Il y a 20 ans : Lhasa – La Llorona
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 20 ans : Lhasa – La Llorona

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale. 

Avec son mélange singulier de ranchera, de musique tzigane et de folk expérimental à la Tom Waits, le premier album de Lhasa a connu un succès fulgurant, s’écoulant à plus de 400 000 exemplaires au Canada et en France. Vingt ans plus tard, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie du guitariste et compositeur Yves Desrosiers.

La Llorona est d’abord et avant tout le fruit d’une rencontre artistique exceptionnelle, aussi naturelle qu’inusitée.

En juillet 1991, Yves Desrosiers se rend au Café Campus (à sa succursale initiale coin Decelles et Queen-Mary) pour voir un spectacle de Térez Montcalm avec l’une de ses amies. «Mon amie était avec une jeune fille de 18 ans aux longs cheveux blonds, fraichement débarquée de San Francisco», se souvient-il. «Elle était venue voir ses sœurs qui travaillaient dans le milieu du cirque à Montréal.»

Cette «jeune fille», c’est Lhasa de Sela. Née en 1972 dans la région des Catskill Mountains dans l’état de New York, elle a été élevée par une mère américaine et un père mexicain, deux bohèmes qui ont trimbalé leurs 10 enfants en autobus partout au pays, s’arrêtant «dans les campings, sur des terrains, chez des gens». Durant son enfance, de Sela a suivi des cours par correspondance, avant d’aller à l’école en Californie, là où sa famille s’est établie avant de repartir pour le Mexique.

Celle qui avait commencé à chanter dans les bars et cafés de San Francisco à l’adolescence arrive donc à Montréal avec un bagage musical hétéroclite, notamment constitué de standards jazz de Billie Holiday et de chansons mexicaines de Chavela Vargas et Cuco Sánchez. À peine majeure, elle semble tout particulièrement intriguée par l’emploi du temps de Desrosiers qui, au moment de cette soirée au Café Campus, est un membre actif de La Sale Affaire de Jean Leloup : «Elle savait que je jouais dans un band rock et elle me donnait l’impression d’être une fan borderline groupie. Elle me posait beaucoup de questions sur mon métier de musicien professionnel. Je me rappelle l’avoir trouvé rigolote.»

Durant le reste de l’année, le guitariste recroise Lhasa quelques fois, notamment aux Foufounes électriques. Ce n’est toutefois qu’à l’été 1992 qu’il lui reparle plus longuement : «J’avais décidé d’aller manger sur Saint-Denis avec ma même amie. Par hasard, on est tombés sur Lhasa, qui venait juste de se faire raser la tête. On s’est assis et on a commencé à jaser. C’est là qu’elle m’a dit qu’elle s’ennuyait un peu et qu’elle avait envie de chanter. Au fil de la conversation, j’apprends qu’elle chante des vieilles chansons de jazz pour ses amis, dans des cafés. Moi, à ce moment-là, mes affaires vont moins bien : la tournée avec Jean Leloup est terminée, et il y a une impasse pour le prochain disque. Je suis donc à la recherche de nouveaux projets parce que, de toute façon, je ne suis même pas certain que Jean va nous reprendre. C’est un peu ça que j’ai en tête quand je prends un carton d’allumette et que je lui donne mon numéro de téléphone.»

Au mois d’août, Desrosiers répond à l’appel de Lhasa et l’auditionne : «J’ai été chez elle pour voir ce qu’elle était comme chanteuse. Elle m’a ouvert un cahier de vieux classiques de jazz. Quand elle a commencé à chanter, j’ai remarqué une voix de tête, qui ressemblait pas du tout à celle des autres chanteuses jazz. J’m’attendais à une imitation de Billie Holiday, mais c’était pas ça pantoute. Je voyais tout de suite qu’elle était pas passée par cette école-là.»

Lhasa de Sela et Yves Desrosiers. Photo de couverture du VOIR.
Lhasa de Sela et Yves Desrosiers. Courtoisie Yves Desrosiers.

Durant cette même journée, la chanteuse montre au guitariste d’autres chansons qu’elle aime tout particulièrement interpréter : «On est tombés dans le jazz brésilien, dans les chansons portugaises. Avec cette langue-là, sa voix m’apportait autre chose de plus unique et intéressant. Je me souviens qu’il faisait beau dehors et qu’à un certain moment, une femme qui prenait un drink sur sa terrasse est montée nous voir à l’étage. Elle est venue nous porter un verre de vin, comme pour nous remercier, en nous demandant qui chantait comme ça. Cette personne-là a confirmé le feeling que j’avais et que j’arrivais pas à définir. Y avait quelque chose avec la voix de Lhasa qui rentrait directement dans la poitrine des gens.»

Préciser le style

À l’automne, Desrosiers convainc le patron du bar Les Bobards d’organiser un 5 à 7 afin de présenter son projet embryonnaire : «Le patron a accepté, à condition que ce soit pas trop bruyant. Je lui ai dit qu’on était un duo guitare-voix et qu’on avait juste besoin de nos petits amplis. Ça a été un gros test pour Lhasa parce qu’il y avait plein de monde et que ça parlait au boutte. Nos amplis fournissaient pas, mais on a eu droit à des applaudissements nourris et chaleureux. Ça l’a tout de suite pompée à l’os.»

Les rencontres qui suivent entre les deux complices sont significatives. De plus en plus ouverte à partager des pans de son passé, Lhasa fait découvrir à son nouvel acolyte des cassettes de ranchera et de classiques mexicains. «J’ai tout de suite été emballé par ce qu’elle me faisait entendre. On était en 1992, et tranquillement, y a un vent de musiques du monde qui s’installait. Ça m’intéressait d’autant plus qu’on développe cette facette-là de son bagage musical», explique-t-il. «Pour la première fois, j’entendais du Chavela Vargas, du Mercedes Sosa, des valses chiliennes, plein de trucs que je connaissais pas en tant que guitariste rock’n’roll.»

Les deux musiciens apprennent à se connaitre sur scène en accumulant les spectacles dans les bars montréalais, voyant s’agglutiner une clientèle de curieux de plus en plus grande. Vers la fin de l’année 1992, ils enregistrent un démo avec les moyens du bord. «On a enregistré 2-3 tounes sur un 4 tracks dans ma chambre à coucher de l’époque. J’ai mixé ça vite fait et, dans l’après-midi, je suis allé aux Bobards pour checker comment ça sonne. Tout de suite, y a quelqu’un au bar qui est venu me voir, une journaliste d’Elle Québec. Elle a accroché tout de suite et me l’a acheté pour 10$. Encore une fois, c’est le genre de situation qui confirmait ce que mon pif avait senti.»

En 1993, Lhasa de Sela et Yves Desrosiers jouent «de façon disparate». Plus occupé que jamais, ce dernier prend part à la tournée panquébécoise Rock Le Lait de Jean Leloup, qui marquera la fin de La Sale Affaire quelques mois plus tard. Ensuite, il alterne les spectacles avec Daniel Bélanger, Gogh Van Gogh et Les Quarts de rouge, un «trio rigolo de chanson française» qu’il mène avec Mononc’ Serge et Patrick Esposito Di Napoli, tous deux membres des Colocs.

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Affiche d’un spectacle donné en 1994 au défunt Bistro 4, café au coin de Duluth et Saint-Laurent.

L’aventure musicale avec l’Américaine prend un tournant plus dynamique au milieu de l’année 1994 : «Je venais de finir la tournée avec Bélanger, où j’avais rencontré Mario Légaré, une de mes idoles que je voyais aller sur scène avec Octobre quand j’étais plus jeune. Je lui ai fait entendre un autre démo que j’avais enregistré avec Lhasa à Saint-Colomban, en lui disant que j’avais envie de faire des solos de temps en temps, mais que je pouvais pas, vu qu’on était juste deux. Il a tout de suite embarqué dans le trip. Ça l’intéressait de jouer de quoi de différent.»

Revigoré par cette rencontre, Desrosiers entrevoit la création d’un album complet. En plein brassage d’idées, il constate que Lhasa s’intéresse grandement aux ébauches d’un album solo qu’il a à peine entamé. «J’avais en tête un projet inspiré par l’univers de Tom Waits. J’aimais beaucoup son approche en termes de percussions; sa façon d’utiliser les grosses caisses, les enclumes, les métaux. J’ai fait écouter ça à Lhasa, en lui montrant des esquisses et des brouillons de structures. Elle m’a dit que, de tout ce qu’elle avait entendu en ville depuis son arrivée, c’était ce qui l’accrochait le plus. J’ai été très surpris d’apprendre ça, car c’était de la musique différente, très loin des influences mexicaines qu’on avait. J’avais notamment expérimenté un lapsteel atmosphérique que j’avais nommé l’homme éléphant. Le son qui en sortait était d’une tristesse incroyable, et j’aimerais bien le comparer au bruit d’un éléphant qui braille dans le coin de la pièce.»

El pájaro est la première chanson que les deux musiciens écrivent ensemble : «Y avait pas du tout de mélodie, c’était juste une progression d’accords, et elle insistait pour garder la structure intacte. Pour moi, c’était trop répétitif, mais elle, elle voulait ça comme ça.»

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L’inexpérience et l’approche naïve de Lhasa donnent ainsi une toute nouvelle dimension au processus de composition initié par le guitariste. À force de marier les styles et les influences, ce dernier comprend que la clé de la signature musicale de ce projet se situe aux confins des ambiances lugubres à la Tom Waits et du bagage culturel de la chanteuse.

C’est ce qu’il tente d’expliquer au producteur d’Audiogram Denis Wolff à la fin de l’été 1995. «Je l’avais rencontré au Spectrum, en lui demandant s’il pouvait faire quelque chose pour nous. À son bureau, quelques jours plus tard, je lui ai expliqué l’univers que je buildais depuis 1992, en lui faisant écouter un démo qui contenait notamment El pàjaro et Por eso me quedo. Il a pris une semaine pour regarder ça avec ses partners, ce qui était normal, car on était plutôt difficiles à booker. Finalement, il m’a donné carte blanche, en me précisant qu’il allait nous signer les deux comme artistes pour l’album.»

Désirant prendre son temps pour échafauder son projet comme il se doit, le compositeur et réalisateur investit le studio maison de son fidèle acolyte François Lalonde (ex-batteur pour La Sale Affaire), situé dans un petit local commercial de la rue Saint-Denis. «Je voulais pas aller dans un studio qui coûtait cher, car je savais que tout le monde aurait été impatient. J’ai préféré aller chez mon ami François, qui nous voyait déjà évoluer depuis quelque temps. À partir de mars 1996, on a pris trois mois pour enregistrer tout ça. On s’amusait à faire résonner des grosses chaines, à taper sur des calorifères, sur des grosses caisses… Lhasa venait en studio assez souvent pour chanter des bouts et voir où on en était. Des fois, elle devait bien se demander où je m’en allais avec tout ça!»

Textes existentiels

À ce moment, la chanteuse poursuit un long cheminement créatif, qui l’amène à remettre constamment en question la signification et la valeur de ses textes. «Elle avait beaucoup de questionnements existentiels. Pour elle, l’écriture, c’était un long processus», dit Yves Desrosiers, avouant ne pas avoir trop prêté attention au sens de ses paroles à l’époque.

À l’image de son parcours nomade, les textes de la chanteuse évoquent différentes cultures, référant autant au chanteur mexicain Cuco Sánchez (Por eso me quedo) et à la poésie aztèque (Floricanto) qu’à une pièce de théâtre espagnole de la fin du XVe siècle (La Celestina) et au désert de Sonora qu’elle a traversé quand elle habitait dans la Basse-Californie (El desierto).

À travers ces différents repères culturels, Lhasa laisse une place importante à ses réflexions spirituelles. Sur De cara a la pared, par exemple, elle parle «de l’absence de l’autre, de la paralysie, de l’impuissance à réagir» et s’en remet désespérément à Dieu, «la face contre le mur». Elle reprend aussi les chansons traditionnelles El payande (une allégorie afro-péruvienne «à trois niveaux de lecture» qui sous-entend qu’on peut être l’esclave d’une religion) et Los peces (une relecture d’un style de musique espagnole très ancien qui «parle de la Vierge comme d’une femme normale»).

«La religion, la spiritualité, la foi : toutes ces choses-là sont très présentes dans ma vie», confie-t-elle, en entrevue pour l’édition spéciale de l’album parue en 2008 sous Warner Music France. «J’ai vécu deux ans en autarcie dans une communauté catholique, communiste et anarchiste, dans l’état de New York. Mes parents pratiquaient le bouddhisme, mon père voulait devenir prêtre… Il y avait une profonde recherche spirituelle dans sa vie. Il ne supportait pas l’hypocrisie ni tout ce qui était dogmatique. Il y avait une vraie soif de réponses, de conversations, de communication spirituelle… Personnellement, il y a des choses dans la religion catholique que j’aime beaucoup et d’autres que j’estime surtout être de la politique. Et c’est un peu pareil avec les autres religions. Alors, j’ai construit mon propre chemin. Je crois beaucoup aux signes, je crois que la vie nous parle. Je ne pense pas que les choses nous arrivent inopinément.»

El pájaro est d’ailleurs inspirée par un signe que la vie a envoyé à Lhasa. «Le texte m’est venu suite à une histoire qui m’est arrivée», explique-t-elle, toujours dans ce même entretien. «Un jour où j’étais triste, assez déprimée, je me baladais sans but, et soudain, deux oiseaux sont venus se poser sur mes épaules. Ils se sont mis à crier, crier dans mes oreilles. Sans doute parce qu’ils avaient faim. C’était insupportablement strident, horrible. Et en même temps, il y avait là une dimension magique, surnaturelle. Je l’ai reçue comme un message. Ça m’a sortie de ma torpeur, et je me suis complètement ressaisie.»

Au-delà de son titre, un clin d’œil à la légende mexicaine de «la pleureuse», l’album de Lhasa laisse entrevoir un certain mal de vivre, incarné par les différents personnages qu’elle personnifie. Alors que Mi vanidad «évoque une femme qui puise sa vanité dans la souffrance», La Celestina met en scène «une entremetteuse, assez diabolique, prête à détruire la vie des gens qu’elle veut mettre ensemble». Quant à elle, El desierto  «s’adresse à quelqu’un à qui on dirait : ‘’Quoi que tu fasses, tu ne peux pas me faire mal autant que je peux me faire souffrir moi-même.’’»

Quand vient le temps de donner forme à ses textes lourds de sens en studio, Lhasa dévoile une émotion franche, qu’Yves Desrosiers tente de capter à son état pur : «Y a beaucoup de tracks qui ont été gardées telles quelles dans leurs premières versions. C’est elles qui nous ont servi d’exemples pour la suite.»

Engouement rapide

En juin 1996, le réalisateur termine l’essentiel de l’enregistrement de La Llorona. Le musicien Pierre Marchand hérite du mixage de l’album, mais se voit contraint de laisser tomber le projet en cours de route. Le renommé Jean Massicotte prend le relai et termine le travail dans un studio à Morin Heights.

Bénéficiant d’une pochette peinte par Lhasa, La Llorona paraît finalement le 4 février 1997 sous Audiogram. Pour un album classé dans la catégorie fourre-tout des musiques du monde, le succès est impressionnant. «Denis Wolff était très encouragé qu’on ait vendu 10 000 disques en un mois. Il m’appelait pour me dire bravo», se rappelle Yves Desrosiers. «Moi, je savais pas trop ce que ça représentait pour un album en espagnol, mais j’étais content.»

Le duo a la chance de se produire au prestigieux Printemps de Bourges en 1997. C’est durant cet évènement qu’il décroche un contrat de disques avec l’étiquette française Tôt ou tard, sous laquelle sortira l’album quelques mois plus tard : «À l’époque, je me souviens que Denis Wolff voulait qu’on aille développer le marché de l’Amérique latine. Moi, je savais que c’était une erreur, car là-bas, c’est le genre de musique qui était déjà très connue. En Europe, ça avait davantage le potentiel d’être original aux oreilles des gens.»

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Photo prise lors du spectacle au Printemps de Bourges. De gauche à droite : Lhasa, François Lalonde, Mario Légaré et Yves Desrosiers. Courtoisie Yves Desrosiers.
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Photo prise en 1997 à Paris, suite à une émission de radio à RFI. Courtoisie Yves Desrosiers.

À l’automne 1997, Lhasa remporte le Félix de l’artiste québécois – musiques du monde de l’année. Quant à lui, Yves Desrosiers récolte deux nominations pour son travail à titre d’arrangeur et de réalisateur. L’année suivante, le tandem remporte encore une fois le Félix musiques du monde, tandis que La Llorona se voit sacrer meilleur album global au gala des prix Juno. Le duo prend ensuite une pause, et Lhasa profite de ce moment pour aller rejoindre ses trois sœurs à Marseille, qui s’y sont installées pour travailler dans le cirque contemporain Pocheros.

Quand vient le temps de plancher sur un deuxième album, la chimie entre les deux musiciens est moins évidente. «Ça commençait à être difficile entre elle et moi. Avec du recul, je crois qu’elle était tannée qu’il y ait tout le temps quelqu’un derrière elle. Depuis le début, je symbolisais celui qui la parrainait et je crois qu’elle en avait son casse. Elle voulait pas qu’on se sépare, mais elle voulait prendre les rênes.»

En 2001, Yves Desrosiers met donc un terme à son aventure artistique avec Lhasa de Sela : «J’me disais qu’il était temps qu’elle fasse ses choses toute seule, qu’elle contrôle entièrement son univers artistique. Je voyais que c’est ça qu’elle avait envie de faire. C’était écrit dans le ciel qu’un jour, ça allait arriver.»

L’auteure-compositrice-interprète se tourne donc vers François Lalonde et Jean Massicotte pour la création de The Living Road, deuxième album paru en 2003. Elle recroise son ancien complice à quelques reprises durant le reste de la décennie, sans toutefois collaborer à nouveau avec lui. «Elle est venue au lancement de mon deuxième disque en 2007. On s’est parlé quelques fois, mais on était ailleurs», admet le principal intéressé.

En 2008, Lhasa de Sela est diagnostiquée d’un cancer du sein, avec lequel elle vivra pendant plus de 21 mois. Active malgré la maladie, elle enregistre un troisième album homonyme, entièrement en anglais, qui se fraie un chemin sur la longue liste du prix Polaris en 2009.

Quelques mois plus tard, le 1er janvier 2010, elle rend l’âme dans son domicile à Montréal. Face à ce départ précipité, Yves Desrosiers cultive un regret, qu’il entretient encore à ce jour. «La raison pour laquelle on a décidé de se séparer musicalement, elle n’est plus importante… mais, dans ma tête, je me disais que, dans 10 ou 15 ans, j’allais rejouer avec elle sur scène. Pas nécessairement pour refaire un disque, mais pour renouer avec le plaisir que j’avais d’être à côté d’elle, de jouer pour elle», confie-t-il, encore sous le coup de l’émotion. «Malheureusement, c’est pas arrivé… et j’ai jamais été capable de lui dire avant qu’elle parte.»

Malgré tout, la foisonnante rencontre entre les deux musiciens aura marqué l’histoire de la musique québécoise. En s’affranchissant des barrières stylistiques pour épouser sans pudeur les musiques latines, américaines et tziganes, ils auront contribué à ouvrir de nouveaux horizons à la chanson d’ici.

Dans les années qui ont suivi la sortie de La Llorona, le courant bien flou des musiques du monde a pris de l’ampleur avec les succès de Paul Kunigis, Lilison Di Kinara, Jeszcze Raz, Bïa et Kaliroots. Dans la foulée, quelques artistes plus établis comme Les Colocs, Loco Locass et Stefie Shock ont aussi mis en relief leur goût prononcé pour les musiques exotiques.

Signe de l’influence notable qu’il a eu sur l’ensemble de la scène musicale nationale, l’album a reçu le prix du patrimoine Polaris de la famille Slaight en 2016. Le jury de ce prestigieux prix a notamment préféré La Llorona à Funeral d’Arcade Fire à titre de meilleur album de la décennie 1996-2005.

Conscient de l’impact de cette œuvre, Yves Desrosiers garde un souvenir indélébile de son parcours avec Lhasa de Sela : «Lhasa, elle imitait personne. Même si elle l’avait voulu, elle était pas capable d’imiter la voix de quelqu’un. Ça donnait quelque chose d’authentique, de pur. Elle chantait avec ce qu’elle avait.»

La Llorona – en vente sur le site d’Audiogram

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