Arthur H : Utopie passéiste
Arthur H fait confiance à son instinct sur Amour chien fou, premier album studio double de sa carrière.
L’auteur-compositeur-interprète parisien le reconnaît: l’album double a quelque chose d’un peu casse-gueule, surtout à cette époque d’abondance où l’auditeur moyen se gave de musique en continu avec un infime degré de concentration. «Disons que c’est une utopie passéiste», dit-il. «C’est une façon de dire que le disque n’est pas qu’une collection disparate de chansons destinées à s’envoler dans l’océan d’internet, mais aussi un voyage, un film, une histoire dans laquelle on peut entrer et se perdre.»
C’est sa compagne Léonore Mercier, plasticienne et musicienne expérimentale, qui l’a convaincu du bien-fondé de ce format, somme toute idéal pour présenter deux ambiances foncièrement différentes. «Elle m’a dit: “Les gens aiment quand tu fais des ballades émotionnelles, atmosphériques, mais ils aiment aussi quand tu chantes en boucle la caissière du super, elle est super, ce genre de chanson pop disco.” Elle m’a donc convaincu de séparer les deux, de permettre aux gens d’avancer dans un univers ou l’autre. On peut faire le choix de la douceur méditative et cosmique [sur Amour] ou celui de l’énergie de la danse [sur Chien fou].»
Mais ce deuxième chapitre, effectivement plus ardent, n’est pas non plus le disque dansant et léger que son auteur semble laisser croire. Ses récits rêveurs et romantiques y côtoient des poésies obscures et caustiques, interpellant l’amour assassin, les nuits infinies et le chaos cacophonique. «On peut essayer de se trahir, mais en réalité, c’est un exercice très difficile», lance-t-il, évoquant son penchant naturel pour les histoires ténébreuses. «En fait, il y a une dimension yin et yang sur les deux disques: un point noir dans la zone blanche et un point blanc dans la zone noire.»
Au terme de cette aventure, la pièce éponyme retient l’attention, à la fois par sa structure en triptyque et sa portée synthétique, qui fait le point sur l’ensemble des thématiques traversées d’un bout à l’autre des deux œuvres. «Le morceau parle du respect de l’amour, de l’amour sensuel, destructeur, joyeux… C’est une collection de toutes les sortes d’amour possibles et, en ce sens, je crois qu’il résume un peu le disque. D’ailleurs, je suis très content d’explorer ce nouveau sujet qu’est l’amour! C’est très original, je dois l’avouer», blague-t-il, avec l’autodérision qu’on lui connaît.
Premier extrait de ce 10e album officiel, La boxeuse amoureuse donne habilement le ton avec son récit percutant, qui confronte la violence des relations amoureuses à celle d’un match de boxe. «C’est une chanson sur ma mère, nous apprend l’artiste. En l’écrivant, j’ai constaté que ma mère avait encaissé des gros coups émotionnels, des histoires d’amour très, très belles et d’autres très douloureuses. Elle a sombré, mais s’est relevée, et je crois qu’à un moment, on a tous les capacités de retrouver la pureté de notre âme, même après toutes les chutes qu’on a vécues. Si on lâche prise, la rédemption est possible, et on peut retrouver la forme originelle de notre âme.»
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Plus loin, Sous les étoiles à Montréal apparaît comme une autre déclaration d’amour, non pas à notre métropole directement, mais à l’une de ses représentantes les plus mythiques: Lhasa de Sela. «Je n’avais pas du tout envie d’écrire une chanson [en sa mémoire], même si je pense très souvent à elle. En fait, ça s’est passé de manière assez étrange: je me suis mis au piano, et ces accords sont sortis. Puis, ces mots sont apparus en moi avec tous les souvenirs des moments que j’ai passés chez elle à boire du thé, avec l’hiver dehors… Lhasa était quelqu’un d’extrêmement inspirant. Une soirée avec elle ouvrait plein de nouvelles portes.»
C’est notamment à travers la chanteuse qu’Arthur H a redécouvert Montréal, cette «ville blanche et mystique», comme il la décrit dans cette même chanson. Son album précédent, Soleil dedans, avait d’ailleurs été entièrement enregistré ici, de pair avec le talentueux claviériste et réalisateur François Lafontaine.
Liberté à tout prix
Malgré la richesse de cette expérience inédite en sol québécois, l’artiste a préféré retourner à ses vieilles habitudes pour ce nouvel album, en renouant avec son collègue Nicolas Repac, multi-instrumentiste français et échantillonneur de haut vol. «Pour être franc, j’étais assez nostalgique de son travail. C’est vraiment un artiste du sample. Il a une façon unique de voler des morceaux de musique, de les détourner et de les transformer complètement, tout en conservant leur part de magie initiale. Ça me manquait de travailler sur de la matière pure comme ça, explique-t-il. Il a aussi apporté son jeu de guitariste, très intuitif. En ce moment, il a beaucoup de plaisir à se jeter dans le vide comme ça. Parfois, il s’envole et se scratche, mais d’autres fois, il atterrit dans un endroit surprenant, et un nouveau point de vue s’ouvre.»
Cette manière de créer a évidemment des résonances avec le travail d’un électron libre de la chanson française comme Arthur H. «Je suis comme Nicolas. J’ai envie de faire totalement confiance à mon instinct. C’est une nécessité, car sinon, on est coincés dans nos propres systèmes et on arrive plus à en sortir, estime-t-il. J’aime quand une chanson commence et qu’on n’a aucun moyen de savoir comment elle va se terminer. C’est stimulant de ne pas savoir où s’en aller.»
Aussi bénéfique soit-elle, la liberté que procure cet exercice spontané vient avec ses répercussions. Même s’il n’a jamais cherché à plaire au plus grand nombre, le chanteur à la voix éraillée constate les contrecoups de ses choix artistiques. «Quand on essaie de faire les choses comme moi, de façon un peu borderline, le prix à payer peut être assez élevé… Tu peux marcher en dehors des clous et refuser d’être enfermé dans les boîtes que la société tente de t’imposer, mais tu dois accepter de n’être presque nulle part, d’être parfois invisible. Encore aujourd’hui, je suis très content de payer ce prix.»
Arthur H
Amour chien fou
Disponible maintenant