Émile Bilodeau : Histoires de cégep
Entre ses joutes d’impro et ses cours de sciences humaines au cégep, le jeune Longueuillois Émile Bilodeau a pris le temps d’enregistrer Rites de passage, un premier album folk qui expose avec sincérité ses convictions et ses états d’âme. Rencontre.
Bilodeau semble fébrile, quelque peu agité, quand on le rejoint sur la terrasse d’un café-laverie du Mile-End. «C’est ma première journée promo», relate-t-il, cherchant l’approbation de sa relationniste de presse à l’arrière. «J’ai hâte de voir mon endurance face à ça, mais généralement, ça m’en prend beaucoup pour être fatigué.»
Verbomoteur, l’auteur-compositeur-interprète de 20 ans au typique chandail des patriotes commence à peine à comprendre la machine qui l’entoure. Accumulant les concours depuis plus de deux ans (Granby, Petite-Vallée), il a été repéré par Éli Bissonnette, fondateur de Grosse Boîte, lors de son passage aux Francouvertes 2015, là où il a terminé troisième.
«Peu à peu, je commence à perdre ma naïveté des premiers temps», admet-il. «En faisant l’album, j’me suis rendu compte à quel point chaque élément du processus est un dossier important, autant la recherche de musiciens que la réalisation et la confection de la pochette. Moi, avant ça, je voyais un gars comme Adamus, par exemple, et je pensais qu’il avait à peu près tout fait seul.»
Mélodiste au talent brut, Bilodeau trouve particulièrement pertinente l’idée de se faire prendre en charge à cette étape-ci de sa carrière. Le marketing, très peu pour lui: il aime se concentrer sur sa musique et ses shows.
D’ailleurs, le choix du premier single n’a pas été si simple. «Je vois mon album comme un tout. J’ai pas une Mappemonde, une Ma vie, c’est d’la marde ou une Question à 100 piasses», dit-il, en référence aux chansons des sœurs Boulay, de Lisa LeBlanc et de Bernard Adamus. «C’est là que ça m’a particulièrement fait du bien d’avoir une équipe. Éli a choisi J’en ai plein mon cass parce qu’elle commençait par un refrain et qu’il trouvait ça cool pour les radios. Personnellement, comme n’importe quel artiste qui se respecte, c’est quelque chose dont je me câlisse. Même que je dénonce la radio commerciale dans une de mes chansons.»
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Cégépien indépendantiste anti-Trump
Sans faire dans la chanson engagée, le Longueillois aime ponctuer ses textes de réflexions sociales, notamment en ce qui a trait à l’indépendance du Québec. Sur América, le chanteur tire dans plusieurs directions, attaquant à la fois l’industrie de la musique pop et la débandade politique américaine. «Je m’intéresse à l’actualité», soutient-il. «Cette chanson-là dénonce le personnage de Donald Trump. Je sais que les États-Unis, c’est un gros joueur sur l’échiquier mondial, et je ne peux pas concevoir que cet homme-là puisse diriger le pays.»
Mais, en général, Rites de passage est plus léger et vogue entre confidences amoureuses et analyses du quotidien. Actuellement aux études en sciences humaines au cégep Édouard-Montpetit, Émile Bilodeau a un faible pour les histoires de cégep, celles où il est amené à se questionner sur le monde ou bien à redouter le moment des exposés oraux : «J’ai essayé, tant bien que mal, de démontrer une certaine maturité à travers tout ça. Je crois avoir en partie réussi, mais c’est sûr qu’il y en a qui vont trouver ça jeunot. Moi, c’est ça ma vie, aller à l’école, voir ma blonde, voir mes amis… C’est tout ce que j’ai connu, donc c’est normal que j’en parle.»
Autrement, le chanteur s’en tient à la chanson folk, mais flirte avec le blues, le rock et le rap. En studio, l’unique Philippe B l’a aidé à donner vie à ses chansons. «Pour être franc, j’ai aucune maitrise musicale, à part la guit et un peu la batterie», admet-il. «Philippe, c’est vraiment lui qui a eu l’idée des cuivres, du piano, des bouts jazz et de mon couplet rap assumé dans América. C’est tout à son honneur. La seule chose que je voulais, c’était qu’on mette de l’avant ma voix et qu’on beurre pas trop les chansons de solo. Je voulais laisser la place aux paroles.»
La comparaison Brach
À la première écoute, on pense directement à Adamus et Brach. Pour Bilodeau, les comparaisons avec ce dernier sont routinières : «Philippe est arrivé dans ma vie à 17 ans, quand je faisais Tadoussac avec lui. Son premier album venait juste de sortir et, moi, j’avais déjà composé la majorité des tounes qui se retrouvent maintenant sur Rites. Les ressemblances sont donc loin d’être voulues, et je crois pas que son succès va nuire au mien. En fait, je pense même que ça peut aider… Un peu comme Alaclair Ensemble et Dead Obies.»
S’il met des efforts soutenus à tenter de terminer son cursus cégépien, le jeune artiste ne cherche assurément pas de plan B. Gagner sa vie avec la musique est, pour l’instant, l’unique objectif. «Le cégep, c’est comme une retraite d’inspiration pour moi», explique-t-il. «Y a beaucoup de tounes que j’écris dans mon cours de français, par exemple. D’avoir accès à un professeur avec un vocabulaire aussi riche, ça me motive pas mal. Des fois, il va dire un mot, et je vais arrêter complètement d’écouter le cours parce que ça les rimes déferlent dans ma tête.»
Actuellement aux études dans un programme préuniversitaire, Émile Bilodeau gagnerait toutefois à ne pas franchir l’étape scolaire supérieure. Après tout, pour l’usage qu’il en fait, le cégep s’avère un choix beaucoup plus abordable que l’université. «Je vais probablement rester ici encore un bout», prévoit-il, en riant. «À la limite, je vais finir dans une technique en dentisterie. Ça pourrait être pas mal cool de faire des métaphores sur les canines pis les mâchoires.»
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