Folk sale et bonne humeur
Musique

Folk sale et bonne humeur

En marge d’un folk doucereux qui continue d’envahir les ondes commerciales s’établit son pendant brut et anticonformiste. Depuis le début de la décennie, ce mouvement folk impétueux aux racines punk prend de l’ampleur dans l’underground québécois. Rencontre avec cinq musiciens issus de cette prétendue scène «folk sale».

Réunis autour d’une même table, Olivier Renaud (des Chiens de ruelles), Nicolas Laflamme (de Québec Redneck Bluegrass Project), Daphné Brissette (de Canailles), Robert Fusil et Bernard Adamus se connaissent déjà bien, s’étant tous déjà côtoyés dans les mêmes festivals, les mêmes salles, les mêmes bars.

«J’en garde surtout des mauvais souvenirs», clame Bernard Adamus, pince-sans-rire, en référence aux dérapes alcoolisées qui suivent souvent ces rencontres musicales.

«J’me rappelle d’une fois, au Festival du folk sale… On avait joué le lendemain que t’avais dormi sur le parvis de l’église», lui lance Nicolas Laflamme, sourire en coin.

«C’est-tu la fois où il était abrié avec une housse de barbecue, ça?» demande Daphné Brissette, recueillant l’approbation plus ou moins convaincante du principal intéressé.

Portée par une franche camaraderie, cette scène folk prend racine dans plusieurs bars-spectacles de la métropole comme le Divan orange, les Katacombes et le Quai des brumes (alias le «quartier général»).

À la grandeur du Québec, plusieurs événements maintenant révolus comme le Festival du folk sale de Sainte-Rose-du-Nord (remplacé par Virage en 2015) et les Nuits blanches de L’Anse-de-Roche ont également aidé à cimenter le mouvement, à l’instar de différentes auberges de jeunesse à la réputation festive comme celle de Tadoussac. C’est d’ailleurs à cet endroit que Les Chiens de ruelles se sont formés en 2012. «C’est un bon point de ralliement pour les tout croches», blague le chanteur et guitariste Olivier Renaud.

Si tous s’entendent sur l’importance primordiale de ces différents lieux de diffusion, le consensus visant à étiqueter le genre fait moins l’unanimité.

Sur le point de faire paraître un quatrième album avec QRBP, le mandoliniste Nicolas Laflamme critique d’ailleurs vivement l’appellation «folk sale»: «C’est pas un concept valable ou approprié. Je crois juste qu’on est dans un moment où la musique folk identitaire est la bienvenue. On est chanceux de pouvoir compter sur un public réceptif à cette musique-là. Il y a un peu plus de 10 ans, un groupe comme Lake of Stew faisait la même chose que nous, mais il était pas dans le bon timing.»

«Je suis d’accord, mais je crois que “folk sale”, c’est simplement pour nous différencier de l’image que les gens se font généralement du folk, réplique Daphné Brissette. On joue pas du Michel Rivard!»

«Ce sont les gens qui nous ont identifiés au “folk sale”, pas nous, poursuit Robert Fusil. Je crois que le terme vient principalement de notre attitude punk dans les shows. On fait pas la même affaire que Les sœurs Boulay: il y a quelque chose de plus ludique et contestataire.»

«C’est pas la même rage au cœur», résume Bernard Adamus.

Au-delà du party

Traînant tous un bagage d’influences punk et/ou métal, les cinq artistes en ont gardé le côté effréné, mordant et «trash», qu’ils ont ensuite canalisé dans une forme acoustique, là où règnent les banjos, les mandolines, les violons et les planches à laver.

En résulte une musique vivante et fougueuse, qui rejoint un bassin de fans fidèles partout au Québec. En spectacle, l’alcool coule à flots: Québec Redneck Bluegrass Project se commande de nombreuses tournées de shooters sur scène, alors que Les Chiens de ruelles crient «GORGÉE» entre chaque chanson.

«Le show, c’est comme un gros souper de famille: t’as le goût de boire pis d’être sur le party avec la foule», explique Olivier Renaud.

«L’étiquette “party” nous est collée dessus, renchérit Daphné Brissette. On a des tounes relax, mais on les fait presque pus. Le public veut trop se défoncer.»

«La décadence et le party, c’est présent dans mes thèmes, mais pas toujours de manière positive. Je crois pas que se torcher la yeule chaque soir, ça sort juste le beau de nous autres», nuance Robert Fusil, qui a récemment fait paraître son deuxième album Les mardis gras à Hochelaga. «Reste que je suis pas capable de monter sur un stage si j’ai pas pris une bière.»

«Même chose pour nous. On a déjà essayé de pas boire durant un show, mais ça se passe pas pantoute», poursuit la chanteuse, qui prépare un album pour le mois de mai avec Canailles.

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Parfois en spectacle de trois à cinq soirs par semaine, Bernard Adamus n’a évidemment pas le choix de ralentir la cadence en matière de party: «Avec la route, ça devient très difficile physiquement. J’ai pas le choix d’apprendre à me doser et à contrôler mes démons.»

Si tu creuses un peu les paroles, tu te rends compte que c’est pas tout le temps festif ce qu’on dit

Dans l’assistance, le dosage n’est toutefois pas chose commune. Vigoureuse et parfois incontrôlable, la foule chante à gorge déployée les paroles des chansons, pinte de bière chancelante à la main. «Y a ben du monde qui sortent une à deux fois par mois pis que ça tombe sur un de nos shows. Ils en profitent pour crever l’abcès pis partir sur le gros party, remarque Adamus. Je comprends très bien tout ça, mais vient qu’à l’occasion, je tombe tanné de voir du monde complètement défoncé front row

«On n’a pas à être paternalistes non plus. S’il y a un spectateur qui sait pas boire et qui part en ambulance, c’est de sa faute, ajoute Nicolas Laflamme. Pour nous, l’alcool, c’est quelque chose de positif: une façon de nous rassembler entre chums pis d’avoir du fun sur scène.»

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En avant : Bernard Adamus, Olivier Renaud et Robert Fusil. En arrière : Daphné Brissette et Nicolas Laflamme. Crédit : Antoine Bordeleau

Aux prises avec une image de «groupe de party» à défendre, les cinq artistes s’entendent toutefois pour rejeter l’étiquette «festif», qu’ils jugent vide de sens. «En voyant ce mot-là, y a ben des gens qui voulaient nous booker en pensant qu’on faisait du trad, genre La Bottine Souriante, dit Daphné Brissette. Mais Canailles, c’est un gros mur de son… On peut pas jouer dans des foires alimentaires!»

«Si tu creuses un peu les paroles, tu te rends compte que c’est pas tout le temps festif ce qu’on dit», explique Olivier Renaud, qui prépare lui aussi un album pour l’an prochain avec Les Chiens de ruelles. «Anyway, festif, c’est devenu un mot surexploité de nos jours. Même une poivrière peut être festive.»

Une scène boudée?

Entre les histoires de brosse, les pieds de nez aux normes sociales et les récits sombres mettant en vedette des personnages torturés, le folk sale parle à son public de façon crue, sans détour. Si sa simplicité poétique a le potentiel de rejoindre encore plus de gens, son habillage brut, parfois rude, l’écarte jusqu’à maintenant d’un rayonnement populaire. Exception faite de Bernard Adamus et de Lisa LeBlanc, aucun artiste de ce genre n’a réussi à percer le marché des radios commerciales, malgré le succès incontestable qu’obtient le folk de variétés sur les ondes de celles-ci.

«Le banjo résonne plus qu’avant à la radio, mais disons que c’est pas le nôtre», se contente de dire Olivier Renaud.

«Je pense que 2Frères a pris notre place!» lance Robert Fusil avec une douce ironie. «Pour vrai, je crois juste que les radios sont frileuses d’aller fouiller là-dedans, ce que je trouve complètement déphasé vu qu’on est un des shits de l’heure dans la contre-culture. On vit à peu près la même chose que le hip-hop.»

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Loin de faire dans le compromis, les cinq artistes n’ont aucunement l’intention d’adapter leur musique aux standards commerciaux. Bernard Adamus rappelle d’ailleurs qu’il n’y a rien de «calculable» dans cette industrie: «La seule stratégie, c’est de faire le meilleur criss de show possible. Le plus important, c’est que ton chum à côté de toi te dise qu’elle est bonne, ta toune.»

«Je me suis déjà fait dire par un taré que si on changeait nos paroles, notre groupe pognerait plus… Va te cacher mon gars!» enchaîne Nicolas Laflamme. «On est en 2016, on sacre dans les tounes pis on s’exprime comme on veut! L’honnêteté, c’est ce qu’il y a de plus important.»

«Moi, je m’en criss tellement du succès: je joue pour mes amis pis les gens que j’aime», soutient Robert Fusil. «Tant que j’aurai de quoi à leur dire, je vais continuer de chanter.»

Quebec Redneck Bluegrass Project : Royale Réguine disponible le 2 décembre / tournée québécoise qui se poursuit tout le mois de décembre

Canailles et Bernard Adamus : en spectacle avec Émile Bilodeau le 15 décembre à l’Impérial de Québec

Les Chiens de ruelles : en spectacle le 15 décembre à La Petite Boîte Noire de Sherbrooke

Robert Fusil et les chiens fous : en spectacle avec Sara Dufourle 17 décembre au Zaricot de Saint-Hyacinthe

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