Il y a 10 ans : Patrick Watson – Close to Paradise
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 10 ans : Patrick Watson – Close to Paradise

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.

Récipiendaire du deuxième prix Polaris de l’histoire, Close to Paradise a connu un succès inespéré au Québec et a progressivement piqué la curiosité d’une presse internationale, tournée vers Montréal en raison des prouesses d’Arcade Fire. Dix ans après sa sortie, qui a marqué l’avènement de l’étiquette Secret City Records, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de Patrick Watson.

Après avoir signé la trame sonore de l’album photo Waterproof  de son amie Brigitte Henry en 2001, Patrick Watson monte un quatuor pour la création de Just Another Ordinary Day, paru en 2003.

Accompagné par ses amis du cégep, le bassiste Mishka Stein et le batteur Robbie Kuster, ainsi que par son complice de longue date, le guitariste Simon Angell, le Californien d’adoption québécoise obtient d’abord un succès modique. «On a fait quelques spectacles, mais on était plutôt inconnus», admet-il. «À Montréal, on a monté un show multimédia avec un stage de cinéma caché derrière la scène qui faisait des effets un peu weird. C’était un show impossible à exporter, donc on a misé sur l’énergie du band pour créer quelque chose de moins ambitieux.»

Se promenant à travers le Canada, le quatuor (qui se produit tout simplement sous le nom de Patrick Watson) attire peu à peu l’attention de l’industrie musicale montréalaise et tout particulièrement du Cirque du Soleil qui, à l’époque, désire mettre sur pied une maison de disques. «J’ai convaincu le Cirque de nous donner une bourse pour aller à New York. On voulait louer un loft là-bas pour jouer et commencer à écrire l’album», explique le pianiste-chanteur.

Bien installés dans la ville qui ne dort jamais à l’hiver 2004, les musiciens pratiquent environ six heures par jour. Habitués de se voir une fois par mois à Montréal, ils profitent d’une retraite artistique de rêve. C’est là qu’ils composent Sleeping Beauty et Mr. Tom, une chanson inspirée par un artiste de Chicago avec qui ils partagent momentanément le loft.

Le reste du temps, les quatre amis vont voir beaucoup de spectacles et font la fête. «Pour vrai, on a dû dépenser 7000$ en bière», se souvient Watson, en riant. «On est revenus un mois plus tard avec quelques chansons, mais le label a fermé ses portes, avant même d’avoir fait paraître un disque. Ce qui est cool, c’est qu’on n’a pas eu à rembourser la compagnie. Bref, on a eu un trip toutes dépenses payées à New York!»

Exode dans les Cantons et à l’église

Heureux du résultat de l’épopée américaine, les quatre acolytes répètent l’expérience créative en vase clos, cette fois à Vale Perkins dans les Cantons de l’Est. «C’est vraiment là qu’on a appris à être un groupe», remarque Watson. «On multipliait les crazy jams et on tentait de trouver les petits moments magiques. C’est de cette façon qu’on a construit Slip Into Your Skin et The Storm

Luscious Life nait également durant cette retraite campagnarde de deux semaines : «On a eu l’idée de cette chanson après qu’une fille au dépanneur nous ait donné une caisse de bière gratuite juste parce qu’on était des musiciens. Quand on est revenus au chalet, on était tous dans un bon mood. La chanson est vraiment sortie toute seule.»

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Curieux et observateur de nature, Patrick Watson s’inspire de petits épisodes anormaux du quotidien comme celui-ci pour écrire les textes de plusieurs chansons de l’album : «Je suis un daydreamer. Ce sont les moments surréalistes de la vie qui m’inspirent, ceux qui ajoutent un peu d’étrangeté au quotidien. La plupart des textes de Close to Paradise sont en lien avec des choses que j’ai vues ou vécues.»

De retour à Montréal, la formation poursuit les spectacles. À temps perdu, le leader écrit quelques pièces en solo : «The Great Escape, je me souviens l’avoir écrite en une journée. J’étais chez moi, sans électricité, parce que je n’avais pas payé mon compte d’Hydro-Québec. J’étais dans un mood assez particulier.»

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L’ambiance sera d’autant plus singulière pour la suite des choses. Cherchant à vivre des expériences de création hors du commun, les musiciens s’installent dans une église abandonnée, au coin de Saint-Denis et Viger, en 2005.

«Ça, c’était un total crazy time! Le proprio nous l’avait laissée pendant trois mois afin qu’on y mette un peu de vie. On a déménagé notre studio et, en échange, on devait s’assurer de ne pas laisser les squeegees punks dormir à l’intérieur. Nous, on s’est quand même liés d’amitié avec quelques-uns d’entre eux et on a organisé un mariage punk dans les marches de l’église. C’était très amusant… On était même allés en haut pour sonner les cloches», se souvient Patrick Watson.

Patrick Watson à l'église. Courtoisie Secret City Records.
Patrick Watson à l’église. Courtoisie Secret City Records.

Comme d’habitude, le groupe mélange séances fructueuses de création musicale et festivités arrosées. «C’était très intense comme période. On jouait de la musique jusqu’à minuit et, après, c’était le gros party. À un certain moment, les pompiers sont débarqués parce qu’il y avait beaucoup de bruit. Ils ont d’abord vu notre set-up : un trampoline, une immense structure sur laquelle on projetait des images, un stage avec des harpes, des pianos, des strings… Puis, ils nous ont vu, au loin, totally wasted», se remémore, en riant, le Montréalais.

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À l’église. Courtoisie Secret City Records.

C’est durant cette période que la direction musicale de Close to Paradise se précise. Autant inspiré par Godspeed You! Black Emperor et Debussy que Sufjan Stevens, Björk, Radiohead et Pink Floyd, l’auteur-compositeur-interprète veut en mettre plein la vue en mélangeant guitares rock et arrangements orchestraux : «J’avais à peine 25 ans et je commençais à expérimenter les choses de la vie. Je ne cherchais pas nécessairement la célébrité et la richesse, mais chose certaine, je cherchais à satisfaire mes ambitions de créateur en composant quelque chose d’incroyable, d’époustouflant. J’ai toujours été une rocky person. I’m a natural storm.»

Finalisation ardue

Fin 2005, Patrick Watson et sa formation homonyme entrent aux renommés Breakglass Studios à Montréal. Soutenu par le réalisateur émérite Jean Massicotte, ils font face à un défi de taille : construire un album cohérent à partir de plusieurs sessions d’enregistrement disparates. «Je me rappelle que c’était très difficile de mélanger tout ça. Mais par-dessus tout, c’était vraiment l’fun. On essayait comme on pouvait d’en arriver à quelque chose», explique le principal intéressé.

En janvier et février 2006, d’autres chansons sont enregistrées, notamment la pièce-titre. En studio, la chimie entre les musiciens est bonne, mais un petit détail chicote trois d’entre eux. «Le nom du groupe, Patrick Watson, était un peu critiqué», confie le chanteur. «De mon côté, j’étais réticent à changer le nom au début… Close to Paradise était le premier album qu’on écrivait en groupe, alors je n’étais pas encore certain de l’engagement de tout le monde. J’ai ensuite été ouvert au changement, mais on n’a jamais trouvé un nom qui faisait l’unanimité.»

En mars, un ami proche de Patrick Watson, Justin West, crée Secret City Records à Montréal. Fils de Jim West, fondateur de l’étiquette jazz Justin Time, Justin demande à son ancien collègue du secondaire de joindre sa toute nouvelle étiquette de disques. «J’étais plutôt sceptique au départ», admet Watson. «Je voulais vraiment être signé sous un gros label à succès. Dans ma tête, c’est ça qui allait le plus me simplifier la vie. L’affaire, c’est qu’après l’échec du Cirque du Soleil, on n’avait pas eu d’autres offres. On a donc suivi Justin dans son aventure. Au lieu de joindre une étiquette déjà en place, on a décidé de construire quelque chose, tous ensemble.»

Après une session de mixage ardue et une tournée européenne, durant laquelle le groupe assure notamment les premières parties du légendaire James Brown, Close to Paradise parait en magasin. Le jour même de la sortie, le 26 septembre 2006, un lancement intime a lieu au Lion d’Or.

Engouement local intense

Désigné comme «le secret le mieux gardé en ville», Patrick Watson obtient graduellement un engouement médiatique local à la hauteur de la qualité de son œuvre. En résulte une avalanche d’excellentes critiques : «J’étais content de lire tous ces bons mots à notre propos, mais au-delà de ça, je ne me suis jamais senti responsable pour la musique que je crée. Je sens simplement que je fais partie du processus.»

Une longue tournée d’un an et demi s’ensuit, et le groupe tourne «jusqu’à s’en épuiser» : «On était jeunes et on buvait beaucoup. Ça a totalement changé notre vie, pour le bien et pour le mal. Encore aujourd’hui, je paie le prix pour tous ces sacrifices que j’ai dû faire. En priorisant la tournée, j’ai mis de côté la famille et la santé.»

Devant cette reconnaissance internationale, les organisateurs du Festival international de jazz de Montréal invitent Patrick Watson à fouler les planches du Métropolis en juillet 2007.

Deux mois plus tard, le 24 septembre, la formation rafle le prix Polaris, remis annuellement au meilleur album canadien selon la critique. Elle coiffe au passage Arcade Fire, Feist, The Dears et The Besnard Lakes, entre autres. «C’était vraiment cool comme honneur, mais en même temps, on savait qu’on n’avait pas fait le meilleur album canadien de l’année», nuance la pianiste. «Tout ce que ça voulait dire, c’est que, dans un certain timing particulier, on a réussi à toucher beaucoup de gens.»

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Patrick Watson à Toronto pour le Polaris. Crédit : Dustin Rabin Photography.

Le prestigieux prix donne un rayonnement considérable à Close to Paradise. Dans les semaines/mois qui suivent, plusieurs médias internationaux d’importance comme Spin et The Guardian publient de bonnes critiques de l’album.

Le site Pitchfork est toutefois moins tendre à son égard et lui octroie une faible note de 5.2/10. «Sur le coup, ça fait mal… Ça blesse», admet-il, sourire en coin. «Mais après coup, on finit par en rire et trouver ça drôle.»

POLARIS MUSIC PRIZE 2007 Toronto - September 24, 2007 Dustin Rabin Photography - Job #2363
Patrick Watson en 2007. Crédit : Dustin Rabin Photography.

Au Québec, en revanche, tout va pour le mieux. En octobre, au Gala de l’ADISQ 2007, Patrick Watson obtient quatre nominations et repart avec le Félix de l’arrangeur de l’année. Curieusement, c’est Grégory Charles qui repart avec la statuette de l’album anglophone de l’année pour le mièvre I Think of You.

Réunir les deux solitudes

En juin 2008, la formation se joint à Karkwa pour le spectacle Karkwatson. Prenant place au Grand Théâtre de Québec et au National, l’événement a quelque chose d’historique puisque, pour une rare fois, les deux solitudes québécoises se rassemblent sur une même scène pour un show rock.

Pour le pianiste-chanteur originaire de Hudson, cette réunion va de soi : «J’ai toujours aimé me mélanger aux francophones. Quand l’album est sorti, c’était clair qu’on allait mettre autant d’efforts à le promouvoir ici qu’ailleurs dans le monde. À l’époque, ce n’était pas le cas de tous les artistes anglophones qui cherchaient souvent plus à percer en Europe ou aux États-Unis. Nous, on était fiers de nos origines.»

En s’insérant aussi habilement dans la culture québécoise, Patrick Watson a sans doute facilité l’éclosion de plusieurs autres formations anglo-montréalaises qui ont, par la suite, connu un rayonnement variable à la grandeur de la province. On pense notamment à Besnard Lakes, Plants and Animals, Groenland, Barr Brothers et Half Moon Run.

Vendu à 80 000 exemplaires au Canada et à près de 225 000 au total dans le monde, Close to Paradise a également été la rampe de lancement pour Patrick Watson à l’international.

«Quand je réentends une chanson de l’album à la radio ou dans un magasin, c’est toujours un peu spécial», raconte l’artiste. «Ça me fait le même effet que du sucre : sur le coup, c’est cool et je tripe, mais 15 minutes après, ça disparait et j’ai un down. Les vrais légumes, ce sont les bonnes chansons que j’écris encore aujourd’hui. Ce sont elles qui me donnent de l’énergie et qui me poussent à continuer.»

Close to Paradise – en vente sur iTunes

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