Klô Pelgag en studio : À l'aveuglette
Musique

Klô Pelgag en studio : À l’aveuglette

À quelques semaines de la sortie de son très attendu deuxième album, Klô Pelgag nous ouvre les portes du studio La Traque, là où elle finalise ses sessions d’enregistrement avec le réalisateur Sylvain Gabatine. Récit d’une rencontre aussi généreuse que saugrenue.

C’est une Klô Pelgag radieuse, le sourire contagieux, qui nous accueille dans son studio étroit, au détour d’un des nombreux couloirs du labyrinthique La Traque. Au loin, délaissant sa souris, Sylvain Gabatine s’apprête à se lever, au même moment où sa complice le ramène à l’ordre.

«T’étais supposé de faire comme si t’étais aveugle!» lui envoie-t-elle, avant d’éclater de rire.

À tout le moins, le trompe-l’œil – carrément raté – donne le ton à l’entrevue.

«Je vais me contenter de mettre mes lunettes d’aveugle», rétorque un Sylvain Gabatine aussi diverti que médusé, empoignant sur son bureau une paire de verres fumés qu’il gardera sur son nez tout au long de l’entrevue.

Klô Pelgag et Sylvain Gabatine, photo : Antoine Bordeleau
Klô Pelgag et Sylvain Gabatine, photo : Antoine Bordeleau

Faisant équipe pour une deuxième fois, Gabatine et Pelgag ont la folie facile et la complicité palpable. Les voir interagir et délirer ainsi laisse présager une ambiance de travail harmonieuse, propice à la création d’une œuvre singulière, au-delà de tous formats et standards consensuels.

«C’est un album beaucoup plus ambitieux», indique l’auteure-compositrice-interprète sur une note plus sérieuse. «On a travaillé avec un orchestre de 20 musiciens. C’était fou… On s’est vraiment gâtés.»

Enregistré dans un premier temps au Studio B-12 de Valcourt, l’album a ensuite bénéficié d’une aide précieuse. Sacrée Révélation Radio-Canada 2014-2015, Klô Pelgag avait en banque des heures d’enregistrement au réputé Studio 12 de la société d’État.

C’est là que l’orchestre mené par Nicolas Ellis (chef assistant en résidence à l’Orchestre symphonique de Québec) a été réuni, le temps d’une journée bien chargée. Au préalable, les fidèles acolytes de la chanteuse (c’est-à-dire le batteur Charles Duquette, le contrebassiste Philippe Leduc, la violoniste Fanny Fresard, l’alto Lana Tomlin et la violoncelliste Elyzabeth Burrowes) avaient été mandatés pour repérer et suggérer de talentueux musiciens.

Sur place, le multi-instrumentiste, arrangeur et frangin Mathieu Pelgag a tout mis en place pour que la courte session se déroule bien. «Pour lui, c’était des mois de préparation qui, en bout de ligne, aboutissaient à six heures de travail», relate le réalisateur. «On aurait aimé avoir plus de temps, mais on n’avait pas un budget assez gros pour engager autant de musiciens plus qu’une demi-journée.»

«En fait, si on avait eu plus d’argent, on aurait tout simplement payé une opération au laser à Sylvain», plaisante à nouveau la chanteuse de 26 ans.

Tempérament imprévisible

Cette propension à déconcerter, Klô Pelgag la cultive également dans sa musique. Si en spectacle cette attitude donne lieu à de sublimes imprévus, elle est généralement moins viable en studio, là où les normes et les limites sont plus définies. «Parfois, ça peut être difficile de capturer une énergie aussi spontanée. C’est quelque chose qu’on doit souvent travailler», admet Gabatine, recueillant l’approbation de sa collègue par un hochement de tête.

D’ailleurs, le batteur Charles Duquette a grandement contribué à atténuer le tempérament imprévisible de la Gaspésienne. «C’est un gars qui l’aide beaucoup côté tempo. On peut dire qu’il est la colonne vertébrale de l’ensemble de la création», résume le réalisateur.

«On a une relation qui grandit, Charles et moi, enchaîne sa complice. Beaucoup de chansons ont d’abord été enregistrées batterie-voix.»

Klô Pelgag, photo : Antoine Bordeleau
Klô Pelgag, photo : Antoine Bordeleau

À la base, toutefois, ce deuxième album a été entièrement écrit et composé en solo par Klô Pelgag. Sur la route pendant près de deux ans et demi, autant ici qu’en France, la chanteuse n’a pas pris de pauses avant de se remettre au travail. «Je me suis rendu compte que j’avais accumulé plein de débuts d’ébauche de chansons. Dès que la tournée a pris fin, je voulais travailler sur quelque chose. Je faisais juste penser à ça!» se remémore-t-elle. «Mon objectif premier, c’était d’écrire des tounes joyeuses, mais ça a pas vraiment marché…»

«Sur l’autre album aussi, elle voulait ça…» enchaîne Sylvain Gabatine, moqueur. «D’habitude, quand Klô te dit qu’elle a composé une chanson joyeuse, ça parle de mort et c’est en mineur!»

Les rires francs reprennent, mais rapidement, Pelgag précise son point de vue avec un ton conséquent: «Le nouveau, il a une angoisse différente du premier. Il est teinté de plusieurs de mes remises en question… On dirait que, plus que jamais, je sais c’est quoi, faire de la route jusqu’à en être écœurée. Quand j’ai commencé à écrire en décembre, j’avais peur de ne plus jamais avoir envie de faire des spectacles. Finalement, c’est revenu, mais ça a pris une coupure… »

Pas d’ambitions démesurées

Et cette coupure, c’est le voyage qu’elle a fait en mai dernier, juste après avoir terminé l’essentiel de l’enregistrement de cet album.

«Ça m’a vraiment fait du bien, confie-t-elle, souriante. Je suis partie sur le pouce faire le tour de l’Islande. J’ai renoué avec la base de la vie, et ça m’a redonné foi en l’humain. Quand tu travailles beaucoup et que tu sens que l’industrie te force à produire des shows à la chaîne, c’est quelque chose que tu peux facilement oublier…»

Après quelques secondes de silence, elle poursuit: «Pendant le voyage, j’ai parlé à plein de gens, sans jamais trop parler de moi. Je voulais simplement connaître la réalité de ces gens-là qui trippent sur les poissons tropicaux et qui, étrangement, ne se trouvent pas importants, alors qu’ils le sont. Je veux pas trop idéaliser ce que j’ai vu là-bas parce que je sais qu’il y a probablement des failles… Mais ça m’a fait du bien de voir des gens aussi vrais, qui respectent autant la nature.»

Revigorée, la révélation de l’année 2014 au Gala de l’ADISQ ne semble pas trop s’en faire avec les attentes de son public grandissant.

À l’inverse, elle dégage l’image d’une musicienne confiante, légèrement au-dessus de la mêlée. «Contrairement à plusieurs de mes amis musiciens, j’ai pas nécessairement envie de devenir plus populaire avec mon deuxième album, assure-t-elle. Mon rêve, c’est pas de jouer au Centre Bell ou de gravir les échelons de la popularité. Moi, j’aime ça, faire des shows dans des petits endroits. C’est là que je vis mes meilleurs moments.»

Le deuxième album de Klô Pelgag paraîtra le 4 novembre prochain.