Rap local : Jai Nitai Lotus, l’espoir et l’authenticité
Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, revue non-exhaustive des nouveautés de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.
Entrevue //
Avec son deuxième album solo Affirmations, le rappeur et producteur montréalais Jai Nitai Lotus se réaffirme avec inventivité et authenticité.
Près de six ans séparent ce nouvel opus de Something You Feel, un remarquable premier album qui a révélé l’artiste à l’ensemble de la scène rap montréalaise. Durant ce long hiatus, le principal intéressé n’a pas chômé pour autant, faisant paraître la mixtape Acknowledgement sur Bandcamp ainsi que la série de singles One-Off Series sur Soundcloud.
Autrement, le rappeur de Notre-Dame-de-Grâce s’est surtout concentré sur son emploi de gérant, mentor et professeur au studio No Bad Sound, un espace d’enregistrement fondé par des membres de Nomadic Massive et annexé à la maison des jeunes de Côte-des-Neiges. Cette expérience enrichissante lui a permis de décupler sa créativité. «Je partage constamment de la musique, cinq jours par semaine, dans le cadre de mon emploi. Je suis toujours en train d’écouter du hip-hop, de parfaire mes aptitudes d’ingénieur sonore, de producteur, de rappeur, d’interprète, de vidéaste… J’ai commencé à voir mon art comme la science de toutes ces disciplines, et mon but est de me familiariser avec l’ensemble de celles-ci. Je vois tout ça comme un seul bloc», explique-t-il.
C’est d’ailleurs une discussion avec l’un de ses étudiants, le jeune rappeur Khaleem, qui l’a motivé à finalement sortir cet album, qu’il créait à temps partiel depuis plusieurs années. «Il y a trois mois, il est venu à mon studio et je lui ai fait entendre quelques-unes de mes chansons. Il m’a dit qu’elles sonnaient très bien et qu’elles étaient en phase avec l’ère actuelle, tout en étant intemporelles. En fait, il ne comprenait pas pourquoi je ne sortais pas le projet tout de suite. Quand il m’a dit ça, j’ai sorti des vieilles excuses de vétéran. Je ne savais pas quoi lui répondre! Finalement, sa motivation m’a inspiré et j’ai décidé de l’écouter. À ce moment, l’album était finalisé à 85%, donc j’ai travaillé très fort pour le terminer, notamment en allant le mixer avec l’aide de Shash’U.»
Compositeur et échantillonneur aguerri, Jai Nitai Lotus propose ici un album ingénieux aux influences soul psychédéliques marquées. Deux légendes de la production hip-hop américaine l’ont particulièrement inspiré. «Dès les premières chansons, j’avais en tête de produire ce qu’un vieux RZA aurait fait s’il avait travaillé avec J Dilla. Il n’y a rien de prétentieux là-dedans, c’est seulement une ligne directrice que je me suis donné. Ça m’a mené à pousser constamment mes idées, à collaborer avec des musiciens aussi. J’ai fait beaucoup de spectacles entre 2013 et 2015 et je voulais amener ce côté live là à l’album», dit-il, en nommant quelques musiciens qui l’ont aidé comme le tromboniste Modibo Keita, la violoniste Veronica Tamburro et le batteur Jahsun.
«Musicalement, je crois être allé plus loin que Something You Feel. J’ai échantillonné des chansons folk un peu banales, dans lesquelles j’ai puisé quelques sons qui m’intriguaient. Je les ai ensuite réarrangés complètement pour leur donner une toute nouvelle teneur.»
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Encore une fois, le vétéran de la scène rap anglo-montréalaise profite de cette sortie pour faire passer des messages sociaux et politiques clairs, sans pour autant délaisser l’introspection. «Je me suis intéressé à des sujets plus spécifiques [que sur Something You Feel]. C’est le cas de NOMOREWAR, une chanson que j’ai écrite après avoir regardé des drones exploser et tuer des gens en Irak. Cette image m’a complètement bouleversé, on aurait dit un jeu vidéo! Elle m’est restée en tête, et j’ai écrit cette chanson comme pour me libérer de ces images complètement folles. Dans un tout autre style, sur Shake It Down, j’étais influencé par les albums de Bob Marley et par cette idée que la misère est souvent relative à la situation de chacun. Ce sont des petites choses comme ça qui m’inspirent, mais aussi ma vie de famille, les perspectives d’avenir qu’auront les jeunes… Il n’y a aucune distance entre mes textes et moi. Je ne suis pas un activiste, mais j’utilise mon cœur pour expliquer ce qui me dérange et me motive dans la vie.»
De là l’idée de ce titre très large, mais à la fois judicieux et lucide : Affirmations. «Ça m’a pris du temps avant d’arriver avec ce nom…. Mais, en fin de compte, Affirmations, ça veut tout dire, car c’est l’action d’affirmer quelque chose par rapport à notre vie, que ce soit positif ou négatif. Sur l’album, le son est relativement sombre, mais les propos sont toujours porteurs d’espoir.»
Loin de représenter le stéréotype du rappeur old school fermé aux nouvelles tendances, Lotus fait ici une belle place à la relève rap locale, notamment à Khaleem, PPL et Kris the $pirit (de The Posterz). Une décision qui, inconsciemment, s’imposait pour ce mentor en constante relation avec les jeunes rappeurs. «Pour être honnête, ce n’était même pas un choix réfléchi. J’ai tout simplement demandé à des rappeurs talentueux de participer à mes chansons selon le vibe que je recherchais. Ceci dit, je suis très inspiré par les jeunes rappeurs. Ils créent de façon impulsive, sans aucune peur. Ils pensent autrement et n’ont pas peur de s’afficher. J’aime voir l’étincelle dans leurs yeux.»
Épaulé par des figures de proue du rap montréalais comme Scott C ou Simahlak dès la fin de l’adolescence, Lotus a cette impression de redonner à la relève ce qu’il a appris durant ses deux décennies à fréquenter les scènes de la métropole. Heureux du chemin qu’il a parcouru sans recevoir d’appui quelconque de la part de l’industrie, l’artiste trentenaire reste toutefois réaliste face aux défis qui guettent les rappeurs anglophones de la province, jeunes comme moins jeunes. «Je trouve ça cool que des artistes anglos aient été signés avec 7ieme Ciel ou Make It Rain, mais disons que, maintenant, je suis surtout curieux de savoir ce que ça va donner. Moi, tout ce que j’ai réussi, je l’ai fait avec du cœur et de la détermination, sans jamais recevoir de subvention. Mon problème, c’est que je suis peut-être trop anglophone [pour l’industrie musicale québécoise] et je sais que tout se passe par l’entremise des relations, des échanges, de la langue. Je me sens un peu à part pour cette raison.»
Affirmations – disponible sur plusieurs plateformes
Nouveautés d’envergure //
Après avoir collaboré avec Yerly sur deux excellents EPs, le rappeur Mori$$ Regal entame un nouveau chapitre de sa carrière avec RegalRock, un mini-album produit par 80Rock qui privilégie ici une esthétique rétro soul très chaleureuse. Un clip a également été publié pour Suede.
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Le trio Ragers redéfinit son groove avec Jeunes & Fly, pièce en collaboration avec les compères Rymz et David Lee.
Le producteur et rappeur Tshizimba offre une sélection instrumentale planante et lente à souhait.
L’ingénieux DO, The Outcast s’allie avec son ami Benji Yashi sur cette nouvelle pièce aux horizons R&B.
Le producteur et arrangeur Roberto Viglione s’associe au producteur et designer Theo Charpentier (fondateur de la marque One & Only) sur cette première compilation comprenant des apparitions de Franky Fade, FouKi et Mitch Donovan.
Signé sous Ghost Club Records, le producteur et rappeur Maky Lavender vante les mérites de l’abandon et de la désinvolture sur Pull Up in a Cloud.
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Venant tout juste de remplir le Artgang Plaza à guichets fermés, FouKi publie le clip coloré de la très accrocheuse iii, l’une des pièces les plus abouties de son premier album officiel Zay paru sous 7ieme Ciel le 13 avril dernier.
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Également signé sous 7ieme Ciel, Obia le Chef donne un aperçu convaincant de son album Soufflette, qui paraîtra le 25 mai prochain et qui comprendra des collaborations avec Roi Heenok, Kaytranada ainsi que le duo belge Caballero & JeanJass.
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Grosse semaine pour l’étiquette fondée à Rouyn-Noranda, qui revisite ses «15 ans dans l’game» avec une compilation vinyle mettant en vedette ses artistes (notamment Zach Zoya, Alaclair Ensemble et Manu Militari).
Karyke profite d’une puissante production trap de Freakey! sur Suicidal.
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Neko présente un clip intense pour l’hypnotique Baby Gucci.
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Maestronautes, trio de Québec, s’offre un Vol intercontinental, nouveau clip en soutien à son EP Mode avion.
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Farfadet (fka Maxime Gabriel) y va d’une relecture de la ballade classique d’Éric Lapointe.
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Dans un style dreamy trap rappelant l’esthétique de son dernier projet S†. Flower, le producteur J.u.D. propose une version «not finished» de Sous l’eau, nouvelle pièce instrumentale qui pourrait donner le ton à un premier projet en quatre ans.
Toujours aussi prolifique, le Gatinois Antwnn dépasse le seuil des 500 productions instrumentales avec cette nouvelle beat tape expérimentale.
Originaire de Québec, le beatmaker Flix sort d’un hiatus de près d’un an avec The Tape #2, qui comprend sept nouvelles compositions.
Entre jazz et phonk, le mystérieux ? Error(عادل) propose un nouvel EP.
Saye présente la pièce-titre de son album à paraître prochainement sous Explicit Productions.
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3 shows à voir //
Le musicien et DJ Kid Koala présente chez lui une édition spéciale de Vinyl Vaudeville, un spectacle conceptuel où se mélangent marionnettes, danseuses burlesques, robots et jeu d’adresse.
Théâtre Corona (Montréal), 26 avril (20h)
Le septuor jazzy rap O.G.B s’allie avec le collectif hip-hop Team XXI le temps d’un spectacle où se produiront également La Collection et Lil Lonely.
Bain Mathieu (Montréal), 28 avril (19h)
Trois ans après Kronostasis, EP pour lequel il avait reçu le prix de musique électronique au Gala de la SOCAN en 2016, High Klassified revient sous les feux de la rampe avec Kanvaz, nouveau projet qui comprend une collaboration plus que prometteuse avec la nouvelle coqueluche Zach Zoya.
Le Belmont (Montréal), 27 avril (22h)