Choses sauvages : Histoire de chums
Quelque part entre Mac Demarco et Chic, le groupe Choses sauvages dévoile un groove rondement travaillé sur son premier album homonyme, une suite de chansons créées dans la camaraderie et la collégialité.
Tissé serré, le quintette est curieusement amputé d’un de ses membres lorsqu’on le rejoint dans un café du centre-ville un vendredi midi. Injoignable, le chanteur, bassiste et barman Félix Bélisle est fort probablement dans les bras de Morphée à l’heure qu’il est. «Il closait le bar hier et il a dû se coucher à six heures du matin… On vient d’appeler sa voisine. D’après moi, dans 20 minutes, il devrait être levé», s’imagine naïvement le claviériste Tommy Bélisle, croyant (à tort) que son ami ayant le même patronyme finira par nous rejoindre.
Visiblement, l’image ludique et slacker sur les bords que le groupe met de l’avant sur internet n’a pas mis de temps à se confirmer. Pourtant, lorsqu’on écoute son premier album, c’est une tout autre impression qu’on reçoit. Mixé avec minutie par les renommés ingénieurs de son Emmanuel Éthier et Samuel Gemme, l’opus marque par ses compositions soignées, ses structures de chansons rigoureuses et ses textes mélancoliques, qui incarnent les angoisses et les histoires d’amour sinueuses d’une jeunesse vivant ses émotions fortes la nuit. «Nos photos nous montrent boire dans la rue ou chiller dans les parcs et, en quelque sorte, nos textes parlent de ça aussi. C’est juste un autre point de vue, comme l’envers de la photo, le négatif», analyse le guitariste Marc-Antoine Barbier.
«Dans la vie, on est des super bons chums: on fait de la marde non-stop, on est jamais sérieux quand on se parle… Mais nos textes, c’est différent», poursuit Tommy Bélisle.
«C’est le seul moment où l’on se parle des vraies affaires… ou presque, renchérit Barbier. À la base, Félix avait écrit des trucs assez dark qui ont établi les thématiques de l’album et, après, on a juste poursuivi là-dessus. On s’est aussi assuré de trouver un équilibre pour pas non plus tomber dans la grande poésie ou dans le senti trop intense. En fait, on voulait surtout s’écarter de la chanson. On voulait pas que la voix de Félix embarque par-dessus tout le reste, on voulait qu’elle reste un instrument parmi les autres.»
[youtube]fDw5PdCm1OE[/youtube]
Ce procédé d’enregistrement témoigne de la dynamique très équilibrée du groupe. Parmi les cinq musiciens, «personne joue de la guit tout seul chez lui en pratiquant des accords» et, par conséquent, «personne arrive en studio avec un riff précis auquel il est très attaché». Au contraire, tout se passe de manière spontanée lorsqu’ils se réunissent pour pratiquer. «Une session typique, c’est plusieurs jams de 20 minutes. On enregistre tout ça et, quelques jours après, on réécoute ça pour trouver la cohésion et le groove qui fonctionnent. Ça devient un collage», explique le batteur Philippe Gauthier-Boudreau.
«Ça cache juste le fait qu’on est trop paresseux pour composer chez nous. On vient puncher à la job, blague Marc-Antoine Barbier. Dès qu’on a commencé à composer cet album-là, on a remarqué qu’on était dans un mood très smooth et sexy, ce qui était très différent de nos shows, qui virent constamment en party où tout le monde trashe et danse.»
«Et vu qu’on voulait un album homogène, on a choisi de calmer les guits pour l’album, mais de se permettre de les crasser pas mal plus durant nos spectacles», image Bélisle pour terminer l’idée de son collègue. «C’est à ce moment-là que ça vire plus rock.»
Naissance du dreamy funk
Cette énergie plus brute est à la base de l’essence qui anime Choses sauvages. Dans sa version adolescente et embryonnaire, quelque part en 2007 ou 2008, la formation originaire de Saint-Eustache cultivait déjà cette idée maintenant bien éprouvée de créer quelque chose à partir d’à peu près rien, si ce n’est que de la complicité et de la persévérance. «Dès qu’on avait du temps, on allait jammer dans le sous-sol de mes parents. N’importe qui qui savait pas jouer du clavier ou de la basse pouvait venir jouer avec nous», se rappelle Barbier.
De multiples reformulations du projet plus tard, les musiciens ont amélioré leur jeu respectif pour en arriver à créer Late Night, un EP bilingue au funk omniprésent, mais à la ligne directrice plutôt insaisissable. «C’était très juvénile. Ça partait vraiment dans tous les sens», reconnaît le guitariste, à propos de ce premier mini-album paru en 2013. «Le but, c’était de faire des tounes au plus vite pour pouvoir faire notre premier show quatre mois après. On voulait juste créer un ostie de party.»
En 2015, Japanese Jazz, un EP totalement en anglais cette fois, poursuivait sur cette voie dansante et très éclectique. «L’identité était pas claire non plus. Ça manquait de cohésion», admet à son tour Philippe Gauthier-Boudreau. Quelques mois après, l’arrivée de Thierry Malepart comme deuxième claviériste et guitariste est venue raffermir la proposition du groupe, à l’instar d’une prise de conscience générale sur la langue de création. «On réécoutait nos chansons et on trouvait qu’en français, il se passait quelque chose de plus, se souvient Barbier. On a choisi d’y aller avec ça plutôt que de se battre contre la marée anglophone, alors qu’on est même pas anglos du tout… Dans le fond, on était des imposteurs!»
Deux années ont ensuite été nécessaires pour que les cinq camarades trouvent leur son. Avec l’appui et les conseils de Samuel Gemme, ils ont tracé l’esquisse de leur style dreamy funk sur L’épave trouée, chanson parue en 2016 qui a donné le coup d’envoi aux sessions de ce premier album. «C’est ce son-là qui nous permet de varier les tons, d’alterner entre des tounes disco rapides et d’autres R&B plus lentes. On a assez expérimenté de trucs dans le passé qu’on sait ce qu’on veut maintenant», explique Malepart.
Enregistré à l’été 2017, Choses sauvages a mis du temps avant d’être finalisé sur la table de mixage. Tranquillement, la spontanéité qui a caractérisé les premiers jams du groupe laisse place à un souci du détail qui frôle le perfectionnisme. «On a tellement travaillé sur cet album qu’on voulait qu’il soit parfait, explique le batteur. On a pris le temps de s’assurer de pas avoir de regrets.»
Choses sauvages
(Audiogram)
en vente le 31 août
Lancement – 13 septembre à l’Église Saint-Édouard
En concert à Québec le 26 octobre au Maelstrøm Saint-Roch
(Double plateau avec Foreign Diplomats)
[youtube]TIeZvpxZc8w[/youtube]