Il y a 10 ans : Omnikrom – FM2 : 24 pouces glacés
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 10 ans : Omnikrom – FM2 : 24 pouces glacés

Publiée sur une base régulière, cette toute nouvelle chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale. 

Lancé le 4 février 2006 au défunt Zoobizarre, FM2 : 24 pouces glacés marquait l’avènement d’un hip-hop champ gauche, éloigné au plus haut point des standards et des rites de passage d’une scène rap québécoise alors en manque de souffle. Retour sur la genèse du mini-album et brève analyse de son impact sur la scène locale, en compagnie des trois membres du groupe.

Profondément détesté par les puristes du rap québécois, comme pouvait en témoigner le forum de discussion de Hiphopfranco.com à l’époque, Omnikrom commence son ascension vers les hautes sphères de la scène émergente montréalaise au milieu de la décennie 2000.

Très actif sur Myspace, le trio réussit rapidement à attirer l’attention de la presse alternative (notamment Voir) et des radios communautaires/universitaires grâce à des chansons électro-rap aussi absurdes que grossières.

Quelques mois après un premier EP remarqué (Futurs millionaires vol. 1, 2005), qui le mène à partager la scène avec Loco Locass, le groupe fait paraître FM2 : 24 pouces glacés. «On profitait déjà d’un mini-buzz, mais disons que c’est pas mal là que ça s’est concrétisé», se rappelle Jeanbart. «C’était un EP vraiment moins abstrait et loufoque que le précédent. Oui, on continuait de jouer nos personnages, mais ils devenaient de plus en plus réalistes.»

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Linso Gabbo et Jeanbart

Clubs, néons, pouliches, lunettes fumées, linge fluo… L’univers imaginé par Omnikrom a sans doute des affinités avec le mouvement crunk du sud des États-Unis, qui avait prend d’assaut le hip-hop américain à la même époque. Reste que, pour des rappeurs originaires de Valleyfield et un producteur natif de Joliette qui, de surcroît, étaient jadis des adeptes de hip-hop expérimental (notamment des étiquettes cultes Def Jux et Anticon), ce choix artistique reste curieux. «On s’est mis à écouter du south rap quand on s’est rendu compte que toute la scène du rap weird tournait en rond», indique le producteur Figure8.

«C’est à ce moment-là que le rap est devenu idiot», se souvient Linso Gabbo. «D’un seul coup, c’était comme pu vraiment important de savoir rapper. Tous les rappeurs du south s’en foutaient complètement! C’est cet univers-là qui est venu nous chercher.»

Rap idiot

Inspirés par cet élan de rap «idiot», les trois acolytes en imaginent donc une version québécoise. «On avait une ligne directrice assez précise», relate Figure8, qui a produit la moitié des pièces du mini-album. «Notre but, c’était de faire danser et bouncer le monde.»

«Le plus drôle là-dedans, c’est que le vrai monde qui sortait dans les clubs se foutait complètement d’Omnikrom», admet Linso.

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Bref, boudé de part et d’autre, autant par la scène hip-hop québécoise que par les radios commerciales et les «clubs», le trio se dote d’un public fidèle en s’insérant ponctuellement à travers les mythiques et suintantes soirées du Zoobizarre – comme MASALA,  Sharp à l’os et, surtout, Bounce le gros, organisée par Ghislain Poirier. «On arrivait là-bas vraiment saouls à 1h du matin et on jouait nos tounes. Tout le monde les connaissait», se rappelle Gabbo, quelque peu nostalgique. «Cette scène underground-là, c’était vraiment un phénomène. On s’est mis sur la mappe avec ça.»

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Au Zoobizarre

C’est d’ailleurs grâce à ces soirées que les trois artistes se rapprochent de Ghislain Poirier, qui profite d’un engouement sur la scène électronique internationale à l’époque. Initialement prévue pour un de ses albums, la chanson Pour te réchauffer, partiellement enregistrée lors du passage de la sensation rap française TTC aux FrancoFolies de 2005, se retrouve finalement sur FM2.

«On l’a enregistrée dans une chambre d’hôtel avec Ghislain», se rappelle Linso. «On a eu le temps d’enregistrer la partie à Teki Latex, mais on n’a pas eu le temps pour Tido et Cuizinier. Pendant plusieurs semaines, j’ai écrit chaque jour sur Myspace à Cuizi pour qu’il termine la chanson. Y’était pu capable de m’entendre, mais au moins, ça a marché.»

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Jeanbart, Teki, Linso Gabbo, Poirier et Figure8 dans la fameuse chambre d’hôtel. Crédit : Roxanne Arsenault

Rapidement, la chanson a un impact très important sur la carrière d’Omnikrom. «Tout le monde se crissait de nous avant ça, ou presque. Quand les gens ont vu qu’on avait fait une toune avec un artiste français connu, ils ont écouté, et ça a tout changé pour nous», croit, encore aujourd’hui, Linso.

Pour les puristes du hip-hop québécois, ce succès de plus en plus prononcé commence à irriter. «Y’en a beaucoup qui essayaient de nous discréditer, en disant qu’on faisait pas du rap. Ils pouvaient tout simplement pas accepter que le rap soit différent», indique le rappeur.

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«Au début, ça me faisait chier, tous les mauvais commentaires…» admet Jeanbart. «Ça me faisait chier parce que j’écoute du rap depuis que j’ai 10 ans. Moi aussi, j’ai commencé avec les Public Enemy et, après, tous les trucs west coast. La seule chose, c’est qu’à un moment donné, j’ai écouté toutes les autres sortes de rap et que j’ai ouvert mes horizons.»

La controverse des FrancoFolies

À quelques jours de l’été 2006, alors que ses chansons jouaient abondamment sur les ondes des radios alternatives, le trio fait face à une première controverse d’envergure.

Dans la foulée d’une critique de l’hypersexualisation du hip-hop, que la sexologue Jocelyne Robert avait amorcé en critiquant notamment les propos du groupe satirique Black Taboo, Omnikrom «cause l’émoi» en donnant une prestation en début de soirée sur une scène extérieure des FrancoFolies. Après avoir reçu plusieurs plaintes, le festival s’excuse d’avoir programmé le spectacle aussi tôt.

«C’était facile pour les journalistes de faire un lien. Ils venaient de découvrir Black Taboo et cherchaient vraiment à nous caser dans leur topo d’hypersexualisation», se remémore Figure8.

«On avait même été appelés par TVA pour aller en parler sur l’heure du souper. On s’en câlissait! On voulait pas devenir populaire à cause de la controverse», ajoute Jeanbart.

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Au-delà des connotations misogynes de leurs paroles, Omnikrom sait très bien où il s’en va. À défaut d’avoir mûri des textes intelligents et lourds de sens, le groupe se crée un univers bien à lui, là où les limites du réel et de l’insolite tendent, bien souvent, à se recouper. «Je n’ai jamais travaillé mes rimes. Pour moi, le rap, c’est une question de personnage. C’est ça que je travaillais depuis près de 10 ans à l’époque de FM2», précise Linso.

«Notre monde, c’est des clubs et des culs qui bouncent. C’est ça qu’on a inventé, et on promène nos personnages là-dedans», explique Jeanbart. «On a rapidement arrêté de se demander ce qui était vrai ou non. C’est pareil comme dans un film: t’es dans un autre univers, mais y’a des trucs qui pourraient t’arriver dans la vie.»

Jeanbart, Figure8 et Linso Gabbo lors du lancement de FM2

«On a inventé nos propres clubs sans savoir vraiment à quoi ça ressemblait, un vrai club», ajoute Figure8.

«Ouais, c’est ça, le plus drôle», renchérit Jeanbart. «Dans l’univers qu’on s’est inventé, les gros clubs, c’était écœurant, mais dans la vraie vie, on avait ZÉRO le gout d’y aller. C’est pas ça le vibe qu’on aime.»

Un nouveau souffle pour le hip-hop québécois

Bref, ne serait-ce que pour le côté décalé de sa proposition artistique, Omnikrom a sans doute défriché un terrain fertile pour le hip-hop québécois avec FM2. Dans les mois qui ont suivi, plusieurs groupes issus de cette scène électro-rap ont bénéficié d’un certain succès sur la scène locale, notamment Gatineau, Jingafly, Obscene Kidz, MC La Sauce, NSD, Payz Play, Radio Radio et, à certains égards, Numéro#.

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«Y’a peut-être du monde qui ont ouvert leurs horizons en nous voyant. Ils ont ben vu que tu pouvais faire ce que tu voulais pis que ça pouvait marcher pareil», analyse Figure8.

«Je crois qu’on a amené un semblant de scène rap champ gauche. Y’a eu des pionniers comme Atach Tatuq, mais disons qu’on a solidifié et fait évoluer cette branche-là», pense Jeanbart.

Et, sans avoir été directement influencées par les textes et la musique du groupe, de récentes figures de proue du rap québécois (d’Alaclair Ensemble à Koriass en passant par Dead Obies et Loud Lary Ajust) ont sans doute bénéficié des portes médiatiques qu’a ouvertes Omnikrom.

Après tout, la scène hip-hop locale était particulièrement désorganisée en 2006, et il va sans dire qu’un succès de la trempe d’Omnikrom a remis les choses en perspective. «Y’a ben des rappeurs qui venaient me voir et qui catchaient pas comment on faisait pour faire parler de nous ou pour jouer à tel endroit. Pourtant, ce qu’on faisait, c’était assez simple: on envoyait des communiqués de presse aux médias et on faisait des envois postaux à tous les propriétaires de salles inimaginables», indique Jeanbart, tout en rappelant l’importance que Myspace a eu dans leur rapide ascension.

Dix ans plus tard, le trio, qui planche actuellement sur de nouvelles chansons, reconnait qu’un FM2 serait difficilement viable aujourd’hui, dans un monde virtuel où tout devient rapidement un scandale.

«On ne pourrait pas ressortir la même chose en 2016. Ça passerait partout dans les journaux, et on se ferait harceler», croit Jeanbart. «Y’aurait surement des pétitions pour que nos mères meurent!»

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À lire : notre critique de FM2 : 24 pouces glacés, publiée le 2 février 2006.

Mini-album en vente sur Poste d’écoute.

Photos (sauf où indiqué) : Courtoisie Jeanbart