Le Johannais d’origine a (parfois) la tête en l’air. Une semaine avant cet entretien, il nous a fait faux bond, alors qu’on l’attendait tranquillement à la Casa del Popolo. «Hey, y a un souci… Emerik est à Sept-Îles. Il a oublié qu’il avait une entrevue et je sais pas trop, il est parti à Sept-Îles», nous avait alors appris son attachée de presse chez Grosse Boîte, prise de court elle aussi.
«Ouais, j’avais complètement oublié», admet le principal intéressé, avant d’y aller d’une explication abracadabrante. «En m’en revenant du Festif!, j’ai décidé d’aller à Natashquan rejoindre des amis. L’affaire, c’est que j’étais rendu à Québec, donc fallait que je revire de bord et que je fasse 12 heures de char. À Baie-Saint-Paul, le radiateur de mon char a sauté… Le Festif! était fini, donc en attendant que mon auto se fasse réparer, je suis allé voir une gang de jeunes qui s’en allaient au skate park, fait que j’ai chillé avec eux autres un peu, pis je suis retourné me coucher en bas du pont où j’étais pendant le festival. Après ça, j’ai étiré mon séjour en passant par Kamouraska voir des amis qui venaient de s’acheter une auberge. J’avais besoin de prendre un peu d’air avant le lancement de mon disque. Je sentais que c’était important.»
Esprit libre s’il en est un, le Montréalais d’adoption aime se laisser guider par le flot de la vie, invoquant l’importance de la légèreté et de l’incertitude comme d’autres le feraient avec la rigueur et l’ambition. «J’aime mieux douter de ce que je vais faire demain que d’avoir une vie monotone», résume-t-il.
Derrière son apparat insouciant, Emerik St-Cyr Labbé laisse toutefois entrevoir les marques d’un drame omniprésent dans son œuvre. En trame de fond de son premier album, la mort de son père l’a profondément peiné. «On l’a vécu dur…» confie-t-il, en parlant au nom de sa famille. «C’était un homme très généreux. En fait, ça lui demandait tellement d’énergie d’être là pour les autres qu’il ne lui en restait pas beaucoup pour lui. Du coup, il a jamais tenté d’imposer un tracé à ses enfants… Il nous a toujours fait confiance.»
Écrite à peine 36 heures après la tragédie, Chaque matin parle d’un «ouvrier urbain» qui perd le fil de sa vie à force de répéter aveuglément sa routine. «Il faut que tu roules ta bosse avant que la bosse te roule», chante l’auteur-compositeur-interprète de 26 ans.
«C’te chanson-là, elle est sortie à 8h le matin, une heure à laquelle je dors habituellement. J’étais démuni, j’avais plus rien à dire à personne. Y a fallu que j’m’assoie et que je joue de la guitare. Chanter, c’était ça qui me faisait du bien», confie-t-il. «Le soir même de sa mort, j’étais allé jouer de la guitare dans le parking du Couche-Tard près de chez mes parents. J’improvisais un jam, comme si je méditais. Mes doigts jouaient tout seuls sur ma guitare.»
Loin du récit larmoyant dans lequel il aurait facilement pu verser, cet album est traversé par une tristesse vague, un certain spleen urbain ancré dans ce que l’auteur-compositeur-interprète appelle «l’île aux calvaires» sur une chanson autobiographique à propos de Montréal. «C’est l’histoire d’un gars de la Montérégie qui arrive en ville, qui veut prendre part à tout ce qui se passe et qui embarque dans le chalutier peu importe c’est quoi la température sur la mer», image-t-il. «À Montréal, le moment présent est dur à ressentir, car on est toujours dans le futur pis dans l’after de l’after de l’after. Pour moi, des fois, c’est trop… Je dois reculer un peu et apprendre à vivre lentement, même si j’aime ça aller au bar et que j’ai tendance à me brûler en abusant des bonnes choses.»
Médium de survie
Originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu, le chanteur a pris racine dans la métropole il y a quatre ans. Désirant faire de sa guitare «un médium de survie», l’artiste a perfectionné ses compositions en jouant sur son balcon. «Je voulais pas avoir besoin de grand-chose ni de personne pour entamer ce projet-là. À la limite, un massothérapeute a à peu près la même démarche que moi, car il a juste besoin de ses mains pour faire son métier», analyse-t-il. «Graduellement, la musique que j’fais a décidé qu’elle avait besoin de plus d’instruments pour être à son plein potentiel. Le band s’est formé naturellement dans les deux dernières années.»
Complété par le bassiste Étienne Dupré, le batteur Mandela Coupal ainsi que les guitaristes David Marchand et Eliott Durocher, Mon Doux Saigneur est cette entité un peu vague qui dépasse le cadre du pseudonyme, sans toutefois représenter un groupe à proprement dit. «Concrètement, j’impliquerais personne dans la démarche [du groupe], car personne peut vraiment la comprendre. Même moi, c’est un peu nébuleux où je m’en vais…» admet-il. «C’que j’veux, c’est que le projet allume les gens dans leur propre cosmos, sans nécessairement avoir à associer ma face à ça.»
Bref, le chanteur aime l’idée de s’effacer derrière sa musique, préférant suivre son propre courant plutôt que de se conformer aux standards de l’industrie du spectacle. Durant les Francouvertes, on lui avait d’ailleurs reproché de ne pas assez interagir avec la foule. «Je suis pas un animateur», clame celui qui a atteint la finale du concours en 2016. «Si ne pas parler entre des chansons cause un malaise, ça veut peut-être dire que la musique n’est pas assez bonne… Pis si on a envie que j’me présente et que j’dise d’où je viens avant une toune, on est peut-être aussi bien de faire un barbecue qu’un show.»
Mais peu à peu, le Montérégien se prête au jeu et accepte de faire des compromis. «J’ai encore un peu de misère à fitter dans ce qu’on attend de moi. En entrevue, par exemple, on veut souvent obtenir une réponse de ma part, alors que j’réponds en même temps que je pense», dit-il, honnête. «Au-delà de ça, j’ai pas trop de difficulté à faire des compromis, car j’me nourris beaucoup de ce qui m’est suggéré. J’aime bouncer sur ce qui se présente, sans avoir à être collé sur un plan précis. Spontanément, j’ai tendance à dire oui à tout ce qu’on me propose.»
Une virée impromptue à Sept-Îles, par exemple.
Mon Doux Saigneur
Sortie le 8 septembre
Lancement à La Tulipe (Montréal) – 7 septembre
En spectacle au Cercle (Québec) – 14 septembre