Musique

Desjardins, l’intemporel

À près de 70 ans, Richard Desjardins fait encore l’unanimité. Intemporelle, son œuvre transcende les générations. Autour d’un verre dans un bar montréalais, nous discutons de son vaste répertoire, de son influence et de son héritage avec Klô Pelgag, Philippe B, Bernard Adamus, Mélanie Boulay et Michel-Olivier Gasse, qui prendront tous part au spectacle Desjardins, on l’aime-tu!.

Présenté aux FrancoFolies de Montréal et au Festival d’été de Québec, ce spectacle met aussi en vedette Avec pas d’casque, Safia Nolin, Fred Fortin, Koriass, Keith Kouna ainsi que les autres auteurs-compositeurs-interprètes ayant participé à l’album hommage Desjardins, paru en avril dernier sous 117 Records.

cover-desjardins-1440x1440_rgb-2Initiée par le fondateur de l’étiquette, Steve Jolin, cette compilation a été élaborée de connivence avec le réalisateur Philippe B. «D’une façon abstraite, on cherchait à avoir des gens qui fittaient avec Richard, donc pas trop mainstream», explique-t-il quant au choix des artistes. «On voulait des musiciens relativement jeunes et alternatifs, pour qui la poésie est importante. On pouvait évidemment déroger un peu de cette direction-là, mais c’était ça qui nous guidait essentiellement.»

Même s’il ne s’est pas du tout imposé dans le processus, Richard Desjardins a eu une certaine emprise sur la création. Bien malgré lui, son aura a eu des effets parfois intimidants. «Pendant des mois, j’étais terrorisée. C’était terrible!», envoie Klô Pelgag, qui a finalement relevé le défi de reprendre l’épique fable Les Yankees avec son ami Philippe Brach.

«Je voulais pas te faire souffrir», réplique le réalisateur, sourire en coin.

«Non, mais, je capotais. La nuit, je l’avais dans la tête, je dormais pas. Il a fallu qu’on aille prendre un café ensemble pour que tu me rassures», confie-t-elle. «Après ça, je suis allée travailler de mon bord avec mon équipe. On a commencé avec le piano, les trucs sobres, et ensuite, on a déconstruit la partie harmonique.»

Klô Pelgag, photo : Christian Leduc
Klô Pelgag, photo : Christian Leduc

Sans faire de l’insomnie, Philippe B a lui aussi eu de la difficulté à trouver le ton juste pour reprendre l’emblématique … et j’ai couché dans mon char. «Y a du texte pendant six minutes, donc si je la faisais plus lente, c’était interminable, alors que plus vite, ça devenait trop difficile à chanter. En fin de compte, ma version donnait la même affaire que celle de Richard, mais en moins bon. C’était juste vraiment plate», admet le Rouyn-Norandien, qui s’est finalement rabattu sur Y va toujours y avoir, tirée du premier album d’Abbittibbi.

Philippe B, photo : Christian Leduc
Philippe B, photo : Christian Leduc

«Nous, on l’a pratiquée toute une soirée», enchaîne Bernard Adamus, à propos de Mammifères, pièce aux influences jazz rock progressives qu’il a lui-même proposée à Philippe B. «On était tous d’accord sur le fait d’enlever les parties prog de flûte, tout en gardant les changements d’accords, mais même à ça, ça levait pas vraiment… Au moment où je m’en allais partir, plus ou moins satisfait, mes musiciens ont parti un autre thème, pis là, ç’a roulé.»

«Nous aussi, on a cherché à décomplexifier la structure», ajoute Mélanie Boulay, qui reprend avec sa sœur la touchante L’engeôlière. «C’était tout un défi, car je la considère comme l’une des plus belles chansons d’amour jamais écrite.»

Le duo Saratoga a également cherché à aborder autrement le succès monumental Quand j’aime une fois j’aime pour toujours. «On a d’abord essayé d’intellectualiser la toune pour finalement se rendre compte qu’on devait juste la jouer. La beauté de ne pas être si bons que ça, c’est qu’on était certains que notre cover serait pas mal différent de la version originale!», blague Michel-Olivier Gasse.

Michel-Olivier Gasse (Saratoga), photo : Christian Leduc
Michel-Olivier Gasse (Saratoga), photo : Christian Leduc

Souvenirs et impact

Tous des fans invétérés du bum le plus célèbre de Rouyn, les cinq artistes partagent des souvenirs bien distincts de leur contact initial avec son œuvre. «Moi, c’est à 16 ans, dans un appartement, avec l’album Live au Club Soda», se presse de dire Adamus dès qu’on lance les mots «premiers souvenirs». «C’est la première fois que j’entendais quelque chose d’aussi cool que Plume Latraverse. Enfin y en avait un autre qui savait chanter au Québec.»

C’était un punk dans l’âme. Y avait beau être assis au piano, c’était l’homme le plus viril que tu pouvais pas trouver sur une scène.

Bernard Adamus

«C’est un album fin, brillant, punché», poursuit Mélanie Boulay. Très jeune lorsque l’album est sorti, la musicienne gaspésienne a découvert Desjardins au début de l’adolescence lorsqu’elle a participé au Camp chanson de Petite-Vallée: «On avait interprété Nous aurons en gang d’enfants. C’était quand même cute. C’est là que j’ai compris que ça pouvait être intéressant de plus porter attention à l’émotion du texte qu’à la façon de le chanter.»

Pour Philippe B, c’est Abbittibbi qui a davantage résonné à la fin de l’adolescence, alors qu’il était le chanteur de la formation Gwenwed: «Je trouvais ça cool le mélange d’influences semi-intégrées, un peu comme si The Band essayait de faire du prog. Ça donnait un son vraiment particulier, mais la plume de Richard était déjà là.»

Mélanie Boulay (Les sœurs Boulay), photo : Christian Leduc
Mélanie Boulay (Les sœurs Boulay), photo : Christian Leduc

«J’ai vu Abbittibbi pour la première fois à la salle Maurice-O’Bready à Sherbrooke. À ce moment-là, j’étudiais en musique, donc j’aimais ça, les affaires complexes», se souvient Gasse, en riant.

Moins bavarde depuis le début de cet échange commémoratif, Klô Pelgag se lance timidement une fois son tour venu. «J’ai pas de souvenirs extraordinaires… Mais j’me rappelle qu’à un moment donné, fallait que j’aille garder un enfant parce que ses parents allaient voir un show de Richard Desjardins», confie-t-elle, provoquant du même coup un éclat de rire collectif. «Mais pour vrai, y avait tellement pas de shows chez nous à Sainte-Anne-des-Monts que j’m’en veux de pas y être allée.»

Depuis, la chanteuse s’est initiée avec plus d’intérêt à l’univers de Desjardins. Pour elle, l’héritage que ce dernier laisse sur la musique québécoise est équivalent à celui qu’a légué Jacques Brel aux Belges et aux Français.

«Selon moi, Desjardins est plus sauvage», nuance Bernard Adamus.

«Oui, parce que Desjardins ressemble aux Québécois», répond Pelgag. «Il utilise des mots du quotidien pour écrire une poésie profonde et intelligente. Sa voix singulière et sa façon d’interpréter donnent un sens nouveau à chaque mot qu’il prononce.»

Bernard Adamus, photo : Christian Leduc
Bernard Adamus, photo : Christian Leduc

«C’est ça qui me frappe aussi», poursuit Mélanie Boulay. «Il a aussi réinventé des expressions pis des images, mais juste en changeant un mot ou deux.»

«Desjardins, c’est la preuve tangible que, pour faire ce métier-là, t’as plus besoin d’une personnalité que d’une voix. C’est un peu pour ça que je le trouve encore très actuel. Contrairement à des vieux disques de Piché ou de Vigneault, son œuvre appartient pas au passé», analyse Michel-Olivier Gasse, à propos de celui qu’il considère comme «le premier vrai DIY au Québec».

Stéphanie Boulay (Les sœurs Boulay) et Philippe B, photo : Christian Leduc
Stéphanie Boulay (Les sœurs Boulay) et Philippe B, photo : Christian Leduc

«C’est un de nos plus grands créateurs», résume Philippe B. «Dans un autre contexte que celui des années 1980, il aurait pas eu à se démener autant.»

«Les derniers humains pis Tu m’aimes-tu, ça va toujours rester des albums poétiquement forts et évocateurs. Ces œuvres-là vont encore longtemps faire rêver un petit cul idéaliste de 16-17 ans qui veut toute haïr, surtout l’école, pis crisser le camp de chez eux», lance Bernard Adamus dans un élan incarné aux allures de récit autobiographique. «C’était un punk dans l’âme. Y avait beau être assis au piano, c’était l’homme le plus viril que tu pouvais pas trouver sur une scène. À cette époque-là, c’tait certainement pas les outfits à Mario Pelchat qui allaient faire rêver un enfant de 15 ans.»

Desjardins, on l’aime-tu!

FrancoFolies de Montréal
11 juin – Scène Bell (Place des Festivals)
Avec tous les artistes de la compilation et autres invités

Festival d’été de Québec
6 juillet – Scène Bell (Plaines d’Abraham)
Avec tous les artistes de la compilation sauf Saratoga et Safia Nolin