Yes Mccan : Appelez-le OUI
Traversant une période à la fois faste et tortueuse, parsemée de succès et d’opportunités, mais aussi de doutes, de stress et de remises en question, le rappeur Yes Mccan fait le vide sur OUI (tout, tout, tout, toutttte), un premier album solo en grande partie écrit dans l’urgence à la suite de son départ de Dead Obies.
Lorsqu’il nous rejoint dans les bureaux de son étiquette de disques à la mi-juillet, Jean-François Ruel (alias Yes Mccan) semble plutôt essoufflé. Entre deux déménagements, il a dû retourner vivre chez ses parents, à Granby. «Je suis toujours à la course ces temps-ci», nous confie-t-il, s’excusant au passage pour son retard de 40 minutes en raison du trafic. «Tout ce qui est supposé être simple est super compliqué. Par exemple, on était censés recevoir les mix finaux de l’album hier, mais on n’a rien finalement. On vient de demander au label une extension d’une semaine pour l’envoi.»
Fixée au 31 août, la date de sortie de ce premier album solo cause du stress à Mccan depuis un moment déjà. Pourtant, c’est bel et bien lui qui, un an auparavant, s’était donné l’objectif de faire paraître cet opus à la rentrée de 2018, histoire de donner à ses fans autre chose à se mettre sous la dent que son EP PS. Merci pour le love, un ramassis «de freestyles et d’affaires écrites sur un coin de table».
«Quand j’ai remarqué que cet EP-là devenait big et qu’on en parlait autant dans les médias, je suis allé voir le label pour lui dire que je voulais faire de quoi de plus complet. Ils m’ont donné le go pour un projet solo, et ça me donnait un an pour l’écrire. Je suis allé m’enfermer dans un chalet en mai 2017 avec plusieurs producteurs [Ruffsound, Vnce Carter et Realmind], et ç’a donné lieu à Désirée et Forêts. Après ça, j’ai tourné non-stop avec Dead Obies ici et en Europe», explique celui qui, durant cette période, a également campé le rôle du redoutable proxénète Damien de la populaire série Fugueuse. «Après tout ça, fallait travailler sur le troisième album du groupe, ce qui impliquait des chalets de création et beaucoup d’investissement de temps. À un moment donné, le label est revenu me voir pour me demander quand est-ce que mon album serait prêt… Mais j’avais toujours juste deux tounes en banque, malgré les multiples sessions que j’avais faites. Là, fallait que ça goale et que les tounes se passent.»
Aux côtés de Yen Dough, jeune producteur montréalais de 20 ans reconnu pour ses mélanges de trap, de pop et de R&B, Mccan a alors mis les bouchées doubles pour tenter de réussir l’impossible: finaliser un album à peine entamé en un peu plus de deux mois. «On s’est mis à jammer ensemble et, sincèrement, on s’est vraiment bien entendus. C’est un humain vraiment super. Pendant un bout, j’avais le syndrome de la page blanche et je faisais des trucs très nuls. Lui, il était patient avec moi, il croyait en moi et il m’encourageait à des moments où je me demandais si j’avais encore envie de rapper. Pour vrai, ç’a été tout un réapprentissage, autant dans mon approche du rap que de la vie. J’ai fait plein de changements dans la dernière année: j’ai brisé des patterns qui allaient finir par m’autodétruire, j’ai commencé la méditation, j’ai arrêté de boire et de fumer… Tout ça m’a amené à tout remettre en question, notamment ma façon d’écrire du rap.»
Jadis reconnu pour son franglais exacerbé, qu’il a défendu maintes fois dans les médias face aux critiques de chroniqueurs réactionnaires comme Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté, Mccan s’en remet ici à une parole moins relâchée et à un accent français plus international que joual. Dès les premiers instants de l’album, le changement de cap est frappant. «J’ai jamais été à l’aise à l’idée de rester trop longtemps à la même place. Faut que ça évolue et que ça change. Et de toute façon, en dehors de Dead Obies, je suis pas super anglophone. Oui, je suis bilingue, mais j’ai un accent, et cette forme d’expression là ne me rejoignait plus. J’avais envie de plus de clarté.»
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Ce n’est toutefois pas ce changement de registre qui a motivé son départ de Dead Obies au printemps dernier. C’est davantage une volonté de se libérer de l’engrenage commercial inhérent à la popularité de la formation. «J’ai quitté le groupe parce que j’avais besoin de le quitter, sinon je faisais semblant. Quand j’ai rencontré ces gars-là, c’était formidable. Mais à un moment, c’est devenu une obligation de continuer, car on était six à devoir payer le loyer avec ça. Fallait donc partir en tournée, faire un autre album… Je me suis demandé quand est-ce que tout ça allait arrêter, quand est-ce que j’allais pouvoir reconnecter avec ma folie pour faire des choix qui ont pas de sens. J’avais besoin de suivre mon instinct et de faire une scission avec tout ce qui brimait mon feeling pur.»
Le mantra du OUI
Le titre de ce premier album embrasse cette idée bien vaste de «tout, tout, tout, toutttte» renouveler. Le «OUI» agit ici comme un mantra, une façon pour le rappeur de dire qu’il ouvre son esprit aux nouveaux horizons qui se profilent devant lui. «À un moment donné, je voulais même changer de nom pour OUI, mais le label capotait parce que j’allais perdre mes stats. J’ai quand même continué à buzzer sur ce mot-là pour tout ce qu’il englobe. Pour moi, c’est un mot qui envoie une wave particulière: l’acceptation de tout, l’ouverture… Aussi, la nature particulière qu’il a avec l’histoire politique du Québec, ça me fascinait. J’étais appelé par cette énergie-là.»
C’est ce pouvoir insaisissable des mots que le rappeur de 28 ans aborde dans l’ouverture Temps. «Tout ce dont j’ai ever rêvé, je l’ai d’abord rap dans mes verses/Avant de le voir comme par magie apparaître devant mes yeux», lance-t-il, revendiquant la valeur prophétique de ses écrits.
«Ça, c’est une croyance ferme que j’ai, soutient-il. À chaque nouvelle étape de ma carrière, je me suis créé de la réalité dans ma musique, comme on le fait généralement dans le rap en se mettant de l’avant. Et souvent, après ça, je me rendais compte que la réalité rattrapait ce que j’avais écrit. En fait, c’est vraiment une question de minding. Avant l’album, j’ai réalisé que ma vitesse neutre dans la vie, c’était toujours une force négative ou bien une critique de quelque chose. J’ai fait le travail interne de tout changer ça, et ça se reflète [dans cet album]. Encore aujourd’hui, je sais pas si c’est bon ou si c’est nul comme approche, mais je sais que j’ai fait le travail d’essayer des trucs et de me mettre en danger.»
En résulte un album plus lumineux, autant dans les sonorités résolument pop que dans les textes, essentiellement marqués par le récit optimiste d’un rappeur qui gravit les échelons de la célébrité avec le désir ardent d’atteindre le sommet. À travers cette quête obsessive, Mccan proclame sa vénération de l’argent, érigé comme principal moteur de motivation et d’interaction sociale. «C’est vraiment une figure d’exagération, nuance-t-il. Pour être franc, l’argent m’intéresse pas du tout. Ce qui m’intéresse, c’est d’être libre.»
Sans avoir eu un impact direct, son expérience dans Fugueuse et, tout particulièrement, les retombées que la série a eues sur sa carrière l’ont influencé inconsciemment dans sa création. «C’est la première année de ma vie où j’ai fait de l’argent pour vrai. J’avais accumulé plein de dettes pendant 10 ans et, enfin, j’ai pu les régler. C’est la première fois que je vivais sans stresser et c’est probablement pour ça que l’album parle autant [d’argent]. Au-delà de ça, j’ai tellement le nez collé dessus que c’est difficile d’en parler avec du recul… Mais bon, je suis plutôt fier de m’être fié à mon instinct et à ma première idée plutôt que de chercher à m’appuyer sur une critique comme je le faisais [avec Dead Obies]. Cette fois, ce sera aux autres d’analyser mon album. Si, en l’écoutant, les gens en viennent à la conclusion que je suis brainwashé par l’argent, ça dira bien ce que ç’a à dire sur la société dans laquelle on vit.»
OUI (tout, tout, tout, toutttte)
(Make it Rain Records)
en vente le 31 août
Lancement le 14 septembre
au Théâtre Rialto (Montréal)
En spectacle le 21 septembre
à la Salle Multi de Méduse (Québec)
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