Il y a 25 ans : Les BB – Snob
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 25 ans : Les BB – Snob

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.

Minutieusement élaboré par le réalisateur Jean-Pierre Isaac, Snob a connu un succès fulgurant, confirmant la place des BB au sommet de la pop québécoise du début des années 1990. Un peu plus de 25 ans après sa parution, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie du chanteur, bassiste et guitariste Patrick Bourgeois.

Compositeur aguerri, ayant notamment fait sa marque avec Rock et Belles Oreilles (pour qui il avait signé la chanson thème), Patrick Bourgeois est déjà un musicien reconnu dans le milieu lorsqu’il est approché par Marc Drouin pour participer à la revue musicale Vis ta vinaigrette, ambitieux spectacle en soutien à son album du même nom.

Avec le claviériste/guitariste Alain Lapointe et le batteur François Jean, tous deux de Repentigny, Bourgeois forme Les Beaux Blonds, un trio parodique qui joue un rôle central dans la tournée acclamée de Drouin, lui-même sacré metteur en scène de l’année au Gala de l’ADISQ 1987. «On était un espèce de pastiche de The Police avec nos perruques platinum blond. C’tait pas mal ça, la joke», se souvient le chanteur montréalais. «Après ça, quand on a officiellement voulu faire un groupe, on a juste gardé les initiales. Personnellement, j’étais pas fou de ça, mais notre gérant Michel Gendron aimait bien ça. Autant qu’il trouvait ça cucul, autant qu’il savait que ça allait pogner.»

Alain Lapointe, Patrick Bourgeois et François Jean. Courtoisie.
Alain Lapointe, Patrick Bourgeois et François Jean. Courtoisie.

Officiellement constitué en 1988, le groupe ne perd pas de temps avant d’entrer en studio. «Le premier album s’est fait très vite. Je l’ai écrit en deux mois et demi au chalet de ma blonde», se souvient Patrick Bourgeois. «J’m’étais acheté un synthétiseur Roland D-50 pis je faisais une toune avec chaque preset. J’ai toute chié l’album d’une shot de même.»

Paru en 1989, l’album homonyme connait un succès instantané, notamment grâce aux nombreux hits qu’il contient (Fais attention, Loulou, T’es dans la lune, Parfum du passé…). «On est toute de suite rentrés dans la ligue des grands : les gros shows, l’autobus de tournée, la police autour de nous parce qu’on se faisait sauter dessus…» énumère l’auteur-compositeur-interprète.

En tournée durant une bonne partie de l’année 1990, Les BB deviennent le phénomène de l’heure au Québec, comme en témoigne leur récolte de trois Félix au Gala de l’ADISQ la même année.

Mais avec uniquement neuf chansons originales en banque, le trio n’a guère d’autre choix que d’accumuler les reprises en spectacle. Face à la situation, Patrick Bourgeois se met à composer quelques pièces, notamment Donne-moi ma chance : «C’est la seule chanson qu’on n’avait pas encore endisquée et qu’on jouait quand même en show. Quand on l’a pratiquée pour une première fois, François Jean venait de se faire câlisser dehors par Marie Carmen. Il est arrivé au local de répétition avec ses gros sacs verts. J’ai commencé à chanter les paroles, et on s’est mis à brailler, toute la gang… C’était assez intense.»

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«Arriver avec de quoi de plus hot»

À l’automne 1990, le chanteur se met à temps plein à l’écriture d’un deuxième album. Évidemment, les attentes sont hautes. «On n’avait pas le choix : fallait arriver avec de quoi de hot. Disons que j’avais pas mal plus de pression pour faire le disque», admet-il. «On est passés d’un 8 tracks à un 48 pistes digital, d’un sous-sol sur la rue Saint-André à un gros studio professionnel, d’un budget de 8000$ (NDLR 32 000$ selon La Presse) à 100 000$… Moi, je gérais rien de tout ça, mais fallait que je les écrive, les tounes.»

L’artiste s’enferme donc chez lui, à Rosemère. Équipé d’un petit studio maison, il compose la majeure partie des chansons de Snob sur une période de huit mois : «Ça m’a pris plus de temps que pour le premier. Un hit, ça prend cinq minutes à faire, mais c’est l’habillage après qui est plus long. J’étais full equip, alors je passais beaucoup de temps à enrober mes tounes.»

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Courtoisie

Alain Lapointe et François Jean écrivent eux aussi des chansons, mais le gérant du groupe semble avoir un parti pris pour les mélodies du chanteur. «Les gars étaient un peu jaloux. On a eu quelques litiges», confie Patrick Bourgeois. «Mais en fin de compte, c’est Michel qui décidait. J’étais dans ses grâces en tabarouette, donc il prenait souvent mes tounes. Quand il donnait son OK, la toune était envoyée au réalisateur.»

Pour les paroles, Bourgeois renoue avec la prolifique auteure Geneviève Lapointe, qu’il avait côtoyée sur scène dans le cadre de Vis ta vinaigrette : «C’était un peu elle ma langue, mon crayon. Je lui lançais des thèmes et elle, elle les élaborait. Pour vrai, c’est pas évident d’écrire de la pop. Faut pas être ni trop léger, ni trop intello, ni trop engagé… T’sais, on était un band d’entertainment! À l’occasion, on se permettait d’effleurer certains sujets plus profonds comme l’écologie sur Seul au combat

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De plus, le groupe tente aussi de rompre avec la réputation proprette qu’il s’était construite avec le premier album. Naissent ainsi des chansons plus rock comme Cavalière, La Sirène et la pièce-titre. «On voulait casser l’image du petit band pop. C’était un move démocratique, qu’on voulait tous faire, mais c’est certain que notre gérant avait mainmise sur nous. Des fois, je recevais des textes de Geneviève et je disais à Michel en joke : ‘’J’aime-tu ça ce texte-là, moi, Michel?’’», dévoile Bourgeois, en riant.

Buffet musical

Les BB entrent au studio Victor à l’été 1991 et expérimentent diverses avenues sonores. «Snob, c’était un gros buffet musical, plein de couleurs. Tout était permis dans c’temps-là, on dirait», se souvient le chanteur. «On pouvait, par exemple, mélanger un synth drôle avec une grosse guit ou bien une flûte de pan. L’important, c’était d’essayer des bébelles, et je crois qu’on a réussi à arriver avec un certain son avant-gardiste pas pire.»

À la barre de la réalisation, Jean-Pierre Isaac (qui avait auparavant travaillé avec Mitsou) joue un rôle de premier plan. «C’est un gars gêné, très cérébral et méthodique, un gars assez avant-gardiste, toujours à la fine pointe de la technologique. On lui faisait énormément confiance», précise Bourgeois. «Moi, j’ai toujours été plus un gars de cœur, donc on se complétait bien.»

Tout au long de l’enregistrement, François Jean éprouve des problèmes au genou droit, à la suite d’un accident de voiture survenu quelques mois auparavant. Il se munit donc d’une batterie spéciale avec un bass drum à gauche.

Le batteur signe deux textes sur l’album, dont La Sirène. «On a écrit ça sur un coin de table juste avant d’entrer en studio», se souvient le chanteur, qui a coécrit la pièce. «On a travaillé fort en tabarouette parce que je devais aller la chanter dans une heure! Fallait que ça sorte tout de suite.»

À la fin de l’été, Michel Gendron somme le groupe de finaliser les enregistrements. «Pour vrai, moi je serais resté en studio jusqu’en décembre. Je tripais, j’étais en pleine création», poursuit l’artiste. «Mais bon, notre gérant avait des échéanciers à respecter. On avait une date pour la sortie de l’album, et ça me faisait un peu chier.»

Une équipe de stylistes est ensuite dépêchée pour renouveler le look du groupe, en phase avec son virage plus rock. «On suivait les tendances. À l’époque, on savait que le grunge s’en venait. On est donc arrivés avec un look plus hard. L’affaire, c’est que c’était dur pour moi d’avoir l’air méchant avec la face de Cindy Crawford!» blague le chanteur. «D’ailleurs, ça m’a toujours un peu dérangé, cette espèce de sweetness-là. Moi, j’ai toujours été un gars sloppy! Le groupe aussi était pas mal plus rock’n’roll que ce que le monde pouvait penser.»

Succès rapide

Paru le 28 octobre 1991 sous Isba, en format cassette et disque compact, Snob connait un succès instantané et se vend à plus de 200 000 exemplaires en peu de temps. «Je crois qu’on a montré aux gens qu’on était encore capables de faire des bonnes tounes et, surtout, qu’on était plus qu’un feu de paille. L’accueil a vraiment été écœurant, à la hauteur de ce qu’on pensait. Y a eu quelques critiques réfractaires, mais bon on était conscients que Les BB, c’était pas très intellectuel et qu’en fin de compte, on vendait des beaux gosses avec un rêve pour les jeunes filles.»

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Deuxième extrait de l’album (après la chanson titre), Donne-moi ma chance obtient une rotation radiophonique assez forte. À la grande surprise du chanteur, la chanson lui permet d’élargir son public : «Si tu savais le nombre de rockeurs qui sont venus me dire que j’avais sauvé leur couple avec cette chanson-là. D’un seul coup, y a eu des gars qui se sont intéressés à notre musique. Le plus drôle, c’est que c’est la toune qui fitte le moins dans l’album, mais en même temps, c’est la plus intemporelle.»

La tournée s’amorce dès le début 1992. Le rythme des spectacles est évidemment effréné, et le groupe donne plus de 150 spectacles en un an. «C’était les limousines, les tours bus, les pitounes, les jets privés… On était des rockstars», décrit Patrick Bourgeois. «C’tait aussi l’époque des bars. On se pétait la face chaque soir de show ou presque. Notre directeur de tournée nous donnait des couvre-feux à respecter. Disons que le drummeur les respectait pas tout le temps. On le cherchait souvent après les shows… On riait en esti.»

À l’automne, le groupe ouvre le Gala de l’ADISQ en interprétant Donne-moi ma chance. Ce soir-là, il remporte le Félix du groupe de l’année pour une deuxième fois en trois ans.

Dès la fin 1992, le trio tente une percée en France, un peu plus de deux ans après avoir ouvert pour Patrick Bruel au Zénith. Le succès radio est intense, tout particulièrement sur les ondes de Radio Monte-Carlo. «On a vendu 250 000 singles de Donne-moi ma chance. Quand je suis débarqué à Nice en 1993, je me suis fait courir après comme si j’étais Elvis Presley», se souvient le Montréalais. «C’était cool, mais j’ai failli me pogner avec Michel. Il voulait que je chante à la française, et ça m’énervait. J’ai toujours été un gars roots, très terre-à-terre. J’aime ça quand c’est vrai.»

Seul au combat parait également sur les radios françaises, mais l’engouement est moins vif. Patrick Bourgeois profite tout de même de son passage dans l’Hexagone pour écrire une bonne partie de l’album 3, paru l’année suivante. Devant le succès plus mitigé de ce troisième opus, le groupe prend une pause qui, au final, durera une décennie, soit jusqu’à la parution de Bonheur facile en 2004.

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Courtoisie.

Si l’héritage des BB sur la musique québécoise du tournant des années 1990 s’avère notable, la facture rock synthétique de Snob n’a pas en soi influencé la pop du reste de la décennie, autrement marquée par un virage folk plus épuré.

«Le seul défaut de l’album, je crois, c’est qu’il est pas assez organique. Il sonne un peu trop ‘’machine’’ à mon goût», soutient Patrick Bourgeois, maintenant âgé de 53 ans. «Mes démos étaient complètement ailleurs, mais Jean-Pierre, il avait son son, et ça lui réussissait.»

Snob – en vente sur iTunes

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