La célébration sera grande le 12 juillet 2017. Le même jour que son 80e anniversaire de naissance, Michel Louvain chantera au Festival d’été de Québec sur la place D’Youville, à quelques pas d’un lieu fort en émotions et en souvenirs: le Palais Montcalm.
«Québec, c’est mon château fort» dit-il, visiblement excité. «Durant la conférence de presse [du FEQ], j’étais assis à côté des Cowboys fringants, qui racontaient ce qui allait se passer durant leur show: des projections énormes, des feux d’artifice projetés sur l’écran… Moi, j’ai dit que, pour mon show, il n’y aurait pas de flafla, mais que mon fond d’écran serait le Palais Montcalm, là où j’ai connu ma première grosse émeute de fans en 1959. Cette même émeute où j’ai dû sortir par le toit en échelle de pompier avant d’être ramené à mon hôtel. Les Cowboys m’ont regardé: “Hein! Ça t’est arrivé, ça?”»
Si ce genre d’engouement exalté et frénétique paraît effectivement extraordinaire aujourd’hui, il a forgé le mythe de cette époque phare, qu’a d’abord symbolisé la Elvis Mania au milieu des années 1950. À ce moment, le jeune Thetfordois était toutefois loin de se douter qu’il connaîtrait lui aussi une popularité déferlante.
Étalagiste avec son père le jour, il suit son grand frère, le chanteur André Roc, dans les cabarets le soir. «J’avais pas le droit de rentrer, donc j’me cachais dans un coin pour le regarder travailler. Un jour, il a accepté un contrat à Montréal, et j’ai pris sa relève. J’avais 18 ans», raconte celui qui a troqué son vrai nom, Michel Poulin, contre Mike Mitchell, Mike Poulin et Michel Paulin avant d’adopter Michel Louvain. «Le band me donnait 5 piasses par soir, le vendredi et le samedi. Vu que je fumais pas et buvais pas, j’étais en mesure de vivre avec 10 piasses par semaine et de donner mon 45 piasses d’étalagiste à ma mère. J’étais heureux, je demandais pas plus que ça.»
Repéré grâce à son énergie et son charisme, Louvain déménage à Sherbrooke en 1957, à l’âge de 20 ans. «Je chantais avec un trio tous les soirs de la semaine à l’Hôtel Union. Là, j’étais dans mon élément! Après quelques soirs, j’ai remarqué que les gens ne dansaient plus. J’étais un peu inquiet jusqu’à tant qu’on me dise que les gens préféraient me regarder, comme si je leur donnais un spectacle! J’étais fier, mais en même temps, j’étais pas plus heureux que ça là-bas. Maintenant que j’avais quitté la maison, j’avais d’autres idées en tête. J’ai donné ma démission après trois mois et je suis allé rejoindre mon frère à Montréal.»
Après avoir remporté un concours amateur au cabaret Mocambo, où son frère se produit, il saisit la chance de devenir maître de cérémonie dans un hôtel de L’Abord-à-Plouffe, ancien village québécois qui fait maintenant partie de Laval. «Le même soir, je pouvais présenter Fernand Gignac suivi d’un numéro d’acrobates ou de chiens qui sautent dans un cerceau…» énumère-t-il, avec le sourire. «Je passais un peu inaperçu, mais ça n’a pas empêché le directeur des disques Apex, Yvan Dufresne, de me remarquer. Il m’a vu chanter un soir à l’hôtel et m’a demandé si j’voulais faire un disque. J’avais 20 ans, c’est sûr que j’allais dire oui!»
Buenas noches mi amor paraît la même année. Sans être un succès instantané, le 45 tours permet à Louvain d’attirer l’attention de l’animateur radio St-Georges Côté, qui le propose comme artiste invité pour le populaire Gala des Splendeurs. Retransmis sur les ondes de la télé de Radio-Canada, l’événement a lieu le 3 mai 1958 au Colisée de Québec. «C’est là que j’ai connu mon heure de gloire!» s’exclame-t-il. «Tout ce dont j’me souviens, c’est Jean Coutu qui me donne une tape dans le dos avant que j’entre sur scène en me disant: “Enweille, p’tit gars, va les chercher!”»
La prestation terminée, Louvain monte dans un taxi sans se douter que sa carrière vient de prendre son envol. Ensevelie d’appels pendant plus de deux semaines, l’équipe de Radio-Canada recontacte la jeune vedette. «On m’a demandé de venir m’installer à Montréal, car tout le monde voulait revoir “le petit gars” qui a chanté! Ma carrière venait vraiment de partir en flèche», raconte-t-il. «Faut dire que le timing était parfait: Presley était au sommet, et les jeunes filles d’ici se cherchaient une idole. Quand elles ont vu ce gars-là de 20 ans arriver avec son nœud noir, sa chemise blanche pis ses cheveux bien peignés avec du Brylcreem bien huilé, ç’a provoqué quelque chose…»
«Encore aujourd’hui, je me demande “pourquoi moi?”», poursuit-il, avant de prendre une pause pour y réfléchir. «Je dois être né sous une bonne étoile.»
Apogée, déclin et résurgence
À son apogée au tournant des années 1960, la «Louvain Mania» précède la venue d’une toute nouvelle scène pop, que représentent à divers niveaux Pierre Lalonde, Tony Massarelli, Tony Roman, Donald Lautrec, Michèle Richard et autres groupes yéyé emblématiques comme César et les Romains, Les Sultans et Les Classels. Grâce à des émissions de télé comme Music-Hall et Jeunesse d’aujourd’hui, certains de ces artistes obtiennent un rayonnement beaucoup plus large, qui leur permet de se faire reconnaître au-delà des cabarets. «Cette période-là, ce sont des souvenirs extraordinaires», relate Michel Louvain. «On était souvent amenés à collaborer sur les mêmes scènes, les mêmes émissions. Ça pouvait m’arriver d’embarquer avec mes chansons d’amour juste après un groupe qui bouge pas mal comme César et les Romains.»
Unie malgré ses différences, cette scène perd quelque peu de son lustre à la fin de la décennie 1960, au même moment où Louvain traverse des moments plus difficiles, notamment en raison de la fin de son contrat avec Apex. «On peut parler d’une période creuse», admet-il. «Je suis pas resté assis dans mon appartement à compter les jours, je faisais des spectacles pareil, mais j’avais pas de chanson à la radio ni de disque hot sur le marché.»
Plus largement, l’industrie change de façon assez radicale: l’époque faste des cabarets tire à sa fin, et différents espaces de diffusion ouvrent leurs portes et prennent du galon. «Le show-business changeait carrément. La mode était aux belles salles culturelles comme la Place des Arts», se souvient le Thetfordois. «Ensuite, quand la télévision a arrêté les variétés, le public a changé.»
Au début des années 1970, le Québec vibre au rythme d’une nouvelle génération d’auteurs-compositeurs-interprètes comme Beau Dommage, Harmonium, Robert Charlebois et Louise Forestier. Loin de se douter qu’il est sur le point de connaître son plus grand succès, Michel Louvain accepte avec plusieurs réticences une idée du producteur Pierre Boudreau: «Il vient me voir et me dit qu’il a un tango à me proposer. Je lui ai répondu que j’allais certainement pas chanter ça.»
Le «tango» en question est une reprise du chanteur irlandais Joe Dolan, Lady in Blue. «Je l’ai quand même enregistrée, sans penser que ça serait le tube de ma carrière. Je vais pas parler au nom de tous les chanteurs, mais j’ai l’impression qu’en général, on n’est pas trop bons pour savoir qu’on a un hit entre les mains. C’est plus ton producteur et ton entourage qui vont être capables de te dire ça. Moi, j’ai toujours été un peu trop naïf.»
Paru en 1977, l’album La dame en bleu propulse Louvain au sommet des palmarès. La décennie 1980 s’amorce donc du bon pied pour le chanteur, qui propose plusieurs séries de spectacles très populaires, notamment celui des 3 L avec ses acolytes Donald Lautrec et Pierre Lalonde.
Diversifiant ses activités, l’artiste accepte de se joindre au réseau Télé-Métropole à titre d’animateur de l’émission De bonne humeur pendant cinq saisons. Bien malgré lui, il devient la victime de railleries de plusieurs humoristes (notamment Rock et Belles Oreilles et les Bleu Poudre) qui le dépeignent comme un symbole d’une certaine culture kitsch. «Moi, je les regardais pas à la télévision, ces humoristes-là. C’est mon public qui venait m’en parler en me disant qu’ils étaient vraiment méchants», dit-il, en prenant bien soin de ne pas préciser de qui il parle. «Ça me faisait de la peine, je dormais mal, mais je fonçais la tête haute. Maintenant, ces mêmes gens-là, ils viennent me parler et m’invitent à participer à leur show. Ils ont essayé de me démolir, mais ça n’a pas marché. Je ne garde pas de rancune envers eux, mais quand ils viennent me donner la main, je sais très bien à qui j’ai affaire.»
Accumulant les albums compilation et les tournées durant les décennies 1990 et 2000, le chanteur obtient depuis peu une reconnaissance à la hauteur de sa carrière d’exception. Nommé Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2010 puis décoré de l’Ordre du Canada en 2015, il a finalement obtenu le convoité Félix hommage au Gala de l’ADISQ 2014.
Se disant toujours aussi redevable à son fidèle public pour tout ce qui lui arrive, Louvain attribue son succès sur six décennies à son authenticité, au fait qu’il n’a jamais changé ou forcé son image. «Le Louvain des années 1960 est le même que celui de maintenant. C’est cette constance-là qui fait ma force. On me verra jamais sur scène en jeans, j’aurai toujours un veston et je serai toujours coiffé pareil. Une fois, j’ai essayé de me faire un afro à la Charlebois, et ç’a pas duré trois jours! Dans la rue, j’me suis fait dire: “Vous allez nous enlever ça, monsieur Louvain, c’est pas vous ça!” Je suis retourné direct chez mon coiffeur pour lui demander de me défriser.»
C’est donc avec le veston et le pantalon bien repassés que le chanteur de 79 ans soulignera son passage dans la prochaine décennie. Symboliquement chargé, ce spectacle extérieur à la Place D’Youville vient avec son lot de nervosité. «Je vais avoir le trac, plus que d’habitude. Ça représente tellement de souvenirs pour moi…» renchérit-il. «Je souhaite seulement qu’il fasse beau.»
60 ans de bonheur avec vous
Québec: 12 juillet
Scène Hydro-Québec. Place D’Youville
(Dans le cadre du Festival d’été de Québec)
Montréal: 25 novembre
Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts