Musique

Légendes d’un peuple : la fin d’un chapitre

Motivé comme jamais à poursuivre son ambitieux projet historico-musical Légendes d’un peuple, entamé il y a déjà sept ans, Alexandre Belliard s’offre «la plus belle des récompenses» : une dernière série de spectacles à Montréal avec son groupe étoile.

Intitulé Légendes d’un peuple Collectif II, ce spectacle se veut (beaucoup) plus intime que son prédécesseur initié en 2015, qui mettait de l’avant une douzaine d’artistes clés de la chanson québécoise, notamment Richard Séguin, Patrice Michaud et Paul Piché. «C’était énorme, ce show-là! En coulisses, c’était une vraie cour d’école», se souvient Alexandre Belliard. «On n’a pas essayé de refaire ou d’accoter ça. Le but, c’était de faire autre chose avec un band : Salomé Leclerc aux drums, Jean-Martin Aussant au piano, Jorane à la harpe, et Daran à la guit électrique et à la basse, comme moi.»

Pour l’occasion, l’auteur-compositeur-interprète d’origine montréalaise a pigé allègrement dans son vaste catalogue de Légendes d’un peuple. Toutes axées sur un personnage précis ayant marqué l’histoire de la francophonie panaméricaine, les chansons de cette épopée musicale qui s’étend sur cinq tomes prennent une forme plus épurée que grandiloquente sur scène, grâce à l’appui de Yann Perreau qui signe la mise en scène du spectacle. «On met l’accent sur le contenu des chansons, en les racontant. C’est ça qui permet de saisir l’étonnement et voir l’émotion du public. Pour moi, y’a rien de plus beau que ça», indique Belliard.

Heureux de cette mouture basée sur la complicité entre lui et ses quatre amis, le chanteur regrette qu’elle n’ait pas obtenu un engouement plus marqué partout dans la province. Après une quinzaine de spectacles, Légendes d’un peuple Collectif II prendra fin avec quatre supplémentaires au Lion d’or. «C’est déjà un privilège d’avoir fait ça, mais j’aurais aimé faire 40 ou 50 représentations. Y’a tellement de travail derrière ce show-là que je trouve ça cruel de pas pouvoir le faire devant plus de monde… On ne peut pas non plus continuer l’an prochain, car les musiciens sont tous des gens très occupés, avec une grosse carrière. Dans le meilleur des cas, il pourrait y avoir une refonte du show, mais ce sera pas ce spectacle-là tel quel. On veut pas faire de sous-produit non plus.»

Et Alexandre Belliard n’a jamais fait les choses à moitié. Fort d’une cinquantaine de chansons déjà publiées (et d’une trentaine écrites mais pas encore enregistrées), il désire atteindre l’objectif symbolique qu’il s’est fixé en 2010. «Il me reste environ 15 chansons à écrire pour me rendre à 101. En ce moment, j’ai juste écrit sur les personnages de l’Amérique du Nord et des Antilles, mais il me reste tous ceux de l’Amérique centrale et du Sud», explique celui qui cherche d’abord et avant tout à savoir «qui sont ces 33 millions de gens qui parlent français en Amérique.»

Desjardins, l’étincelle

Cette large interrogation a pris forme dès la sortie de Des fantômes, des étoiles, troisième album de chansons plus intimistes (et dernier à ce jour) qu’il a fait paraître au début de la décennie. «Quand j’ai sorti ça, j’avais la tête complètement ailleurs», se souvient-il. «J’ai fait mes 80 dates de shows, et après ça, je n’ai plus jamais fait de shows réguliers, ni rechanté mes vieilles affaires. J’ai tout de suite été entièrement dévoué à Légendes d’un peuple

Richard Desjardins aura, sans le savoir, allumé l’étincelle : «Il avait dit que les jeunes auteurs-compositeurs se regardaient un peu trop le nombril et que, parfois, ils gagneraient à regarder davantage autour d’eux. Ça m’a amené de petites remises en question. En regardant ce que j’avais écrit, j’ai constaté que mes chansons préférées, c’étaient celles qui parlaient de d’autres personnes que moi, comme Denis Vanier, Renaud, Marie Uguay ou Rimbaud.»

C’est en lisant un texte de Thérèse Renaud, poétesse signataire du Refus global, qu’il a eu l’idée plus précise de s’intéresser aux personnalités francophones marquantes de son continent : «Ce texte-là était un hommage à des femmes comme Marie Rollet qui sont venues de partout dans le monde pour venir s’installer ici, dans le Nouveau Monde. À l’époque, j’avais 34 ans et je n’avais jamais entendu parler de ces femmes-là. Ç’a été le déclencheur du projet : j’me suis mis à lire beaucoup et à choisir les personnages dont je voulais parler.»

Alexandre Belliard. Crédit : Marc-Étienne Mongrain.
Alexandre Belliard. Crédit : Marc-Étienne Mongrain.

À travers tout ce processus anthropologique et artistique, Belliard a trouvé une façon bien à lui de s’impliquer dans une cause qui lui tient à cœur : l’indépendance du Québec. «Quand je suis à l’extérieur du Québec, je vais à la rencontre des gens et je leur parle d’indépendance. Je leur dis que c’est pas contre eux autres, mais que je vois le Québec comme une assise pour le français en Amérique. En tant que pays, on peut renforcer notre position d’ambassadeur et éviter la folklorisation du français en Amérique.»

Le message d’Alexandre Belliard se répand maintenant au-delà du Canada. Récemment, deux textes de Légendes d’un peuple ont été inclus dans le manuel scolaire d’un cours sur l’histoire francophone américaine de l’Université de Washington. En Europe, l’intérêt est également grandissant : «En 2020, je vais aller faire une tournée française des villes d’où sont originaires des bâtisseurs de la Nouvelle-France : Neuville-sur-Vanne pour Maisonneuve, Troyes pour Marguerite Bourgeoys, Saint-Malo pour Jacques Cartier… Pour être franc, je pensais pas que ce projet sortirait autant du Québec. J’ai jamais autant voyagé de ma vie. C’en est même trop! Entre janvier et juin cette année, je crois pas avoir été 72 heures en ligne chez nous.»

L’une de prochaines destinations : la Louisiane. «Je veux rencontrer les acteurs francos de la place, voir leurs préoccupations et ce qu’ils désirent transmettre comme héritage linguistique. Ça va être un mélange de rencontres amicales, de shows et de conférences dans les universités.»

Plus que satisfait de l’accueil du projet en général, Alexandre Belliard désire maintenant mettre davantage d’énergie à la promotion des livres et des albums de Légendes d’un peuple : «C’est bien beau écrire des livres et des chansons, mais il faut que ça se rende au monde. J’ai le devoir que ces livres soient intégrés dans les bibliothèques scolaires, notamment dans celles des cégeps, où je crois qu’ils auraient leur place. C’est ma responsabilité de faire vivre le projet. Personne va le faire à ma place.»

Légendes d’un peuple Collectif II  – 7 et 8 août, 6 et 7 septembre – Lion d’or (Montréal)

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