Musique

OSQ : Un hommage aux grands compositeurs noirs

Aidés de Webster, Fabien Gabel et les musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec plongent les compositeurs afrodescendants dans la lumière. De grands artistes que l’Histoire a trop souvent voulu oublier.

Chevalier de Saint-George, Samuel Coleridge-Taylor et Duke Ellington seront célébrés par le prestigieux ensemble à la fin du Mois de l’histoire des noirs, un hommage qui tombe à point dans une ville fraîchement écorchée par la xénophobie. Un programme bonifié par deux œuvres de George Gershwin, illustre représentant de la communauté juive new-yorkaise, pianiste et (ça n’a rien d’accessoire) inventeur du jazz symphonique.

L’initiateur de ce projet, c’est Webster. Un rappeur, un historien engagé, l’organisateur d’un nouveau Festival contre le racisme qui a doucement défié Jeff Fillion, osé l’exposer à ses propres amalgames lors d’une récente entrevue sur les ondes CHOI Radio X. Une figure importante à Québec, un jeune sage. « Je suis très content parce que c’est une idée que j’ai eue il y a deux ans. J’ai eu un flash! Pourquoi est-ce que je ne demanderais pas à l’OSQ de jouer Chevalier de Saint-George? Ça fait que je leur aie écrit, je les aie rencontrés, je leur aie expliqué ce que je voulais faire et ils ont embarqué! Des fois, un courriel peut changer bien des choses. »

Webster (Crédit: Larry Matte)
Webster (Crédit: Larry Matte)

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Ali Ndiaye, c’est le nom écrit sur son acte de naissance, est passionné par la vie et l’œuvre de celui qu’on appelle aussi Joseph Bologne de Saint-George. Il lui consacrera par ailleurs une conférence en marge du concert. « Il était métis, son père était blanc, c’était un planteur guadeloupéen et il y a eu une enfant avec une esclave. De là, rien d’anormal. C’est-à-dire que [ce genre de liaison] était très courant à cette époque-là. […] Ce qui est particulier, c’est que George Bologne, le père de Joseph, va reconnaître son fils. Il va décider de l’élever et de l’aimer. » Le petit Joseph ne travaillera donc jamais sur les plantations. Dès sa plus tendre enfance, il apprendra le violon et les rudiments de l’escrime – deux domaines où il excellera à l’âge adulte.

Sa carrière comme chef (ou « batteur » pour reprendre le terme de l’époque) débutera véritablement à Paris avant qu’il ne soit remarqué par Marie-Antoinette et invité à la cour. « Ça va faire jaser. Quelque temps après, il va avoir une tentative d’attentat contre Chevalier de Saint-George. […] C’était des membres de la police secrète de Versailles. Ils ont voulu le tuer parce qu’ils trouvaient qu’il y avait trop de proximité [avec la Reine]. Il y a même un précédent, c’est-à-dire que sous Louis XIV, Marie-Thérèse d’Autriche avait un serviteur noir qui était aussi un nain et à un moment donné, elle est tombée enceinte et elle a accouché d’un bébé métis qui sera envoyé dans un couvent. C’est encore frais dans l’idée des gens et ils ne veulent pas que ça se reproduise. »

Le destin est aussi riche que l’œuvre de Joseph Bologne de Saint-George, si bien que Fabien Gabel avait réellement l’embarras du choix en construisant son programme. « Comment j’ai choisi [Symphonie en sol majeur] ? C’est simple : c’est pour la vivacité de la musique. C’est tout. C’est un goût personnel. L’autre symphonie de Chevalier de St-Georges est également d’une très grande qualité, mais je trouvais celle-ci vraiment pétillante. Il ne faut pas chercher de raison profonde ou philosophique pour le choix de la musique. Celle-ci me touche et m’interpelle. »

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Souvent comparé à Wolfgang Amadeus, Joseph sera même l’objet d’un genre de sampling antique de la part de son collègue autrichien. Webster le raconte en riant. « Dans l’une de ses pièces, Mozart reprend l’une de ses thématiques, l’une des lignes mélodiques de Saint-George. C’est un peu du plagiat. Il a trouvé ça bon, donc il l’a repris! »

Maestro Gabel, pour sa part, parle du Guadeloupéen comme « du premier compositeur noir de musique savante », d’un contemporain du créateur de La Flûte enchantée. « À la même époque, personne n’atteint le niveau de Mozart. Toutefois, Chevalier de Saint-George écrit dans un style galant et classique qui s’en rapproche. »

De Londres à Harlem

Le programme du spectacle officiellement intitulé Héritage de la musique afro-américaine [sic] traverse trois siècles et deux continents. Fabien Gabel cherchait un équilibre entre les pièces connues et les trésors encore jalousement cachés. « On a quand même pas mal de pièces pour ce concert  et on ratisse un large spectre musical, finalement, parce qu’on commence au XVIIIe et au va jusqu’au XXe siècle. C’est à peu près 200 ans de musique. »

Samuel Coleridge-Taylor succédera à Chevalier de Saint-George, un Britannique prolifique qui constitue une grande découverte pour le chef parisien qui sévit à Québec depuis maintenant plusieurs années. « Mon choix s’est arrêté sur Romance pour violon parce que je voulais mettre Catherine Dallaire, une musicienne de l’Orchestre que j’aime beaucoup, de l’avant et la faire jouer en soliste.  Après quelques recherches, j’ai trouvé cette belle romance pour violon d’orchestre qui dure à peu près 12 minutes. »

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L’immersion dans les univers jazz de Gershwin (Rhapsody in Blue, Variations sur « I Got Rhythm ») et Ellington (Harlem) permettra un bel exercice de style aux membres de l’OSQ mais aussi au pianiste Jean-Philippe Sylvestre. « C’est quand même plus compliqué! C’est surtout au niveau du swing, du rythme que c’est difficile pour des musiciens classiques. Il faut qu’ils sortent légèrement de la rigueur de la partition, qu’ils se lâchent un tout petit peu, confie Gabel. Il faut s’affranchir de ce texte tout en le respectant, mais en étant toujours borderline, quoi. C’est une science! C’est une musique sérieuse, mais pas dans le sens d’austère. Ça prend des connaissances harmoniques et rythmiques, une sensibilité pour faire cette musique-là. »

Ultimement, le concert se terminera avec une adaptation symphonique de Quebec History X, morceau phare du répertoire de Webster qui la livrera lui-même. « Je vais aussi interpréter une autre chanson avec eux, La création du monde de Darius Milhaud. »

23 février au Grand Théâtre de Québec
Deux représentations : 10h30 et 19h30

Conférence de Webster sur Chevalier de Saint-George
15 février au MNBAQ à 19h30