Silver Catalano : «Si cette toune-là sauve pas ma vie, y a rien qui va le faire»
Musique

Silver Catalano : «Si cette toune-là sauve pas ma vie, y a rien qui va le faire»

Originaire de Chandler, l’artiste électro Silver Catalano aborde avec sincérité son épineux parcours.

«En me prostituant, j’ai rencontré plein de gens qui vivaient la même solitude que je vivais depuis que j’étais tout petit. À neuf ans, une des premières insultes qu’on m’a dite pis qui m’a vraiment marquée, c’est que la seule chose que j’allais être bon à faire dans la vie, c’était de sucer des graines…»

Le monologue qui ouvre Wave, premier clip de Silver Catalano paru il y a deux semaines, frappe fort. «C’est mon histoire de libération», résume l’auteur-interprète, rejoint dans un café du Village, à Montréal.

Une histoire de résilience aussi. Voulant éviter qu’on le dépeigne comme une victime, le Gaspésien de 21 ans évoque des épisodes troubles de sa vie, comme pour mieux s’en libérer.

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L’autobus scolaire qu’il prenait quotidiennement à Chandler surgit assez rapidement dans la conversation. «C’est là que je me suis fait confronter et qu’on m’a dit que, plus tard, j’allais sucer des graines et avaler de la dèche», raconte-t-il. «J’ai développé beaucoup d’agressivité à partir de ce moment-là. Pourtant, j’avais toujours été full sweet… »

Habillé différemment de ses camarades, Catalano dérange. Ça ne l’empêche pas de s’affirmer avec plus d’assurance et de conviction dès le secondaire : «J’avais vu une photo dans le Vogue, une fille avec des lèvres bleues, des sourcils blonds pis des cheveux foncés avec des plumes. Pour moi, c’était clair : c’est ça que je voulais être plus tard. J’ai enligné mon esthétique vers ça et j’ai commencé à faire de la photo.»

La musique, elle aussi, entre dans sa vie à cette époque : «J’ai commencé à écrire des chansons à 12 ans. C’était naturel pour moi, vu que je venais d’une famille de chanteurs. J’avais des tantes qui chantaient super bien. J’ai toujours été full impressionnée par leur talent.»

À l’adolescence, l’artiste continue de bousculer les mœurs des gens qui l’entourent. Tellement qu’il doit prématurément arrêter son cursus scolaire : «En secondaire deux, j’me faisais traiter de tous les noms en raison de ma couleur de cheveux. J’avais aucune autre option que de tout laisser tomber.»

L’année suivante, il tente un retour à l’école, au moment où l’une de ses amies se suicide. «Il y a des gens qui ont commencé à rire de ça, en disant qu’elle s’était fait ramasser à la pelle… Je suis allé voir le directeur et j’ai demandé qu’on me change d’école.»

Pas encore découragé, il entreprend une formation à un métier semi-spécialisé (FMS), mais l’intimidation se poursuit. À 16 ans, on lui propose d’aller à l’école pour adultes : «Il en était hors de question. Je connaissais des gens plus vieux que moi qui y allaient. Ils venaient lancer des œufs sur ma maison et traitaient ma mère de vache, mon père de pédophile…»

Exode dans la métropole

Aux prises avec un trouble d’anxiété de plus en plus intense, Catalano prend une décision en pleine nuit, quelque part en février 2013. «J’étais en train de virer fou», confie-t-il. «J’ai réveillé ma mère à 2h du matin pour lui dire que je m’en allais en autobus vers Montréal.»

Arrivé dans la métropole, le jeune homme de 17 ans entre dans un café pour se réchauffer. Sans argent dans les poches, il accepte l’invitation cordiale d’un homme à qui il vient de raconter toute son histoire : «Il m’a hébergé dans son un et demi pendant un mois. J’m’attendais vraiment pas à vivre ça en arrivant… J’ai dû quitter l’appart parce qu’il avait des troubles de comportement et qu’il commençait à être violent avec moi.»

Crédit : Guillaume Boucher
Crédit : Guillaume Boucher

À travers un improbable concours de circonstances, l’artiste obtient son premier travail à Montréal au printemps. «J’faisais de la photo avec une amie au parc Olympique et, à un moment donné, on est restés embarrés dans le jardin japonais. Y a un gars de la sécurité qui est venu nous ouvrir la porte», se souvient-il, encore emballé. «Quand on est sortis, il nous a laissés tout près d’une zone de tournage. On a flâné là un peu et, deux semaines après, on était engagés pour être figurant sur le plateau du nouveau X-Men. C’était assez spécial de voir Hugh Jackman le jour et de dormir dans la rue le soir.»

En novembre 2013, Silver Catalano voit sa vie basculer. Le jour de ses 18 ans, le jeune itinérant se réfugie dans une banque. «J’ai vu une dame avec un chien et je lui ai demandé son nom. Elle m’a regardé assez bête et m’a dit que c’était pas de mes oignons. Elle est revenue quelques minutes plus tard avec un gars baraqué, vraiment bizarre. L’alarme de banque a starté, donc je suis parti à la course. J’étais en panique! Je pensais que j’allais me faire battre», raconte-t-il, encore sous le choc.

«En rentrant dans un Tim, y a un gars qui m’a dit que j’avais pas l’air de bien aller. J’ai parlé avec lui assez longtemps et il m’a traîné au sauna gai. À l’intérieur, je braillais, je savais pas c’était quoi, cette place crade… Le gars arrêtait pas de vouloir me toucher, et moi, je capotais ma vie. J’en avais ras-le-bol, mais en même temps, j’étais prêt à tout pour ne pas retourner en Gaspésie.»

Sauver sa vie avec une chanson

Malgré le nocif train de vie qu’il y mène, l’artiste concrétise de belles rencontres à Montréal dans les mois qui suivent, notamment celles des producteurs Robert Robert et Frame. C’est d’ailleurs au studio de ce dernier que Silver Catalano écrit Wave, rampe de lancement de son projet musical. «J’ai écrit la chanson en une demi-heure. Je braillais, j’étais un mess… J’ai dit à Frame : ‘’Si cette toune-là sauve pas ma vie, y a rien qui va le faire.’’» se rappelle-t-il. «Mais mon but par-dessus tout, c’était d’essayer de faire une différence et de montrer que je care pour la communauté LGBT. Dans 10 ans à Chandler, quand il y aura un petit gars dans la même situation que moi, j’aimerais qu’il voie à travers Wave une forme d’espoir.»

Silver Catalano sur scène. Courtoisie / Fugues.com
Silver Catalano sur scène. Courtoisie / Fugues.com

Diffusée en décembre 2015 sur les ondes de Radio-Gaspésie, la chanson marque du même coup le retour de son auteur à Chandler. C’est à ce moment qu’il approche la boîte de production Roméo & Fils, histoire de mettre en images son «histoire de libération».

Quelques semaines plus tard, le réalisateur Didier Charette manifeste son intérêt et téléphone au principal intéressé. «On s’est parlé assez longtemps… Je lui ai raconté toute mon histoire. Je voulais qu’il soit conscient que cette toune-là, elle parlait de ma vie à Montréal et qu’elle était, en quelque sorte, une rétrospective de ce que j’avais compris de la vie à 20 ans», indique Silver Catalano.

Le tournage du clip a lieu en mai, et certains moments sont plus difficiles à vivre que d’autres. La narration qui ouvre le clip en fait partie : «Didier m’a assis sur une roche et m’a demandé de lui raconter ma vie. C’était vraiment pas évident parce que c’est un moment encore très traumatisant.»

Autrement, l’auteur-interprète vit un quotidien plus paisible à Chandler. Si elle est moins exacerbée qu’avant, la discrimination à son égard se manifeste à l’occasion : «J’étais supposé faire un show pour le 100e de ma ville, mais quand ils ont su que j’allais être habillé en drag, ils m’ont enlevé du spectacle. Pour moi, c’était inconcevable de me présenter sur scène sans m’être beurré de maquillage! »

Le premier EP de Silver Catalano sera disponible l’an prochain. Principalement inspiré par des artistes à la mise en scène théâtrale comme Lady Gaga, Madonna et Marilyn Manson,  le Gaspésien enregistre cette semaine de nouvelles chansons, qui traitent d’une histoire tout aussi personnelle : «C’est une relation entre deux gars. L’un d’entre eux a de la misère à accepter son homosexualité, donc il ne s’affirme pas. C’est une métaphore exagérée d’une histoire que j’ai vécue l’hiver dernier. J’ai fréquenté un gars, un ancien crush de mon école secondaire, qui m’a avoué avoir déjà tripé sur moi dans l’temps. Pendant quelques moments, on est sortis ensemble dans l’secret parce qu’il voulait pas que ça se sache. C’est quelque chose qui me mettait très mal à l’aise, donc j’ai décidé d’en parler, mais en adoptant son point de vue.»

Le Gaspésien désire maintenant qu’on s’intéresse à lui pour sa musique plutôt que pour l’histoire d’intimidation inhérente à la création de Wave. «J’ai l’intention d’afficher un peu plus mon côté entertainer, en dansant davantage dans mes clips», dit celui qui travaille depuis peu au Drague à Québec. «Oui, j’ai vécu beaucoup d’expériences douloureuses, mais maintenant, je veux passer à autre chose.»