Il y a 10 ans : Vulgaires Machins – Compter les corps
Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.
Unanimement acclamé par la critique, Compter les corps a permis à Vulgaires Machins de percer les barrières des radios commerciales et de s’imposer comme le chef de file du punk rock québécois. Mené par des textes revendicateurs et incisifs, des mélodies mordantes et accrocheuses ainsi qu’une réalisation puissante et léchée, le quatrième album du groupe granbyen a marqué les esprits. Dix ans après sa sortie, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de Guillaume Beauregard et Marie-Ève Roy.
Écrit, composé et enregistré en 2005 et 2006, Compter les corps est d’abord marqué par une importante pause du groupe.
Exténuée «après deux ans de shows intenses», Marie-Ève Roy enjoint ses acolytes à mettre Vulgaires Machins en jachère au courant de l’année 2004 – près d’une décennie après sa formation.
«On revenait d’une tournée très fatigante pour Aimer le mal», explique-t-elle, à propos du troisième album du groupe paru en 2002. «On s’était promenés vraiment partout, autant en France qu’à Saskatoon. Dans l’avion, à un moment donné, j’ai fait un badtrip… J’avais un énorme besoin de repos.»
«Faut dire que c’est une période où on était 24/24 à fond dans les Vulgaires», poursuit Guillaume Beauregard. «Marie et moi, on habitait dans un gros gros loft de 4000 pieds carrés, et en bas, il y avait notre studio. Pour vrai, on se réveillait le matin et on prenait notre café dans l’équipement! On avait jamais de break, même entre deux tournées. On avait besoin de temps pour décanter.»
S’occupant eux-mêmes de leur gérance, Guillaume Beauregard, Marie-Ève Roy, Maxime Beauregard et Patrick Landry choisissent donc de mettre de côté VM pour une période indéterminée. «On avait besoin d’une pause pour rétablir l’équilibre», renchérit la chanteuse et guitariste. «De mon côté, j’ai pris du temps pour moi. J’ai pris des vacances, j’ai fait de la peinture… Mon but, c’était juste de faire autre chose de concret que des shows et de la musique.»
«Au début, je sais même pas si on avait vraiment prévu revenir ensemble», admet Beauregard. «Chose certaine : Marie avait besoin qu’on n’ait plus de projections. Pour vrai, j’étais quand même content de prendre une pause et de mijoter tout ça. J’écris pas vite et j’aime prendre mon temps, donc ça m’allait.»
Album ambitieux en chantier
Dès le début de l’année 2005, l’auteur-compositeur-interprète se remet plus sérieusement à l’écriture, sans toutefois avoir en tête un projet concret d’album : «J’avais recommencé à écrire en espérant qu’on s’y remette à un moment donné. J’étais très ambitieux, j’avais presque 25 tounes en chantier.»
Sans échéancier à respecter, Guillaume Beauregard prend son temps et fignole ses textes. «C’est pas mal là que j’ai compris qu’écrire, c’est surtout réécrire, et qu’une toune, ça peut prendre un an à écrire», explique-t-il. «Avec du recul, je constate qu’Aimer le mal, c’était un album enragé, alors que Compter les corps, c’est plus contenu et réfléchi. Plus que jamais, j’avais le gout d’écrire de quoi d’engagé et de subversif. Je voulais déranger et avoir un impact politique, bien au-delà de la musique.»
Motivé, le chanteur enjoint ses acolytes à se reformer au courant de l’été. «Naturellement, on a eu le gout de revenir ensemble», se souvient Marie-Ève Roy. «Ce recul-là nous a permis de repartir plus fort après. Pareil comme un slingshot!»
Malgré la longue pause, le groupe granbyen est somme toute confiant. «C’est drôle parce qu’il y a un gars dans l’entourage du groupe qui nous a dit quelque chose comme : ‘’T’sais, ça fait quatre ans que vous avez rien fait. Ça va peut-être passer dans le beurre…’’» raconte le chanteur. «Au début, ça m’avait choqué, mais finalement, ça a été un motivateur de plus. Ça nous a mis en tête de faire le meilleur album punk franco possible. C’était pas nécessairement pour montrer au monde qu’on était bons, mais plus pour se challenger.»
Entre alors en scène Gus Van Go, leader du défunt groupe culte ska Me Mom & Morgentaler et musicien montréalais émérite, qui a donné le coup d’envoi à la carrière des Stills en signant la réalisation de leur acclamé premier album en 2003. «J’avais découvert les Stills pendant notre pause et, tout de suite, j’ai voulu travailler avec leur réalisateur», relate Marie-Ève Roy.
«Il a accepté sans hésiter», poursuit son collègue. «Pour vrai, il était hyper impliqué dans le processus. Il remettait plein d’affaires en question. Lui, il hésite pas à jeter les chansons pas assez bonnes ou à complètement changer les arrangements. Nous, on avait jamais fait ça, scrapper des bouts de tounes.»
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Catchy et revendicateur
À l’automne 2005, le groupe entre officiellement en préproduction avec Gus Van Go. La direction musicale du quatrième album se précise. «On recherchait la fine ligne entre le côté edgy des Pixies et celui catchy pop de Green Day», précise Guillaume Beauregard. «Nous, on n’est pas embarqués dans le punk en écoutant du Misfits pis du Danzig. On a commencé avec les Bad Religion, Offspring, Green Day et cie. Les refrains un peu plus pop ne nous ont jamais rebutés.»
À cette époque, l’auteur-compositeur-interprète est d’ailleurs quelque peu exaspéré de l’attitude punk conservatrice – ce qu’il traduit avec virulence dans plusieurs textes de l’album.
«J’ai toujours trouvé qu’il y avait de quoi de contraignant et de dogmatique dans la culture punk», précise-t-il. «Nous autres, on avait envie pas envie de prêcher aux convertis…. On avait envie que notre message passe et que le plus de monde possible l’entende! C’est pas parce qu’on a un hook catchy et que notre clip joue à MusiquePlus qu’on est sell-out. Pour nous, être punk, c’est simplement assumer à 100% ce qu’on fait.»
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Début 2006, les Vulgaires Machins amorcent l’enregistrement de l’album au studio Mixart dans l’ouest de Montréal, à Notre-Dame-de-Grâce. C’est le batteur Patrick Landry qui enregistre en premier ses sessions. «On avait pris le temps d’enregistrer tout l’album en préprod afin que Pat puisse avoir une idée de toutes les chansons finales en pratiquant son drum. C’est une façon de faire un peu irréaliste maintenant, mais dans ce temps-là, on pouvait se le permettre. Disons qu’on avait eu un pas pire budget… Le plus gros qu’on a jamais eu en fait», confie le chanteur. «C’est dans les dernières années que les albums se vendaient pour vrai. Indica profitait aussi de l’engouement post-Gros Mammouth des Trois Accords.»
Exode à New York
En février, le groupe trimbale ses chansons et ses instruments à Williamsburg, quartier bohémo-hipster brooklynois alors en pleine effervescence. Pendant deux mois, les musiciens vivent dans l’appartement de Gus Van Go et profitent d’une ambiance artistique de choix pour le reste de l’enregistrement.
«À l’époque, Williamsburg était pas encore trop embourgeoisé. C’était peuplé de pionniers qui commençaient à installer de quoi de cool. Pour vrai, c’est la meilleure expérience d’enregistrement qu’on a eue de notre vie», indique Guillaume Beauregard. «On vivait dans un petit appart avec les 2-3 chats de Gus. Le studio était à 15 minutes de marche de là.»
«On était vraiment chanceux de pouvoir profiter d’une bulle de création comme ça», poursuit sa complice. «On était entourés de découvertes : des tavernes clandestines, des dive bars, des shows de peinture, des vernissages, des spectacles de dragqueens…»
«C’est même là que j’ai mis les pieds pour la première fois dans un barcade!» se remémore avec excitation le chanteur. «J’me rappelle d’être revenu à Montréal et de dire ça à tous mes chums. Personne en revenait que ça existe.»
Comme c’était le cas en préproduction, Gus Van Go s’impose comme le maître à bord et s’assure de mener l’embarcation à bon port. «C’était cool d’avoir une autorité suprême comme lui. Autrement, on pouvait s’obstiner à l’infini dans le band», relate le Granbyen. «Là, c’est lui qui tranchait.»
Succès confirmé
De retour à Montréal en avril, la bande finalise le mixage et choisit le premier single. Critique mordante des médias sensationnalistes, qui écorche directement le Journal de Montréal, Puits sans fond se démarque des autres, ne serait-ce que pour son riff mémorable et son refrain accrocheur. «Je redoutais vraiment ce choix de single-là. Je ne vivais pas bien avec l’idée d’être aussi provocatrice», admet Marie-Ève Roy. «Finalement, quand on l’a sorti en juin, ça a vraiment bien fonctionné. J’étais très surprise. On a même eu une bonne critique de la part du Journal!»
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Propulsé par le succès de la chanson (en rotation forte à MusiquePlus et sur les ondes des radios commerciales), Compter les corps paraît le 1er août 2006. L’album séduit instantanément les critiques.
«Il y a eu une réaction assez vive. Rapidement, l’album est sorti du réseau punk pour aller intéresser du monde qui, normalement, n’écoute pas ce genre de musique», se souvient Guillaume Beauregard. «Par contre, je pense pas que ça ait explosé d’un coup… C’était seulement l’évolution naturelle du band. Les Vulgaires Machins ne se sont pas réveillés mégapopulaires du jour au lendemain.»
Quelques fans de la première heure sont toutefois déçus du virage du groupe. «Je perdais beaucoup de temps à répondre à des courriels de haine», poursuit le chanteur. «Beaucoup nous disaient qu’on était devenus des vendus. Pour une raison ou pour une autre, ils avaient besoin de nous dire qu’ils nous haïssaient.»
Les mauvaises langues restent marginales, et VM entreprend avec assurance sa tournée à l’automne, d’abord à la première édition d’Osheaga le 2 septembre, puis ensuite au Granada de Sherbrooke le 29 septembre, au Théâtre Impérial de Québec le 12 octobre et au Spectrum de Montréal le 13 octobre.
«La rentrée au Spectrum, c’était vraiment fort», se rappelle Guillaume Beauregard. «Au début du show, je me suis évanoui pendant une seconde. J’avais un strob dans face et j’ai fait un blackout. Au moment de tomber, je me suis retenu avec mon pied. L’ambiance était pas mal intense.»
Beaucoup de nominations, peu d’honneurs
Sillonnant de long en large le Québec (et même la France) en 2007, le groupe obtient également une reconnaissance accrue de la part de l’industrie. Au printemps, il récolte une nomination pour l’album francophone de l’année aux Juno, puis en fait de même dans la catégorie du meilleur clip francophone aux Much Music Video Awards. Coup sur coup, il perd respectivement contre Il était une fois dans l’est d’Antoine Gratton et Pâte filo de Malajube.
À l’automne, le groupe accumule aussi les nominations, mais ne récolte finalement qu’un honneur (celui du meilleur album punk de l’année au GAMIQ).
À l’ADISQ, il mord la poussière dans les catégories auteur ou compositeur (face à Daniel Bélanger) et révélation de l’année (face à Tricot Machine). «On avait pas gagné grand-chose, mais j’ai le souvenir que c’était une période de nos vies où on tripait pas mal. On vendait des albums, nos tounes roulaient… On gagnait notre vie honorablement en faisant du punk rock!» s’exclame le guitariste.
Même s’il n’a pas été l’initiateur d’une quelconque vague punk francophone plus commerciale, ce quatrième album des Vulgaires Machins a toutefois servi d’exemple local à des groupes comme O Linea, Charlie Foxtrot et oRCondor qui, eux aussi, ont su marier irrévérence punk et refrains plus pop quelques années plus tard.
Dix ans après, les deux musiciens sont encore fiers de l’œuvre qu’ils ont créée. «Je n’ai pas réécouté l’album du début à la fin depuis très longtemps», admet Guillaume Beauregard. «En fait, on dirait que j’hésite à le réécouter… Je veux pas altérer le bon souvenir que j’en ai.»
Compter les corps, en vente sur le site web des Vulgaires Machins.
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