Isabelle Boulay : Toute la vérité
Musique

Isabelle Boulay : Toute la vérité

Toujours aussi humble, Isabelle Boulay en appelle au cœur sur En vérité, un nouvel album réalisé par son inséparable Benjamin Biolay.

Même si on a l’impression qu’elle n’a jamais quitté les feux de la rampe, Isabelle Boulay signe ici son premier album de chansons originales depuis Les grands espaces, paru il y a déjà six ans. «Des fois, j’ai le goût de prendre l’autoroute, alors que d’autres fois, j’prends le premier chemin qui se présente à moi», dit-elle, sourire en coin, quand on lui demande la raison de ce «grand espace».

Pourtant, les balbutiements d’En vérité remontent à loin. Plus précisément, au moment où une certaine Béatrice Martin a mis les pieds dans l’atelier de l’interprète pour lui présenter la chanson Nashville, dont elle signe les mots et la musique.

L’étincelle n’aura toutefois pas suffi à allumer le brasier. «J’étais pas dans l’état d’esprit que je voulais», confie l’artiste de 44 ans. «Je venais de perdre un ami à cette époque-là. Pour moi, c’était un mentor, un deuxième père, un vrai ami qui me regardait jamais avec complaisance…»

Pour «colmater» la fissure, Isabelle Boulay a trouvé Reggiani sur son chemin. En plus de saluer la mémoire du chanteur franco-italien, son album Merci Reggiani a eu une portée thérapeutique. «Entrer dans son répertoire, ça m’a consolée», poursuit-elle. «Pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression de chanter un peu pour moi.»

Revigorée, la chanteuse a repris les rênes de son projet précédent. Et puisqu’on ne change pas une formule gagnante, elle s’est tournée vers son fidèle acolyte Benjamin Biolay. «C’est quelqu’un d’assez drôle», s’empresse-t-elle de dire, dès qu’on se met à parler de lui. «Les gens pensent que c’est un animal triste, mais moi, il me fait beaucoup rire. Je le considère comme un frère, un alter ego, même. C’est quelqu’un de très exigeant, et ça tombe bien, car je le suis aussi.»

Photo : Peter Lindbergh
Photo : Peter Lindbergh

Près de 20 ans après leur première collaboration sur Mieux qu’ici-bas, les deux complices ont repris le travail selon leur méthode habituelle. Comme réalisateur, Biolay s’attelle à donner vie au son que Boulay a en tête, en fonction d’un horaire qui penche plus vers la noirceur que la lumière. «C’est un oiseau de nuit total!» admet-elle. «En général, il rentre au studio à 16h, et c’est moi qui dois m’adapter à son horaire. C’est un rythme de travail différent que j’accepte, car Benjamin me donne satisfaction sur le plan de la création. Il m’est indispensable.»

Chanson country latino-italienne

C’est d’ailleurs lui qui a donné le ton à En vérité, en proposant à sa partenaire d’amorcer les séances d’enregistrement avec Won’t Catch Me Crying. Retranchée des Grands espaces, cette reprise de Willie Nelson écrite par Rob Thomas a finalement trouvé son point d’ancrage. «On finissait à peine de se réchauffer, et Benjamin me dit qu’on va commencer avec cette chanson-là. J’m’attendais vraiment pas à ça», raconte-t-elle. «En fin de compte, la deuxième prise qu’on a faite, c’est celle qu’on a gardée. En revenant à Montréal, j’ai voulu la réenregistrer, mais j’ai compris que je pourrais jamais faire mieux que ce que je venais de faire. Ç’a vraiment donné un élan à l’album.»

Par la suite, le Rhodanien a ouvert les horizons de la Gaspésienne au hip-hop italien, en lui faisant découvrir l’œuvre du chanteur et rappeur Lorenzo Jovanotti et tout particulièrement la ballade Una storia d’amore. «Je lui parlais de ma volonté de faire une reprise de chanson italienne, et il m’est arrivé avec ça… Je trouvais le texte très compliqué, mais disons qu’il sait comment me prendre pour en arriver à ses fins», explique-t-elle, en riant. «Je me suis laissée prendre par le lyrisme de la chanson.»

Au-delà de ces deux incursions en langue étrangère, En vérité se pose dans la vaste catégorie de la chanson française. Épurée mais pas minimaliste, la direction musicale y est simple, douce, mais viscérale, alors que les textes y sont passionnels. Le tout en phase avec la signature des nombreux paroliers et compositeurs qui y ont contribué, notamment Alex Nevsky, Raphaël, Carla Bruni, Julien Clerc et Biolay. «On voulait que les chansons atteignent le cœur, mais aussi les os. L’enveloppe a quelque chose de charnel, de sexy. La musique devait provoquer quelque chose», décrit Isabelle Boulay. «À travers ça, j’ai essayé de faire entrer toute la beauté que j’avais accumulée à l’intérieur de moi, toutes les choses qui m’ont touchée. Pour mélanger tout ça ensemble, ça prenait un alchimiste comme Benjamin.»

Photo : Peter Lindbergh
Photo : Peter Lindbergh

Fort de ses influences latines, l’opus est également marqué par l’amour infini que porte la chanteuse au country, ce qui semble être devenu chose commune depuis la sortie du marquant De retour à la source en 2007. «C’est la musique qui joue au plus profond de moi», image-t-elle. «J’en ai tellement écouté quand j’étais enfant que ç’a fini par s’imposer.»

Si le country a visiblement retrouvé ses lettres de noblesse au Québec depuis plus d’une décennie, la situation reste différente de l’autre côté de l’Atlantique. Peu exposés à ce genre musical emblématique de l’américanité, les Français s’y reconnaissent maintenant davantage, selon ce qu’a pu observer Isabelle Boulay: «C’est certain que c’est pas le style qui les attire le plus, mais une fois qu’ils s’y habituent, ils ne sont plus capables de s’en passer. Récemment, j’ai fait la tournée Chants libres là-bas, et le tiers de mon répertoire était franchement country. J’ai été surprise de constater que c’est durant ces chansons-là que les spectateurs étaient le plus animés. Tranquillement, y a un changement dans l’oreille du public.»

Maintenant signée sous Columbia en France, Isabelle Boulay se considère privilégiée de pouvoir mener de front deux carrières sur deux continents. Surtout, elle se dit chanceuse d’avoir été en mesure de perdurer. «Autant au début, j’ai senti une immense affection à l’égard des chanteurs québécois à voix en France, autant à un moment donné, j’ai senti que le pont-levis commençait à se relever», analyse-t-elle. «Encore aujourd’hui, ça me flatte qu’on dise de moi que je suis une chanteuse à voix, alors que j’ai même pas une octave et demie de possibilité. Comme dirait Zachary Richard, j’ai pas une “grosse rangée vocale”, mais je suis bonne pour donner l’impression que j’peux chanter toute.»

En vérité (Audiogram)
En magasin le 19 mai

Le 6 juillet sur les Plaines d’Abraham
(Dans le cadre du Festival d’été de Québec)