Richard Séguin : L'imaginaire d'un pays
Musique

Richard Séguin : L’imaginaire d’un pays

Séguin en appelle à la mémoire et à l’espoir sur son quatorzième album de chansons originales.

Cinq ans après le sombre Appalaches, Richard Séguin explore des sentiers plus lumineux sur Les horizons nouveaux.

Sensible à ce qui l’entoure, l’auteur-compositeur-interprète de 64 ans s’est fait un devoir de livrer une dose d’optimisme sur son nouvel opus : «En ce moment, au Québec, il y a beaucoup de densité en cinématographie. On dirait que tout finit par un suicide!  Les nouvelles, non plus, ne sont pas trop trop réjouissantes… À l’heure des murs qu’on veut ériger, Les horizons nouveaux, c’est un souhait. Miron disait qu’au-delà de créer un pays imaginaire, il fallait d’abord créer l’imaginaire d’un pays. J’ai voulu y ajouter un peu de lumière.»

Chose certaine, l’état d’esprit actuel du chanteur estrien n’a rien à voir avec celui qui l’habitait en 2011, à la sortie de son treizième album.

«J’ai l’impression que les années Harper m’avaient pas mal magané», se souvient-il. «On était devant un gouvernement qui méprisait la culture, qui refusait le débat d’idées, qui faisait la promotion de l’armement avec une politique guerrière… Oui, c’était sombre, et en plus, ça persistait et ça durait. J’ai été déçu parce que je m’attendais à une vive réaction de la part du Québec. C’était plus que jamais le temps de mettre de l’avant nos valeurs et de se définir en tant que pays. Malheureusement, la situation a stagné, et ça a déteint sur l’album.»

Histoires de mémoire

Écartant «les chansons en mode mineur», Séguin a donc changé sa façon de voir les choses pour Les horizons nouveaux.

La mémoire, son thème de prédilection, se pointe dès les premières secondes de la pièce d’ouverture Quand on ne saura plus chanter, en collaboration avec le groupe folk trifluvien Bears of Legend.

Autrefois désillusionné, les «yeux vidés», le chanteur rappelle que c’est Miron qui l’a «sauvé». «C’est Miron qui m’a aidé à concevoir une réalité poétique ancrée dans le réel et le rêve pragmatique», confie-t-il. «Avec des phrases comme ‘j’ai su qu’une espérance soulevait le monde jusqu’ici’, il combattait l’anesthésie ambiante. Il était capable de nous mener à l’action uniquement avec ses mots.»

seguin_jeancharleslabarre
Crédit : Jean-Charles Labarre

Digne héritier du poète montréalais, Séguin allie métaphores et critique sociale avec la même force qu’autrefois. Sur Au bord du temps, il aborde la question délicate des réfugiés, des gens venus ici «le cœur rempli de lendemain» et «les mains tournées vers la beauté».

«La chanson est née d’une question de ma fille. En revenant de l’école, elle m’a demandé si les réfugiés venaient ici pour faire la guerre», raconte-t-il. «J’ai tout de suite senti le besoin d’écrire quelque chose à ce sujet.»

Également plongé dans un contexte familial, Dans mon cœur évoque «la colère des villages», ceux que le Conseil du patronat du Québec disait vouloir fermer en janvier 2015.

Au lieu de critiquer directement l’idée saugrenue, Séguin raconte le déracinement des familles. «Je voulais ancrer le sujet dans une réalité concrète, en mettant l’accent sur le père, qui doit expliquer la situation à ses enfants», explique-t-il. «Il y a une forme de résignation dans la chanson, comme si on ne pouvait rien y faire… Je crois d’ailleurs qu’il y a un peu de mon propre père là-dedans. Il a fini sa vie résigné, et il y a bien des affaires que j’aurais voulu lui dire avant qu’il parte.»

Aller de l’avant

Pour le reste, Richard Séguin se tient loin de la résignation. Malgré sa forme ironique, Tant qu’y en a renoue avec une «belle victoire citoyenne», celle qui a empêché la privatisation du Mont-Orford.

«C’est un clin d’œil au 10e anniversaire de la polémique», indique le chanteur. «Je me rappelle que la Chambre de commerce de Montréal riait de nous. Elle disait que ce n’était certainement pas des gratteux de guitare qui allaient empêcher le développement économique. On leur a prouvé le contraire, en montrant qu’on était attachés à notre territoire. On l’a également fait par peur que les idées du genre se multiplient dans d’autres parcs.»

seguin_micheline-bleau
Myëlle, Richard Séguin, Hugo Perreault et Simon Godin. Crédit : Micheline Bleau

Bref, Les horizons nouveaux revisite le passé pour mieux aller de l’avant. Soutenu par des compositions folk intemporelles, majoritairement écrites par Séguin puis retravaillées en studio avec ses acolytes Myëlle, Hugo Perreault et Simon Godin, l’album a été conçu en cinq ans.

«Ça ne s’est pas fait de façon angoissée. Je sais que ça me prend du temps», dit-il. «Dany Laferrière dit que ‘la vie précède l’écriture’, et je suis plutôt d’accord avec lui. J’ai besoin de reprendre mes activités avant de m’installer pour écrire mes chansons.»

Richard Séguin – Les horizons nouveaux

En magasin le 22 avril 2016