Il y a 10 ans : The Sainte Catherines – Dancing for Decadence
Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.
Album emblématique de la scène punk québécoise, Dancing for Decadence a marqué un tournant dans la carrière de The Sainte Catherines. Paru sous la prestigieuse étiquette californienne Fat Wreck Chords, ce quatrième opus du défunt groupe montréalais a été une source d’espoir considérable pour bon nombre de groupes locaux désirant s’exporter chez nos voisins du sud. Retour sur sa genèse et son impact, en compagnie du chanteur Hugo Mudie et du guitariste Marc-André Beaudet.
«On était rendus à ‘ça passe ou ça casse’», confie d’entrée de jeu Hugo Mudie, à propos de l’état d’esprit du groupe aux balbutiements de la création de l’album en 2004. «Ça faisait déjà cinq ou six ans qu’on se promenait en Amérique du Nord et en Europe, sans support de label. On avait fait au-dessus de 400 shows! On se disait qu’on ferait pu jamais ça, des tournées qui mènent à rien.»
Fort de sa réputation qui, peu à peu, commençait à prendre du galon à l’international, le groupe fondé en 1999 avait quelques offres sur la table pour son quatrième album, notamment celles du label metal allemand Century Media et de l’étiquette punk rock floridienne No Idea Records.
Mais celles-ci ne font pas le poids face à celle de Fat Wreck Chords, légendaire étiquette américaine, qui a notamment contribué à l’essor des Good Riddance, Rise Against, Propagandhi, No Use for a Name, Against Me! et autres figures incontournables du punk des années 1990 et 2000.
«C’est arrivé un peu par hasard tout ça», relate Hugo, par rapport à la signature du groupe avec cette étiquette fondée par Fat Mike de NOFX en 1991. «À l’époque, on faisait beaucoup de shows avec Against Me!, et le groupe semblait pas mal tripper sur nous autres… Fat Mike était curieux et, lorsque la grosse tournée de NOFX avec Against Me! s’est arrêtée au Métropolis en 2005, on a reçu un appel d’un gars d’Against, qui voulait qu’on apporte nos albums au show parce que Fat Mike était intéressé à nous entendre.»
Des mois après, le groupe reçoit un autre appel important : Fat Mike a aimé ce qu’il avait entendu et veut, à présent, entendre de nouvelles chansons.
Hardcore punk et désillusion
Sans attendre, le sextuor (complété par Rich à la batterie, Louis Valiquette et Fred Jacques à la guitare ainsi que Pablo à la basse) se met à la composition et, rapidement, à l’enregistrement. Le son de ce quatrième album se précise : le rythme sera beaucoup plus rapide que précédemment, et les influences punk du groupe seront altérées par une couleur hardcore.
«On tripait sur le hardcore punk méchant à l’époque», se souvient le chanteur, citant notamment les groupes de l’étiquette californienne Ebullition Records. «On a essayé de mixer ça avec ce qu’on aimait avant, genre Hot Water Music. Le but, c’était d’avoir quelque chose de catchy, mais qui garde l’énergie incisive du hardcore.»
«L’arrivée de notre nouveau drummeur, Rich a pas mal contribué au processus», renchérit Marc-André Beaudet. «C’était le premier batteur des Sainte Cath qui acceptait de jouer rapidement. Chez les autres d’avant, y’avait un peu de snobisme par rapport au typique ‘punk à roulettes’. C’était pas l’époque pour ça, mais nous, on voulait essayer quelque chose de différent.»
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Côté textes, Hugo Mudie s’inspire de sa vie de tournée pour livrer des charges assez rudes contre l’industrie musicale et ce qui en découle. «J’étais autant désillusionné de la scène punk que de l’amitié et des amours impossibles», explique le parolier, qui écrivait les chansons dans sa van en tournée. «J’avais envie de dire au monde ‘vous comprenez rien de la vie, c’est pas de même que ça se passe’. Ça s’adressait autant à mes amis qui catchaient pas que je pouvais dédier ma vie à mon band qu’à ma blonde ou ma famille qui comprenait pas pourquoi je voulais faire ça dans la vie.»
«Y’avait aussi une critique du showbiz en général», ajoute-t-il. «Quand on est jeunes, on pense que le punk, c’est une communauté DIY qui se tient ensemble, mais finalement, c’est super compétitif. Tous les bands qui sonnent pareil se tiennent ensemble, pis si tu portes pas le bon t-shirt, t’es pas dans la gang. À travers les années, on s’est fait des amis, mais de façon générale, y a rien de spécial dans la scène punk. C’est pas plus ouvert d’esprit que la société normale… Ce l’est peut-être même moins.»
«C’est comme une cour d’école», renchérit Marc-André. «Y’a des gangs qui se tiennent ensemble et qui rient des autres.»
«Pis disons que, nous, les grosses jokes de «faggot» dans le backstage, ça nous rejoignait pas pantoute…» rétorque Hugo.
Le même feeling que «jouer dans la LNH»
Le groupe n’hésite toutefois pas à embarquer dans le bateau punk emblématique quand l’occasion se présente à lui, à la toute fin de l’été 2005.
«J’me rappelle que j’étais couché dans un parc quand Fat Mike m’a appelé. J’ai tout de suite appelé mes amis pour qu’on fête ça à L’Esco», se remémore le chanteur. «Plus jeune, je rêvais de jouer dans la LNH et ça, c’était un peu le même feeling. C’était comme la réponse tant attendue à la question ‘pourquoi on se fait chier depuis toutes ces années?’.»
La réaction sur la scène punk est instantanée. L’événement est carrément historique : c’est la première fois qu’un groupe québécois est signé sur l’étiquette punk la plus reconnue au monde. «Y a beaucoup de monde qui nous hypait ça. On nous disait que, bientôt, on aurait chacun une maison comme les gars de Propagandhi», se souvient Marc-André. «À son apogée, Fat Wreck sortait rarement des albums qui vendaient en bas de 50 000.»
«L’affaire, c’est que ce boom-là était fini», nuance Hugo. «Fat Wreck commençait à sortir des petits bands, comme nous. C’était ça, leur nouvelle direction. On nous disait qu’on allait être les prochains Against Me!, mais c’est pas vraiment ça qui s’est passé.»
Tous les espoirs sont toutefois permis lors de l’enregistrement de l’album, à l’automne 2005. C’est le réalisateur britannique Alex Newport (hélas reconnu pour son travail avec At the Drive-In et The Melvins) qui est chargé par Fat Wreck pour venir enregistrer l’album des Sainte Catherines à Montréal.
«Les tounes étaient toutes écrites, et on a commencé la préprod avec lui dans un studio en haut de L’Esco. On lui jouait les chansons live, et lui, il nous donnait des consignes, des pistes à suivre. Il s’ajustait à notre feeling, sans rien imposer de drastique», relate le guitariste.
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«Bref, ça a vraiment bien été. Le seul fuck up qu’il y a eu, c’est que j’ai perdu ma voix pendant l’enregistrement», raconte Hugo. «Je vivais, à l’époque, une période de défonce assez intense. Je dormais pas ben ben…»
«C’est drôle parce que t’étais convaincu que t’étais meilleur pour chanter quand t’étais scrap…» ajoute, en riant, son collègue.
«Ouais, ça, c’est à cause de l’album des Yesterday’s Ring que j’avais enregistré totalement gelé, quelques mois avant. J’avais trouvé le résultat pas mal cool», explique Hugo, pince-sans-rire.
En studio, des membres du label sont sur place, notamment Mark Tamo, l’un des haut placés, pour veiller au bon déroulement des sessions d’enregistrement. «Il me chekait pour pas que je consomme. Moi, j’étais con, j’me cachais», admet Hugo. «Je faisais semblant d’aller me coucher pis j’allais à L’Esco.»
Impact instantané et épuisement
Le 21 mars 2006, Dancing for Decadence paraît officiellement, et le groupe souligne l’événement avec un lancement au Divan orange et un autre spectacle quelques jours plus tard, le 25, au défunt El Salon sur Saint-Laurent. La tournée nord-américaine et européenne s’ensuit assez rapidement.
«Les foules ont quadruplé», se souvient Marc-André. «L’engouement autour de nous a été plus fort instantanément. Quand on est débarqués en Europe, y a trois kids qui sont arrivés avec des posters de nous et qui nous demandaient des autographes. Bon, c’est la seule fois que c’est arrivé, mais ça reste mémorable!»
«Ça nous a permis également d’être acceptés dans le showbiz québécois», ajoute Hugo. «Avant, on était juste un vieux band punk qui jouait à L’X, mais là, on était mentionné dans La Presse. Peu à peu, je devenais un ‘bum sympathique’.»
Malgré son passage de groupe punk obscur à «héros local», The Sainte Catherines n’est pas en mesure de remplir les objectifs commerciaux du label californien. Paru en même temps que le début du déclin inévitable de l’industrie du disque, ce quatrième album est écoulé à un peu plus de 15 000 exemplaires. «Fat s’est rapidement rendu compte que les disques vendaient moins et qu’il nous avait donné trop d’argent par rapport au retour sur investissement», explique Marc-André. «À ce moment-là, ils ont voulu que les groupes partent sur la route toute l’année.»
Le groupe se plie aux exigences du label et se produit en spectacle sans arrêt pendant près d’un an. En mars 2007, il se voit toutefois contraint de ralentir la cadence puisque son chanteur doit désormais se consacrer à son rôle de papa. «Là, j’me rappelle qu’on s’est mis à refuser des grosses tournées, notamment avec Comeback Kid et No Use For A Name, qui nous auraient rapporté 1000$ par show. Le label tripait pas tant que ça sur le fait qu’on refuse des occasions de la sorte… » admet Hugo Mudie. «À ce moment-là, on était tous à la fin ou à la mi-vingtaine. Y a plein de bands plus jeunes qui étaient prêts à prendre notre place.»
«Disons que de partir 6 à 8 mois en tournée pour revenir cassé comme un clou parce qu’on a tout dépensé notre argent à rouler, ça nous intéressait pas autant qu’avant», ajoute son acolyte. «Ça devenait épuisant à la longue.»
Dans les mois qui suivent, le groupe laisse donc tomber le bateau Fat Wreck Chords. En plus de lui donner un budget beaucoup plus petit (6000$ vs 50 000$), l’étiquette ne trouve pas ses nouvelles chansons «assez punk».
«Personnellement, je n’ai aucun regret», confie le guitariste. «Tous les trucs dont je rêvais quand j’étais kid, je les ai accomplis avec les Sainte Cath. On n’avait pas l’ambition d’amener ça vraiment plus loin.»
«Ça a été l’fun, mais ça aurait pas nécessairement été bon que ça continue», indique Hugo. «On aurait probablement reviré dans la grosse dope. Y a tellement de temps à tuer en tournée que ça devient vraiment facile de tomber là-dedans…»
Influence considérable sur la scène d’ici
Pour tout ce qu’il représente, Dancing for Decadence a néanmoins donné de l’espoir aux jeunes groupes punk et hardcore montréalais, au même titre que les succès de d’autres groupes du genre comme Fifth Hour Hero et Despised Icon, qui sillonnaient les scènes américaines à la même époque.
«Ça a mis en relief que c’est pas parce qu’on vient du Québec qu’on peut pas être sur un gros label américain», résume Marc-André. «Des gars comme The Hunters ont mentionné souvent qu’on avait eu une influence sur eux à ce niveau-là.»
«Même Malajube, à l’époque, nous nommait à titre d’exemple de groupes d’ici qui ont réussi à s’exporter aux States», ajoute Hugo. «Si des bands d’ici ont eu le guts de vivre leur rêve en partie à cause de nous, je suis très fier de ce qu’on a accompli.»
Séparé depuis 2012, le groupe reprendra la scène cet été, le temps de quelques spectacles spéciaux soulignant les 10 ans de son album phare. «J’ai réécouté l’album la semaine passée, et j’ai tellement trouvé que c’était rapide! Va falloir que Rich en mette plus à la batterie parce qu’on les joue vraiment pas rapide de même», blague Mudie.
«Pour de vrai, je l’ai quand même trouvé bon, le disque. Je pourrais le sortir cette année pis je serais pas gêné.»
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The Sainte Catherines – Dancing for Decadence – 10e anniversaire
Pouzza Fest / Montréal – 20 mai 2016
Punk Rock Bowling / Las Vegas – 29 mai 2016
Amnesia Rockfest / Montebello – 23-25 juin 2016
Dancing for Decadence, en vente sur iTunes.