Chocolat : Hard rock négligé
Musique

Chocolat : Hard rock négligé

Armé d’une fougue rock renouvelée et mieux définie, Chocolat dévoile Rencontrer Looloo, un troisième album au concept intergalactique décalé.

Assis dans un bistro tendance du Mile-End, à quelques pas de leur local de pratique aux Breakglass Studios, le guitariste Emmanuel Ethier, le pianiste Christophe Lamarche et le bassiste Ysaël Pépin discutent tranquillement autour d’une bière. Exilé depuis plusieurs semaines dans le fin fond de la baie des Chaleurs, sur une terre «uniquement accessible en ski-doo l’hiver et en quatre roues l’été», le chanteur et guitariste Jimmy Hunt, principal auteur-compositeur du groupe, se fait attendre.

«Je trouve qu’il est plus relax depuis qu’il habite dans le bois», admet Ysaël Pépin, sourire en coin.

Volubile, Emmanuel Ethier prend le contrôle de la conversation et présente en détail la nouvelle muse fictive du groupe, Looloo: «C’est un genre de Dieu transgenre. Il arrive sur la terre en conquérant, comme un espèce de gourou manipulateur avec un suit d’Evel Knievel. Le problème, c’est qu’il est vraiment maladroit et sloppy. Il tripe sur la culture pop américaine, mais il l’assimile tout croche.»

Les yeux fuyants vers la porte, le guitariste arrête soudainement son monologue. «Et voilà le rockeur!» s’exclame-t-il, en parlant de Hunt. «Lui, il va nous en parler de Looloo…»

«Où est le jeune anglophone?» demande le chanteur de 39 ans à peine entré, en parlant d’Evan Sharma, nouveau batteur de la formation.

«Il est pas là…» répond Christophe Lamarche. «Peut-être qu’il a pas compris l’échange de courriels parce que c’était en français.»

Une fois les salutations de retrouvailles terminées (le groupe ne s’est pas réuni depuis deux mois), Hunt reprend là où son collègue avait laissé. «En gros, Looloo, il tripe sur plusieurs clichés américains. Il pense même que les pretzels, c’est un symbole puissant… Genre un signe de peace!» dit-il avant de reprendre plus sérieusement. «Pour faire ça simple, disons que j’étais un peu mal pris avec plein de bouts de textes et d’idées étranges, pis j’arrivais pas à trouver un liant entre tout ça. De là est née l’idée du weirdo de l’espace. Au début, ça avait presque des airs d’album-concept, mais tout le monde s’est un peu approprié le truc. J’avais l’air un peu débile quand j’en parlais.»

Après un hochement de tête, Christophe Lamarche termine l’histoire rocambolesque: «À partir du moment où le band rencontre Looloo, on ouvre nos esprits. Le band délaisse les clichés du rock’n’roll pour tomber dans le vice psyché spatial.»

Caricature grossière des aléas de la vie de groupie, celle qui «fourre avec un écrivain» mais qui aime mieux «scorer a’ec des musiciens», le premier extrait Ah Ouin appartient donc au registre pré-Looloo du groupe, avant qu’il se mette à chanter les louanges de Mars et des vaisseaux spatiaux. 

Crédit photo : Audrey Canuel
Crédit photo : Audrey Canuel

Inspiré par X-Files et «les documentaires cotés deux étoiles sur Netflix», Hunt a volontairement brouillé les pistes de tous les textes: «On est tellement surchargés de commentaires et de prises de position aujourd’hui… Là, j’ai voulu écrire de quoi de flou. Y a plein d’idées claires qui semblent surgir tout au long de l’album, mais t’es jamais sûr que tu peux t’y accrocher. On a aussi pris soin de mélanger l’ordre des chansons, de façon à ce que personne puisse savoir ce qui est avant et après Looloo.»

Hard rock sloppy à résonance internationale

Enregistré au printemps 2015 (et retardé en raison d’une recherche de labels internationaux plus longue que prévu), Rencontrer Looloo est moins brut que Tss Tss, précédent album que le groupe considère comme une suite de jams. «Y a moins de changements weirds dans les tounes. C’est vraiment basé sur l’énergie et la drive du band. Les chansons sont mieux structurées et définies aussi», explique Christophe Lamarche.

«C’est comme si on avait essayé de faire du hard rock, mais qu’on était trop sloppy pour réussir. Ça donne un charme», ajoute Jimmy Hunt, souriant. «Je pense que si on avait trop pratiqué, on aurait perdu la saveur Chocolat.»

Preuve supplémentaire qu’on ne doit jamais changer une recette gagnante, cette «saveur Chocolat» a des échos qui résonnent au-delà du terroir québécois actuellement. En plus d’avoir fait bonne figure dans de prestigieuses vitrines américaines comme CMJ Music Marathon et SXSW, le quintette montréalais a fait son bout de chemin en Belgique et en France, là où il a notamment joué devant 10 000 personnes dans le cadre des Eurockéennes.

«La demande est plus forte, c’est certain. On n’a pas besoin de se forcer tant que ça pis y a un petit intérêt qui se développe», remarque Hunt. «De tous mes projets, c’est le meilleur accueil que j’ai reçu.»

«On veut pas take over le monde, mais si on nous le demande, on va peut-être le faire», ajoute Emmanuel Ethier, avant de nuancer. «C’est sûr que ça va pas toujours bien, les tournées… Oui, on se ramasse souvent dans le rouge, mais notre but pour un show, c’est de jouer devant 40 personnes qui sont intéressées. La fois d’après, y va y avoir plus de monde.»

«Y a des forces qui se tiraillent au sein du band: les vieux sont plus picky et veulent pas tourner à n’importe quel prix, tandis que le jeune Evan, il est prêt à accepter n’importe quoi», poursuit Christophe Lamarche, 32 ans.

«C’est une bonne affaire. Ça crée un effet de balancier», ajoute le doyen du groupe Ysaël Pépin.

Et signe que, tranquillement, le groupe vieillit et s’assagit, il n’a plus les mêmes intérêts festifs qu’à ses débuts, il y a déjà une décennie. «À l’époque, on faisait un show tout croche pis, après ça, le party durait jusqu’au lendemain matin. Je trouvais ça dommage et j’étais pas fier de moi», confie Hunt. «Maintenant, le bon moment, il se passe sur le stage plutôt qu’avant ou après.»

Rencontrer Looloo
(Dare To Care Records)
Sortie le 11 novembre

Lancement le 10 novembre au Matahari Loft (Montréal)