Il y a 25 ans : François Pérusse – L'album du peuple tome 1
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 25 ans : François Pérusse – L’album du peuple tome 1

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.

Vendu à 50 000 exemplaires en un peu plus d’un mois, L’album du peuple tome 1 a ouvert de nouvelles portes à la création humoristique québécoise. Constitué de sketchs éclatés et de parodies musicales mémorables, ce premier album de François Pérusse a marqué plusieurs générations. Vingt-cinq ans après sa sortie, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de l’humoriste et multi-instrumentiste originaire de Québec.

Fan de rock progressif et de jazz fusion, François Pérusse n’a pas l’intention de faire carrière en humour lorsqu’il se joint à l’équipe de la radio communautaire CKRL en 1976. Alors âgé de 16 ans, l’adolescent est tout particulièrement enthousiaste au micro. «J’avais beaucoup d’énergie. Je crois que ça tapait sur les nerfs des directeurs», se souvient-il, en riant. «Ce qui était bien à CKRL, c’est qu’on n’ostracisait pas les jeunes, on faisait pas de discrimination. On acceptait tout le monde, à condition qu’il y ait un minimum de qualité. Moi, j’étais capable de m’exprimer en ondes, mais en revanche, je manquais pas mal de technique.»

Dans les années 1980, le jeune adulte prend de l’assurance au micro. Le samedi en début de soirée, il anime l’émission Ceux d’en face font dire bonjour. «Je passais pas mal de musique, et mes commentaires étaient très brefs», se rappelle-t-il. «Je manquais beaucoup de préparation. On peut pas dire que j’étais un ardent travailleur.»

Durant sa vingtaine, Pérusse tente sa chance dans plusieurs radios de la capitale. Quelque peu indolent, il essuie plusieurs échecs : «J’étais à la radio communautaire depuis un bout et je me pensais bon. J’frappais aux portes de Radio-Canada et du FM93, et j’étais tout le temps pas mal sûr de mon coup. L’affaire, c’est que j’arrivais avec des démos butchés.»

Dans les années qui suivent, l’animateur développe ses connaissances musicales, notamment en travaillant dans un magasin de disques et en jouant de la basse. Réalisateur de disques en pleine effervescence, son frère Marc Pérusse lui «tend la main» pour qu’il accompagne Luc De Larochellière en tournée dès 1988.

De plus en plus habile, François Pérusse est également recruté pour accompagner Jean Leloup sur scène. À la même période, il tire un trait sur l’épisode CKRL, là où il aura en fin de compte animé pendant 12 ans.

Dans ses temps libres, le bassiste s’amuse avec une console 4 pistes – une Audio Technica ATRMX64 pour être plus précis. «J’ai commencé à faire des petites capsules. Rien de sérieux, pas mal juste des niaiseries. J’faisais vraiment juste ça pour moi, pour m’amuser. Une fois de temps en temps, je faisais écouter ça à des amis qui passaient chez moi. Généralement, la réaction c’était : ‘’T’es vraiment fou…’’»

La pub qui change tout

En 1990, François Pérusse participe en tant que bassiste à l’enregistrement de Sauvez mon âme, deuxième disque de Luc De Larochellière. À la recherche d’une idée originale pour annoncer l’album à la radio, le gérant du chanteur, Pierre Dumont,  a alors un éclair de génie.

«Luc et lui, ils avaient bien aimé ça, mes sketchs et mes tounes fantaisistes. Ils m’ont donc demandé de produire une pub radio pour l’album», se rappelle l’artiste alors âgé de 29 ans. «Pas trop longtemps après, j’ai reçu un appel de Bob De Board, qui travaillait à la direction de CKOI. Il m’a dit : ‘’t’sais là, la niaiserie que t’as faite pour l’album de Luc… Serais-tu capable d’en faire une pareille chaque jour? On part une émission matinale avec Normand Brathwaite et on aimerait ça t’avoir sur le show!’’ Le lendemain, je lui envoyais une première capsule en guise de démo. Il m’a tout de suite rappelé pour me dire que, si j’étais prêt, mon contrat était sur la table. Ça fait que je suis parti à Montréal avec mes chouclaques pis mon ARTMX64.»

Le mardi 4 septembre 1990, la première capsule des 2 minutes du peuple est diffusée à Yé trop d’bonne heure. Dès le départ, Pérusse se dévoile avec singularité, notamment grâce à la voix accélérée de ses personnages : «À la base, l’idée, c’était de pouvoir faire la différence entre un homme et une femme ou entre une femme et un enfant. Mais après ça, j’ai commencé à pitcher ma voix sur pas mal tout ce que j’pouvais. En fait, je n’ai jamais utilisé le vrai timbre de ma voix dans mes sketchs.»

La recette fonctionne presque instantanément. En trois semaines, Les 2 minutes du peuple deviennent le segment le plus populaire de l’émission matinale. Tranquillement, Pérusse se forge une technique et un style : «J’avais de plus en plus de moyens, donc je suis allé me chercher du matériel : un 8 pistes et une couple de synthés. On peut dire qu’à partir de là, je suis devenu plus exigeant avec moi-même. Durant les six premiers mois, je stressais un peu. J’avais parfois le syndrome de la page blanche. À 22 heures, quand j’avais encore rien d’écrit pour la chronique du lendemain, je paniquais… Mais quand ça a décollé pour vrai, j’ai repris du mieux.»

Rire des absurdités humaines

S’il aime bien se moquer des médias (autant de la radio communautaire que des émissions de lignes ouvertes) et écorcher certaines personnalités publiques (tout particulièrement Suzanne Lapointe, alors animatrice des Démons du midi), le nouvel humoriste prend un malin plaisir à rire des moments loufoques de l’existence : «Je cherchais à dépeindre les situations les plus absurdes possible. C’est comme ça qu’est arrivé le sketch Caller l’orignal. J’ai toujours trouvé ça vraiment ridicule que l’humain se couvre de pisse pour chasser l’orignal. C’est ce genre de réalité là que je voulais refléter.»

Sketch désormais classique de son œuvre, Le Cerveau (en intro sur Cette chère culture 1 ici-bas) naît également de cette volonté de caricaturer les travers de l’être humain. «Je voulais mettre en dualité notre côté émotif et notre côté rationnel. Disons que ça a été assez ardu et complexe comme travail de montage. Je faisais tout ça sur bobine», explique-t-il.

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Baignant dans la musique pop à CKOI, François Pérusse profite de sa tribune pour parodier des succès de la station. C’est ce qu’il fait sur Le reggae du pourri, une satire de la bombe dancehall Twice My Age du Jamaïcain Shabba Ranks (elle-même une reprise partielle du Moribond de Jacques Brel).

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François Pérusse en 1991. Courtoisie Zéro Musique

Sur la composition originale Le rap du mille-pattes, il s’en prend directement au rap. «Dans le temps, c’était relativement nouveau et, pour des oreilles comme les miennes, c’était tout un choc. Pour être franc, c’est pas une musique que je trouvais géniale, et ça m’a pris du temps avant d’y adhérer», admet-il.

Projet d’album

Au printemps, après une saison complète à produire cinq capsules par semaine, l’humoriste et son gérant Pierre Dumont (qui travaille également comme A&R pour les Disques Trafic, défunte étiquette québécoise cofondée par Daniel Lavoie) décident d’aller de l’avant avec un projet d’album. «Dès le départ, Pierre avait été clair. Selon lui, je ne pouvais pas avoir un produit de qualité comme celui-là et ne pas le mettre sur les étagères des magasins. On a donc commencé à choisir les meilleurs bouts de sketchs et à piger dans les tounes qui avaient eu le plus succès. Y a évidemment fallu qu’on aille chercher les droits pour toutes les parodies.»

À l’automne, L’album du peuple prend forme, notamment grâce à Marc Pérusse, qui chapeaute la réalisation. Le concept se précise sur l’intro Bonjour la Terre et la conclusion Bye bye le peuple : «Vu que c’était le premier, on voulait emballer l’album et présenter le concept. En gros, il y a des extraterrestres qui arrivent sur Terre 4000 ans après l’humanité et qui trouvent l’album par terre.»

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Le 28 octobre 1991, le tome 1 de l’épopée parait en magasin et recueille un succès d’envergure partout au Québec, même si Les 2 minutes du peuple n’étaient diffusées qu’à Montréal.

«J’ai été extrêmement surpris de voir l’ampleur de tout ça. On peut dire que le mot s’est passé très vite», se rappelle-t-il. «J’ai eu peur du feu de paille au début parce que j’avais en main un produit humoristique qui pouvait possiblement devenir daté rapidement. Je me faisais pas trop d’illusions. À 30 ans, j’étais pas mal plus terre-à-terre qu’un jeune de 18 ans qui obtient son premier succès. Mon gérant Pierre Dumont a aussi travaillé fort pour ne pas qu’on brûle la chandelle par les deux bouts. Toutes les émissions de télé voulaient m’avoir sur leur plateau, mais ça voulait pas nécessairement dire que c’était bon d’accepter toutes les offres.»

Problèmes de droits d’auteur et succès exponentiel

25 000 copies vendues plus tard, Pérusse et son équipe sont toutefois contraints de modifier une partie de l’album. Devant la popularité inattendue du disque, les compagnies détenant les droits des chansons Gypsy Woman (du groupe Crystal Waters) et Do The Bartman (tirée d’une émission des Simpson) demandent à Trafic de retirer les parodies Fadeli Fadela et Les Simpson passent au Bart de L’album du peuple.

«On nous a poliment demandé d’enlever ces deux chansons de la prochaine version de l’album. On les a remplacées par Hymne au printemps II»,  se souvient l’auteur-compositeur-interprète.

En décembre 1991, L’album du peuple tome 1 est certifié disque d’or (puis éventuellement platine et double platine). Quelques mois plus tard, au 14e Gala de l’ADISQ,  il est nommé dans les catégories de l’album humour et de l’album meilleur vendeur de l’année (une première pour un album humoristique). Perdant dans cette dernière nomination (c’est l’année Dion chante Plamondon), l’album rafle les honneurs dans la première catégorie, coiffant notamment Anthologie du plaisir de Rock et Belles Oreilles.

«Guy A. était venu me voir juste avant le gala. Il m’avait dit : ‘’c’est toi qui va l’avoir, c’est certain.’’», se souvient-il. «On m’avait toujours dit qu’en cas de gala, j’étais toujours mieux de me préparer ‘’un petit quelque chose’’… Je m’étais donc apporté un lunch sur le stage et j’avais commencé à manger mon sandwich en faisant mes remerciements.»

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François Pérusse à la remise de son disque d'or. «Puisqu’il s’agissait d’oeuvres destinées au «peuple», on avait choisi de faire remettre la plaque à François par des gens du peuple, justement. Donc, un monsieur employé dans un resto, une dame (ancienne enseignante) et une autre plus jeune dame.» Courtoisie Zéro Musique
François Pérusse à la remise de son disque d’or. «Puisqu’il s’agissait d’oeuvres destinées au «peuple», on avait choisi de faire remettre la plaque à François par des gens du peuple, justement. Donc, un monsieur employé dans un resto, une dame (ancienne enseignante) et une autre plus jeune dame.» Courtoisie Zéro Musique

Devant le succès de ce premier volume, l’humoriste et multi-instrumentiste répète la recette avec un deuxième tome en 1992. La même année, il obtient sa chance à titre de bruiteur, chroniqueur et directeur musical de Taquinons la planète, mythique émission des Bleu Poudre diffusée à Radio-Canada jusqu’en 1994.

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Deux décennies plus tard, l’influence Pérusse est autant évidente qu’imperceptible sur l’ensemble de l’humour québécois. Si les jeux de mots exagérés et les parodies absurdes du premier tome ont sans doute influencé la majeure partie des humoristes-musiciens des deux décennies suivantes (de Laurent Paquin aux Appendices), on peut difficilement définir un digne héritier du style puisque ce dernier semble trop singulier pour être copié ou même renouvelé.

Chose certaine, Pérusse aura été l’un des premiers au Québec à s’adresser autant aux jeunes qu’aux adultes avec son humour. «Ça, c’est probablement la plus belle surprise que j’ai eue avec le tome 1», résume-t-il. «J’ai entendu dire que les jeunes du primaire mettaient de la pression à leur chauffeur de bus pour qu’il mette Les 2 minutes du peuple le matin. Ça aurait pu me donner le goût de me censurer, mais finalement, ça a été l’inverse. Y a quelques personnes qui m’ont fait remarquer qu’avec le temps, mon langage était devenu plus ordurier… Ils ont raison.»

L’album du peuple tome 1 – en vente sur iTunes

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