Laurence Jalbert : Le temps file
Musique

Laurence Jalbert : Le temps file

Laurence Jalbert évoque son long et tortueux parcours sur Ma route, un septième album studio qui mène à bien son 40e anniversaire de carrière. Retour sur quatre décennies de musique.

Le cheminement de Laurence Jalbert sur la scène musicale québécoise n’a rien de bien commun. Découverte «sur le tard», la chanteuse avait 30 ans lorsqu’elle a fait paraître son premier album solo en 1990, trois ans après avoir gagné l’Empire des futures stars.

«Y’a des choses que tu ne peux pas bousculer dans la vie… La Gaspésienne a appris assez tôt qu’on ne peut pas tirer sur une fleur pour la faire pousser plus vite», image la chanteuse, rejointe dans un café de Longueuil – un «bon compromis» entre sa Gaspésie et Montréal.

Si le succès a effectivement mis du temps avant de se pointer le bout du nez, la persévérance, elle, a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises.

Propulsée sur les scènes des bars gaspésiens dès l’âge de 15 ans, la musicienne apprend rapidement les rudiments de la scène. Elle met toutefois un bon moment avant de se faire confiance. «Je faisais du piano-bar, mais je ne chantais pas parce que j’étais trop gênée. J’avais engagé une chanteuse», se souvient-elle. «Ça a pas pris de temps que j’ai rencontré un groupe à Gaspé. Il cherchait une claviériste pour partir en tournée, et je suis parti avec eux à l’âge de 16 ans. J’ai failli faire mourir mes parents! Moi aussi, j’avais très peur, mais avec le recul, je m’aperçois que j’ai eu le courage de ces mêmes peurs-là.»

Ainsi, la musicienne fait ses armes à la dure dès le milieu des années 1970, en parcourant les bars du Québec à un âge où, normalement, elle n’aurait même pas dû y mettre les pieds. Ce qui la motive par-dessus tout à l’époque, c’est l’idée d’avoir un «band» et de «former une entité», sans égard aux concessions qu’elle doit faire sur sa vie.

«J’aimais ça être avec mon band, même si, la plupart du temps, c’était pourri ce qu’on faisait», admet-elle, le sourire aux lèvres. «Les conditions non plus n’étaient pas fameuses. La belle époque des bars où tous les musiciens pouvaient travailler, c’était pas mal fini. Quand on nous promettait d’être «logés et nourris», fallait s’attendre à un bouilli de patates avec un bout de viande dans le milieu. Sinon, c’était un pot de Cheez Whiz avec un pain… Disons que ça a mis ma passion à l’épreuve. Je me suis rendu compte que j’avais pas d’autres options dans la vie que de faire de la musique.»

Histoire de bars et de hard rock

À la toute fin des années 1970, Laurence Jalbert empoigne le micro avec le groupe hard rock The Kids. C’est là qu’elle se découvre une voix rauque particulièrement fougueuse. «J’étais très rock, pour ne pas dire métal, à cette époque-là. On faisait de la musique inspirée par Judas Priest», raconte-t-elle, spécifiant qu’il n’y a plus vraiment de traces du seul 45 tours que le groupe ait enregistré en 1981. «Le matin où on partait pour enregistrer un album à Toronto, on a appris que la compagnie avec laquelle on venait de signer avait fait faillite.»

Entretemps, l’aventure rock de Laurence, alors enceinte, se poursuit à travers les bars. «Je travaillais avec la bedaine cachée pour pas montrer que j’étais enceinte. C’était vraiment pas évident», se rappelle-t-elle. «C’était une époque assez mouvementée, faut dire. Chaque soir ou presque, je devais ramasser des gars de mon groupe en dessous des tables du bar. Y’avait pas mal de batailles aussi. Quand ça revolait, on allait se cacher dans le grenier de la place.»

Plus ou moins stimulée par la «surabondance de claviers avec des sons weirds» et les «solos de sax à n’en plus finir» typiques du milieu des années 1980, la musicienne continue son chemin, notamment avec le groupe Volt.

«Je ne gagnais pas bien ma vie avec ça, mais au moins, on avait commencé à faire des chansons originales dans nos shows, ce que les proprios de bars ne toléraient absolument pas dans mes précédentes tournées», relate-t-elle. «On a gagné le concours de l’Empire des futures stars en 1987. C’est quatre maisons de disques qui choisissaient les finalistes, et nous, c’est Audiogram qui nous a repérés par l’entremise de Michel Bélanger, qui avait «spotté» mon talent d’auteure-compositrice. Ça m’a pris du temps à accepter l’offre. Je ne voulais pas laisser tomber ma sécurité de groupe.»

Le succès instantané 

En 1989, à l’aube de ses 30 ans, Laurence Jalbert ose faire le saut. Le succès de son premier album homonyme, paru en 1990, est instantané, notamment grâce à l’extrait Tomber, lancé quelques mois avant. «Ça a été une très grosse surprise pour moi», confie-t-elle. «D’un jour à l’autre, je suis passé d’être pauvre comme Job à avoir plein de sous qui rentrent. Six mois plus tôt, j’avais pas les moyens d’acheter un jus à ma fille et, là, le proprio de l’épicerie me reconnaissait et ne me chargeait pas les taxes.»

À la Saint-Jean de 1990, la chanteuse gaspésienne est choisie pour représenter «la génération montante» aux côtés de Diane Dufresne et Gilles Vigneault. Quelques mois plus tard, elle reçoit sept nominations au Gala de l’ADISQ et remporte notamment le trophée de la Découverte de l’année, coiffant au passage Marc Gabriel, Kashtin, Les Parfaits Salauds et Vilain Pingouin. Au total, son album est vendu à plus de 100 000 exemplaires. «Après tout ce succès-là, j’ai simplement décidé de suivre mon instinct», dit-elle. «C’est la musique qui a mené ma vie.»

Suivent ensuite le succès de Corridors en 1993, vendu à plus de 100 000 exemplaires, et celui, plus modeste, mais tout aussi valable, d’Avant le squall en 1998.

Son quatrième album, …et j’espère, paraît en 2001. Ses accents country plus prononcés lui ferment la porte pour la toute première fois aux radios commerciales. «La chanson Jeter un sort était particulièrement western, et les radios de Montréal et Québec ne voulaient pas qu’elle joue», se remémore-t-elle. «Mais l’affaire, c’est que c’était devenu un gros succès sur toutes les radios en région… Face à ça, les radios des grandes villes n’ont pas eu le choix d’embarquer quelques mois après.»

Préférant par-dessus tout la tournée à l’enregistrement, Laurence Jalbert prend une pause d’écriture pendant plusieurs années. En 2004, Audiogram lui propose de sortir une compilation de ses plus grands succès.

«Au début, j’en voulais vraiment pas. Je trouvais que ça servait à rien, mais j’ai compris le concept ensuite», admet-elle. «C’est qu’en mettant une nouvelle chanson dessus, Évidemment, on a réussi à en vendre plus de 80 000 exemplaires. Ça m’a aidé à avoir un nouveau public qui, 15 ans plus tard, n’avait pas nécessairement fait le lien entre moi et mes anciennes chansons.»

Un tournant country pas adopté par les radios

Entre de très longues tournées, la musicienne prend le temps d’enregistrer deux albums au tournant de la décennie 2010. Ce n’est toutefois qu’avec son septième album studio Ma route, qui paraîtra le 19 février prochain sous Musicor, qu’elle sent réellement «un tournant» dans sa carrière : «Mon album de 2011, Une lettre, c’était plus pour les fans. J’avais rien écrit. Pour celui-ci, je voulais vraiment attendre de trouver un son en particulier avant de commencer à créer.»

Et ce son, elle l’aura finalement trouvé grâce au guitariste et réalisateur étoile Rick Haworth, l’un de ses fidèles alliés. «Étrangement, c’est en écoutant l’album de Yoan sur la route que j’ai compris ce que je voulais. Ça sonnait exactement comme j’aimais», raconte-t-elle. «J’ai regardé qui l’avait réalisé et j’ai vu que c’était Rick. Je l’ai texté pour savoir s’il voulait réaliser mon prochain disque, et il m’a répondu par l’affirmative 3-4 minutes après.»

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Béatrice Flynn et Sébastien Iannuzzi

En découle une musique country à la chaleur enveloppante, qui n’est pas sans rappeler celle des derniers Éric Goulet et Renée Martel. Sans surprise, la proposition musicale ne plait pas aux radios commerciales, qui ont récemment fermé la porte au premier extrait.

«Elles ne veulent pas passer la toune… Pour elles, le banjo, ça ne passe pas», confie-t-elle, sans amertume. «C’est un peu la même affaire qu’avec Jeter un sort il y a 15 ans, mais disons que là, ça ne me tente pas de me battre. J’ai 56 ans et je suis consciente de l’importance de tout ça. S’il faut enlever le banjo pour que les radios passent ma toune et que le plus de gens possible l’entendent, je peux le faire. Y’a une limite à ce que j’accepterais de faire pour ça, mais en l’écoutant, sans banjo, avec Rick, on a trouvé ça bon aussi.»

En attendant le résultat, la chanteuse reste fière de son album, notamment en raison des textes «lumineux et pleins d’espoir», notamment écrits par Catherine Durand, Bourbon Gauthier et elle-même.

«C’est un album qui souligne toute la trail que je décris depuis tantôt», résume-t-elle. «C’est autant la route de la boîte de trucks que celle des bars. Cette route-là, elle mène au cœur du monde, au cœur des fans à qui je fais oublier, le temps d’un show ou d’une chanson, que la vie, c’est pas toujours facile. Ce sont les mêmes raisons qui me poussent à continuer à faire de la musique depuis mes tout débuts.»

Ma route, disponible le 19 février.