selon lui, c’est sans doute pour cette raison que son premier album n’a jamais eu la reconnaissance qu’il mérite, même si son impact sur la scène hip-hop québécoise a été assez percutant à sa sortie. «On ne parle jamais de Voix de fait comme on parle des albums de Sans Pression ou de Muzion, par exemple. Je pense même pas que c’est une question de temps», croit-il. «Je pense plutôt que c’est parce que j’ai toujours refusé de porter le flambeau. J’ai tellement envoyé chier tout le monde que ça m’a fermé des portes…»
À défaut de s’unir, Manu Militari continuera de faire cavalier seul.
En vers et contre tous.
//
Océan (7ième Ciel), en magasin le 20 novembre;
Spectacles:
Le 20 novembre au Théâtre Petit Champlain (Québec)
Le 21 novembre au National, dans le cadre de M pour Montréal
Le 26 novembre au Nord Ouest Café (Trois-Rivières)