Samuele : Égalité de genre
Sur son premier album, Samuele s’affiche sans détour avec un propos social intègre et bien articulé, résultat d’un foisonnant parcours musical dans les cercles militants montréalais.
«Sans cesse bombardée par le même refrain/Si t’es pas bonne à marier fille, t’es bonne à rien/Surveille ton poids, surveille ton langage/Réponds oui papa et reste bien sage», récite avec une fausse naïveté Samuele Mandeville sur le manifeste féministe Égalité de papier.
Avec cette saisissante entrée en matière, l’auteure-compositrice-interprète hochelagaise met la table pour cet album judicieusement intitulé Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent. «On voulait annoncer d’emblée nos couleurs», explique celle dont le prénom est aussi le nom du groupe. «C’est la pièce qui marque le plus les gens, celle sur laquelle j’ai le plus de feedback. J’avais pas tant envie de l’inclure, mais l’impact est tellement massif en show que j’avais pas le choix.»
Outre le manque évident de cohésion entre cette intro spoken word et le reste de la proposition folk aux accents rock et blues, la Montréalaise a hésité à intégrer cette chanson sur ce premier effort en raison de la vision étroite qu’elle sous-tend: «C’est pas un texte que je réécrirais de même… Si j’avais à parler de féminisme aujourd’hui, j’inclurais des notions de race, des notions de genre. En ce moment, c’est très binaire comme réflexion.»
Refusant les étiquettes, Samuele Mandeville préfère la fluidité des idées et des genres à la conformité. En constante ébullition dans ses réflexions et ses propos, elle dégage une certaine assurance qu’on devine radicale, mais aussi fragile. La façon dont elle parle du printemps érable, période d’agitation sociale au centre de sa chanson La révolte, en témoigne assurément. «J’ai tellement été déçue de comment ç’a fini. Ça m’a tellement fait de la peine», confie-t-elle. «L’affaire, c’est qu’en voyant tous ces gens descendre dans la rue, j’ai cru que quelque chose changerait pour vrai. J’y ai cru, à cette solidarité-là… Mais mon cœur s’est brisé, et j’en suis restée traumatisée. J’ai jamais eu autant peur pour ma vie qu’en voyant les policiers nous courir après durant les manifs de soir. Même que maintenant, quand j’entends un hélicoptère qui passe, j’ai une petite angoisse.»
Écrite il y a cinq ans, la pièce est donc alimentée par un sentiment de nostalgie, maintenant altéré par la froideur du retour à la réalité. Avec le recul, l’événement a toutefois eu des retombées positives dans la vie de la musicienne et intervenante au sein de GRIS-Montréal, un organisme communautaire qui tend à démystifier l’homosexualité et la bisexualité par la méthode du témoignage: «Je me suis rendu compte qu’aller dans des manifs, c’était moins pertinent qu’avant, et que j’avais un impact plus direct en allant parler de mon expérience directement aux jeunes. Au lieu d’aller contre des affaires, je construis quelque chose. De toute façon, me battre contre la grosse machine, ça m’épuise. Et quand je suis épuisée, je sers à rien.»
Cœur de tôle met bien en lumière ce sentiment d’abattement. En abordant l’affligeant manque d’énergie et de motivation qu’elle a subie durant une récente dépression, la multi-instrumentiste montre qu’elle peut aisément alterner entre la prise de parole collective et le récit intimiste.
L’importance du clan
Pour mettre en musique ses textes, Samuele Mandeville a pu compter sur le soutien indéfectible de son groupe, constitué du bassiste Alex Pépin, de la guitariste Julie Miron et du batteur Jean-Sébastien Brault-Labbé, également réalisateur de l’opus. Même si la chanteuse écrit tous ses textes et incarne à elle seule la formation, elle dit avoir besoin d’un clan pour évoluer: «On forme une équipe très forte. Surtout, on se donne le droit à l’échec, ce qui est essentiel, car la sécurité émotive est très importante pour moi. Si j’avais pas cette solidité-là, j’arriverais pas à faire cette job.»
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Dernièrement, la musicienne a toutefois dû faire bande à part dans le cadre d’une tournée estivale en solo. Si l’exercice avait de quoi l’apeurer au départ, il s’est avéré particulièrement bénéfique. «Ç’a été très formateur comme expérience», raconte-t-elle. «Il y a bien des moments où je me suis ennuyée de mon band sur la route, mais une fois sur scène, j’étais capable de tout oublier et de créer un contact avec la foule. C’est comme si je devenais une version améliorée de moi-même.»
Tout de suite après cette mini-tournée, Samuele a su tirer son épingle du jeu au Festival international de la chanson de Granby. Au terme de trois semaines de formations, d’ateliers et de prestations, la chanteuse a remporté la finale. «C’que j’ai appris là-bas, c’est surtout à gérer le stress, mais c’est pas quelque chose que j’ai particulièrement trouvé agréable. Je crois pas que, dans la vie, on ait besoin de se mettre autant de pression sur les épaules pour se réaliser», juge celle qui, un an auparavant, avait atteint les demi-finales des Francouvertes. «Là, les concours, c’est fini! Même qu’à Granby, j’avais pas vraiment envie d’y aller. J’y suis allée parce que je me disais que c’était un bon move de carrière.»
Active sur les scènes de son quartier depuis plus d’une décennie, autant dans les petits bars qu’à travers les circuits autogérés et les initiatives militantes, la chanteuse a maintenant pris la décision de faire grandir son projet, au lieu d’uniquement prêcher aux convertis.
Un choix qui, encore maintenant, vient avec son lot de doutes: «Quand je suis revenue de Granby, je suis retournée jouer sur le même stage plein de bière, devant la gang d’anarchistes assis par terre. Sur le coup, je sentais que je les avais trahis… J’avais peur qu’on me dise que je suis une vendue, comme si demander d’être payée pour jouer de la musique, c’était pas bien. Maintenant, je sais que ce travail-là mérite des sous. Je sais aussi que faire de l’art un métier, c’est une drôle de combinaison. Je comprends qu’il y a peu de personnes qui le font, car c’est pas vraiment un match paisible.»
Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent
Sortie le 7 avril 2017
Spectacle de lancement
6 avril, 20h au Lion d’or (Montréal)